Tapage nocturne, incivilités, dégradations et insultes sont le lot de ces habitants d'un quartier de Haguenau, dans le Bas-Rhin, depuis l'installation d'un distributeur de pizzas ouvert 24h/24. Démunis face à la situation et à son caractère répétitif, ils tentent de faire bouger les choses. Le gérant, lui, se dit tout aussi désemparé.
Dans cette zone résidentielle d’Haguenau, dans le Bas-Rhin, un distributeur automatique de pizzas ouvert 24h/24 sème le trouble. Encastré à la place d’une ancienne pharmacie, il est situé au pied d’un petit immeuble. Depuis son installation fin 2021, les riverains se plaignent de tapage nocturne et d’incivilités de plus en plus présentes à mesure que les beaux jours arrivent.
“En été, il y a toutes les nuits six ou sept groupes différents qui consomment sur place. Petit à petit, c’est devenu un point de rendez-vous”, témoigne Pierre*, un riverain. Cris, moteurs de voitures qui tournent, gens qui urinent sur le portail, bagarres, tags, déchets, verre pilé sur le trottoir… Autant de nuisances amplifiées par la proximité avec les habitations mais surtout par le comportement de clients “ivres”. “C’est allé crescendo, raconte Pierre. Au début, c’était des insultes, mais récemment il y a eu une menace de mort après qu’un voisin a demandé aux gens de se taire.”
Au début, c’était des insultes, mais récemment il y a eu une menace de mort après qu’un voisin a demandé aux gens de se taire.
Pierre*, habitant
Trois mains courantes, que nous avons pu consulter, ont été déposées par trois riverains distincts au commissariat de la police nationale de Haguenau. La première en octobre 2023 pour tapages, la seconde en août 2024 pour différends de voisinage après qu’un individu a couru derrière le véhicule d’une habitante en tapant sur les vitres. La dernière, déposée en septembre, pour “outrage, injure, menace”, qui concerne aussi une femme suivie en voiture. Tous mentionnent également la régularité des faits de nuisances et d’incivilité.
Sentiment d’insécurité
“Pour éviter de passer devant et de se mettre en danger, on est obligés de mettre en place des stratégies quand on rentre tard chez nous”, souligne Pierre, las de cette situation. “Les gens étant excédés, ils seront moins patients”, concède-t-il ensuite, anxieux de la tournure que pourraient prendre les choses.
Pour éviter de passer devant et de se mettre en danger, on est obligés de mettre en place des stratégies quand on rentre tard chez nous.
Pierre*, habitant
Le gérant Cagdas Durna, contacté par téléphone, a fait savoir qu’il avait eu des retours de clients interpellés sans raison apparente par des habitants exaspérés. Une “situation délicate” et une ambiance pesante qu’il ressent également lorsqu’il vient chaque matin cuisiner dans son commerce, situé à côté. Le restaurateur, dans le métier depuis dix-sept ans, raconte avoir été prévenu des nuisances il y a quelques mois et être aussitôt allé au commissariat pour inviter à faire plus de rondes. “J’ai aussi demandé si ces faits étaient récurrents et on m’a affirmé qu’il n’y avait aucun retour de ce type”, rapporte-t-il.
"On nous fait tourner en rond"
“Personne n’est jamais au courant de rien”, réagit Pierre* qui dit “accumuler des choses tangibles” pour “contrer cet argument”. Le Haguenovien dénonce un manque de considération des institutions, malgré les nombreuses tentatives d’alerte. “On nous fait tourner en rond. On nous renvoie entre police municipale, police nationale, mairie, préfecture… C’est une boucle sans fin.”
Jusqu’à ce qu’une lueur d’espoir apparaisse à la fin de la période estivale, lorsque les deux partis ont été conviés chacun de leur côté à la mairie de la ville. D’un côté, trois habitants à qui un adjoint a assuré comprendre la situation et vouloir la régler. De l’autre, le gérant de la pizzeria qui indique avoir essayé de trouver des solutions à court terme, avec la municipalité, proposant notamment de maintenir l’éclairage dans un parc situé à proximité, sans savoir si depuis cela a été mis en place.
Dans un mail à un riverain, la municipalité rappelle quant à elle d’autres “efforts” déjà consentis, en plus de la présence d’une caméra : un affichage, la mise en place d’une lampe à effet stroboscopique “pour éviter la consommation sur place” et l’absence de mange debout, “même si cela prive ceux qui prennent plusieurs pizzas d’un support pour les poser”, écrit un élu.
“Je devrais m’estimer heureux qu’il n’y ait pas de mange debout. J’ai l’impression que c’est nous qui dérangeons et qu’il va bientôt falloir s’excuser d’habiter là. Heureusement que j’étais là avant”, ironise Pierre, habitant du quartier depuis 2020, qui estime que la municipalité n’a pas joué son rôle de conciliateur.
Je devrais m’estimer heureux qu’il n’y ait pas de mange debout. J’ai l’impression que c’est nous qui dérangeons et qu’il va bientôt falloir s’excuser d’habiter là. Heureusement que j’étais là avant.
Pierre*, habitant
Un manque de communication que reconnaît le gérant de la pizzeria, également propriétaire d’un restaurant à Reichshoffen et de deux autres distributeurs. Au moment de la publication de l'article, la mairie n'avait pas repris contact après nos sollicitations.
Vente à emporter non respectée
“À la base, c’est fait pour prendre à emporter et consommer ailleurs”, tient en effet à rappeler Cagdas Durna tout en reconnaissant qu’en “sortie de discothèque, les personnes ont tendance à squatter”. “Même moi ça m’embête. Si j’habitais là, je pense que je le vivrais mal”, admet-il. Dépité par la situation après un investissement financier important, il précise qu’au niveau légal, tout a été fait dans les règles. “On a pensé à tout, sauf à la bêtise des gens.”
On a pensé à tout, sauf à la bêtise des gens.
Cagdas Durna, gérant du distributeur
Pierre, qui réfléchit à fonder un collectif d’habitants, a demandé la fermeture du distributeur la nuit. Une proposition jugée, pour le gérant, impossible à mettre en place. Dans ce contexte, tous deux se rejoignent sur ce qui leur semble être la plus viable des stratégies à long terme : le déménagement du distributeur. Solution que Cagdas Durna se dit prêt à mettre en place et qui répond aux attentes de Pierre pour que “l’été prochain ne soit pas un calvaire”.
“J’ai investi 350 000 euros, mais pas le choix”, souffle le gérant. Cagdas Durna explique que des recherches en collaboration avec la mairie sont d’ores et déjà menées en ce sens. Encore faut-il trouver un emplacement répondant aux réglementations, ce qui n’est pas chose aisée, indique-t-il. Il est toutefois déterminé à poursuivre en ce sens. “Dès que l’on a un autre local, on prend notre distributeur et on s’en va.”
*Le prénom a été changé.