Après cinq semaines de débat dans le cadre du procès du déraillement mortel du TGV Est à Eckwersheim, c'est au tour des personnes morales d'être entendues. À la barre, la filiale de la SNCF en charge des essais, Systra, ouvre le bal d'un interrogatoire technique mais crucial.
Ce lundi 22 avril s'ouvre la sixième semaine d'audience du procès de l'accident de la rame d'essai de la LGV Est Européenne, qui avait fait onze morts le 14 novembre 2015. Après l'interrogatoire du conducteur, du cadre traction et du pilote, c'est au tour des personnes morales d'être interrogées.
Les deux premiers jours de la semaine sont consacrés à l'entreprise Systra, filiale de la SNCF en charge des essais, accusé de "blessures et homicides involontaires par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité". Un interrogatoire capital donc pour comprendre les raisons de cet accident mortel historique.
À la barre, le représentant de Systra pour répondre aux questions du Tribunal judiciaire de Paris est Nicolas Massart, le directeur technique de l'entreprise. Il n'était pas à ce poste au moment de l'accident, son prédécesseur ayant quitté le groupe en 2021.
La sécurité au cœur des débats
Cinq thématiques occuperont ces deux journées d'interrogatoire. La première, et pas des moindres : la sécurité et ceux qui en ont la charge durant cette campagne d'essais. Alors que l'ex-PDG de la SNCF, Guillaume Pépy, incombait cette charge à Systra lors de son audition, la juge cite également plusieurs éléments tirés de contrat notamment que " le client [NDLR : Systra] est responsable de la sécurité des personnes (...) et responsable des collaborateurs et ou sous-traitant du prestataire dès qu’ils pénétreront dans le train."
Sans se démonter, de manière posée mais parfois un peu confuse, le directeur technique tente de convaincre : "Systra avait une responsabilité concernant l'exploitation de la ligne mais SNCF Mobilité était en charge de la conduite du train, domaine où nous n'avons aucune compétence".
Un point qui n'aura pas échappé à la présidente, qui rebondit sur des échanges mentionnant l'implication du chef d'essai (salarié de Systra) dans la bonne conduite du train. Véritable ping-pong de réponses, l'interrogé se défend : "Durant l'essai, un certain nombre de mesures sont effectuées et c’est dans ce cadre que le chef d’essai peut demander de réduire ou d’accélérer la vitesse au conducteur : mais cela ne rentre pas dans le champ de la conduite."
Je n’imagine pas le chef d’essai Systra dire au conducteur que chaque pallier de vitesse doit être atteint
Nicolas Massart, directeur technique de Systra
Un manque se fait ressentir durant cette journée : Freddy M., le chef d'essai employé par Systra et qui a péri durant l'accident. Alors que le directeur technique affirme que tous les paliers de vitesse maximale n'étaient pas à atteindre, la juge s'interroge :
- "Cela signifierait que le chef d'essai a explicitement dit au chef de conduite que ces paliers-là étaient à atteindre, et ceux-là non ? C'est une information extrêmement intéressante, cela signifierait qu'ils auraient tous mal compris."
- "Je n’ai pas d’enregistrement, ni de preuves factuelles que cet échange ait eu lieu, mais il est clairement prévu dans la procédure, répond l'intéressé. Je n'imagine pas le chef d’essai Systra dire qu’il faut que chaque palier soit atteint."
Un risque de déraillement suffisamment considéré ?
Concernant l'analyse de risques réalisée par Systra concernant ces essais, la juge relève l'absence de la mention "déraillement" dans l'analyse, "il n'est envisagé qu'en cas d'irruption d’un animal ou d’un objet sur la voie." Le directeur technique rappelle que le risque est bien identifié, même si le mot n'apparaît pas en tant que tel.
Autre point d'interrogation, le passage de la vitesse du train de 330km/h à 176km/h en amont du virage : "C’est quelque chose de très classique qu’un conducteur peut réaliser souvent, ce sont des gestes de conduite normaux pour un conducteur", justifie le représentant de Systra.
"Alors comment expliquer que lors des essais du 11 novembre, ce risque de survitesse s'est produit ?", interroge la juge. Le directeur technique botte en touche. "Je n’ai pas de témoins côté labo qui auraient assisté à ça. Nous avons les rapports de Monsieur M., qui est quelqu'un de très rigoureux, je l'imagine mal ne pas l'avoir rapporté." Encore une fois, le chef d'essai manque cruellement au débat.