Pourquoi un producteur de foie gras bloque un projet de maison médicale dans le Bas-Rhin

Depuis décembre 2022, un projet de maison médicale à Soultz-les-Bains (Bas-Rhin) est au point mort. L'éleveur de canards, installé à proximité, n'a rien contre, mais pas autour de son exploitation et se réfère à la loi. L'affaire sera portée devant le tribunal administratif.

Le projet d'une maison médicale est source de tensions dans la commune de Soultz-les-Bains, dans le Bas-Rhin. L'éleveur de canards, installé à proximité du futur établissement de santé, ne veut pas que ce dernier voie le jour dans le périmètre de son exploitation, et a déposé un recours.

"Le projet est simple, c'est de construire une maison médicale accessible pour tous", explique Nicolas Friederich, pharmacien de Soultz-les-Bains. Son officine, installée au milieu de la très passante rue de Molsheim, n'a pas de place de parking, et n'est accessible que par des escaliers. Loin d'être l'idéal pour les parents qui ont leur poussette, les personnes handicapées ainsi que les seniors.

Le docteur en pharmacie souhaite donc voir naître un nouvel endroit, pour y faire venir deux médecins généralistes et trois infirmières libérales, à quelques centaines de mètres de là (voir carte ci-dessous).

Une querelle de voisinage sans voisins

"Le projet est d'utilité publique. Tout le monde y gagnerait ! Non seulement les riverains, mais aussi la commune, les médecins, les pharmaciens... Et même les personnes qui ont déposé un recours contre, car tout le monde a besoin d'être soigné tôt ou tard", assène-t-il.

Les personnes qu'évoque Nicolas Friederich, ce sont les producteurs de foie gras de l'entreprise Lucien Doriath présents à Soultz-les-Bains depuis 1986. Ils s'opposent à la construction de la maison médicale, qui doit sortir de terre à quelques mètres de leurs locaux, situés au 30A de la rue de Molsheim.

Les éleveurs revendiquent qu'en raison de leur activité agricole, rien ne peut être construit autour de leur exploitation dans un rayon de 100 mètres et que la maison médicale pourrait être gênée par les nuisances. Des arguments que ne comprend pas Nicolas Friederich, pour qui ces nuisances n'existent pas.

Je ne comprends pas comment on peut s'opposer à ce genre de projet.

Nicolas Friederich

Pharmacien à Soultz-les-Bains

Malgré un permis de construire validé par la mairie, le gérant de l'exploitation a déposé un recours administratif en décembre 2022, bloquant ainsi tous travaux : "Pour l'instant, j'ai les deux maisons, mais je ne peux pas en faire grand-chose", ne peut que constater le pharmacien qui s'interroge sur les motivations de l'éleveur. "On parle d'un projet d'utilité publique, où on va regrouper les activités de santé du village et du secteur. Je ne comprends pas comment on peut s'opposer à ce genre de projet, encore plus en zone rurale."

Surtout, Nicolas Friederich fait remarquer qu'en 2011, l'éleveur a bénéficié d'un arrêt préfectoral qui lui a permis de s'installer à proximité des maisons. "Je pense qu'un principe de réciprocité doit s'appliquer. Si lui a le droit de déroger à la règle, les autres ont le droit de conserver leur droit de propriété et de faire ce qu'ils veulent sur leur terrain."

Sur place, notre équipe a voulu en savoir plus sur les motivations de l'éleveur et producteur de foie gras, Mickaël Doriath. "Notre activité est classée ICPE, ce qui engendre un périmètre d'inconstructibilité de 100 mètres autour de l'exploitation. Dans le projet de pôle de santé, les maisons doivent être démolies pour qu'on reconstruise dessus. Ce n'est pas possible."

L'éleveur s'inquiète surtout pour la pérennité de son activité. "Si on autorise ce projet, la distance pour toute nouvelle construction passerait de 100 à 30 mètres et on pourra nous l'opposer. Demain, on peut avoir une densité beaucoup plus importante, des nouveaux riverains et du coup des plaintes pour nuisances. On a peur que ça altère notre travail. Aussi, il y a la possibilité qu'à l'avenir, on ne puisse pas s'étendre."

La mairie favorable au projet

Le maire de la commune Guy Schmitt est favorable à la maison médicale. Pour lui, il n'y a aucune impossibilité à construire ce pôle de santé. Car lorsque Nicolas Friederich a commencé à évoquer le projet avec la mairie, ni le notaire, ni l'agence immobilière n'ont fait remarquer l'existence d'un arrêté préfectoral indiquant l'existence de ce retrait de 100 mètres obligatoire autour d'un bâtiment d'élevage. "Malheureusement, il n'y a aucune trace de ce retrait obligatoire dans notre plan d'occupation de sols."

Face à l'imbroglio juridique créé, le tribunal administratif a proposé une médiation que Nicolas Friederich et la mairie ont acceptée. Seulement, elle a été refusée par l'éleveur. "Je crains que ce projet ne se fasse pas. Ce serait dramatique", se désole l'élu. Selon lui, il n'y a pas d'autre terrain où la maison médicale puisse voir le jour. Ce que Mickaël Doriath réfute. 

Le tribunal administratif se penchera prochainement sur ce cas complexe. S'il donne raison à la société Lucien Doriath, Nicolas Friederich ne pourra pas reconstruire de bâtiment et ne pourra que revendre les maisons, achetées 500.000 euros.