Grégoire Bouchetout, malvoyant de naissance, a obtenu son diplôme de guide touristique en octobre 2023. Ce qui l'anime : emmener des groupes en randonnées, en pleine nature. Il est venu pour trois jours tester ses compétences sur les sentiers alsaciens, avec des marcheurs valides et malvoyants.
"Vous avez votre canne ? Un bâton de marche ? Votre GPS allumé ?" En marcheur expérimenté, l'Alsacien Gérard Muller, infatigable globe-trotteur malgré un sévère handicap visuel, a les réflexes : avant de partir pour un peu plus de 6 km de marche au départ de Grendelbruch (Bas-Rhin), en direction du château du Guirbaden, il vérifie que le petit groupe, composé de cinq randonneurs malvoyants et cinq valides, dispose de l'équipement nécessaire pour avancer en toute sécurité. Et notamment de l'application GPS qu'il a lui-même largement contribué à développer depuis plus de 10 ans.
Openway, c'est son nom (anciennement Navirando, NDLR), est une application gratuite et accessible sur tous les smartphones, qui permet aux malvoyants de pouvoir se déplacer en autonomie, notamment sur les sentiers de randonnées, guidés par une voix leur indiquant précisément toutes les caractéristiques des parcours préalablement arpentés et numérisés par ceux qui les ont déjà sillonnés. "L'objectif, c'est l'autonomie, explique Gérard Muller. Nous pouvons, grâce à Openway, emprunter des sentiers seuls, sans tenir le bras d'un voyant, juste avec notre canne pour vérifier le chemin et au son du GPS. La vie, c'est ça, sortir de chez soi, profiter de la nature, de la liberté..."
Lui a numérisé de nombreux sentiers, le dernier grand projet en date fait d'ailleurs sa fierté : les 400 km du chemin de Stevenson, entre Auvergne et Languedoc-Roussillon, font désormais partie des parcours répertoriés sur Openway. Mais à 76 ans, sa priorité est dorénavant ailleurs : "Je veux transmettre le flambeau aux plus jeunes. Et c'est pour ça que ce que fait Grégoire m'enthousiasme. Il est le premier guide touristique malvoyant à être diplômé et à partir en randonnées avec des groupes. Je l'ai rencontré justement sur le chemin de Stevenson, et j'aime sa passion."
Grégoire Bouchetout est justement en Alsace pour tester ses compétences hors de ses terrains de jeu habituels. Ce Parisien, diplômé guide touristique au mois d'octobre 2023, organise régulièrement des sorties guidées sur la coulée verte parisienne et au bois de Vincennes. "Ce sont des itinéraires que je connais par cœur. C'est important pour moi de pouvoir guider quoi qu'il arrive. Openway est très précieux bien sûr, je m'en sers tout le temps, mais imaginez qu'il y ait une panne, plus de batteries..."
La coulée verte parisienne et le bois de Vincennes avant d'autres horizons
Pour le moment donc, il cantonne ses visites à ses parcours parisiens. Mais le voilà en Alsace, pour mener le groupe sur trois jours de balade, une trentaine de kilomètres qui les mèneront au Mont-Saint-Odile. Un excellent test pour celui qui rêve d'élargir ses horizons. Également diplômé en langues étrangères, il parle l'arabe et l'anglais, et a déjà voyagé en Afrique et au Moyen-Orient. "J'ai vraiment envie de pouvoir randonner partout, y compris sur des terrains risqués, au Népal par exemple. Mais bien sûr, avant de pouvoir développer mon activité de guide ailleurs qu'à Paris, il faut que j'expérimente..."
Pour l'accompagner sur cette découverte alsacienne, Grégoire Bouchetout peut compter sur Gérard Muller et ses amis de l'association Yvoir. Et sur le soutien de Nadia et Alice, toutes deux en situation de handicap visuel, et pour Alice auditif, venues avec lui de Paris. "J'adore randonner en pleine nature, affirme Nadia. J'aime particulièrement prendre mon temps, avec des gens avec lesquels il y a de l'entraide... On estime qu'il nous faut trois fois et demi plus de temps pour parcourir une distance en randonnée que des gens valides, mais cela n'a aucune importance, car nous partageons cela, nous échangeons, et nous ne sommes pas pressés."
L'entraide, absolument indispensable dès que les sentiers se font trop escarpés. Les voyants prennent alors le relais pour sécuriser la marche. "Vous allez avoir un escalier avec 13 marches, régulières et avec une rambarde de chaque côté", juge bon de prévenir Michel Franck, trésorier de l'association Yvoir, alors que les randonneurs sillonnent en file indienne sur un étroit chemin.
Et le groupe d'apprécier une petite halte près de la chapelle Sainte-Catherine, construite directement sur la roche de grès rose. "Touchez, sentez le grès rose du bout des doigts", incite Grégoire. Le guide s'empresse de prendre des informations auprès des locaux sur l'histoire de ce lieu où Catherine, future sainte, est venue se réfugier après avoir été chassée du château du Guirbaden. De précieuses connaissances pour celui qui envisage, pourquoi pas, de revenir un jour avec d'autres marcheurs venus d'ici et d'ailleurs pour une nouvelle randonnée itinérante.
Il leur reste deux jours pour apprécier l'ascension vers le Mont Sainte-Odile. Les randonneurs repartent, à leur rythme, mais d'un pas sûr, canne blanche dans une main, bâton de marche dans l'autre. Grégoire toujours devant eux.