Alsace : comment vivre avec le moustique tigre, un insecte envahissant et très surveillé

Le retour des beaux jours signe également le retour de la cohabitation avec le moustique tigre. Implanté d'abord à Schiltigheim en 2014, il a depuis colonisé une bonne partie de l'Alsace. Il n'est plus question de l'éradiquer, mais de limiter sa prolifération. 

Rien de plus agréable que de se prélasser dans un transat, se laisser bercer par la torpeur estivale, au milieu de son jardin, s’il n’y avait pas… le moustique tigre.

Il est plus petit qu’une pièce d’un centime, joliment tigré noir et blanc, mais "Aedes Albopictus" de son nom savant, n’a rien pour séduire. Sa femelle pique allégrement et en journée s’il vous plaît, avant que ses congénères autochtones ne prennent le relais à la nuit tombée, de quoi passer des étés infernaux.

« Nous sommes partis en vacances en Bretagne l’été dernier, et sans aucune envie de rentrer sur Schiltigheim. On savait que ce serait invivable dans le jardin » raconte Pierre Steffanus, un habitant du quartier des Malteries de Schiltgheim, colonisé par le moustique tigre depuis 2014.  « Nos filles ne sortent plus en été et se calfeutrent à l’intérieur de la maison et cela peut durer jusqu’en octobre si les températures restent clémentes » poursuit-il. « Chaque fois que je sors arroser, j’ai une trentaine de piqûres en quelques minutes », ajoute Justine Genet sa compagne.

 

Adopter les bons gestes

Cette famille a pourtant adopté les bons gestes : port de vêtements amples et longs, application de répulsif avant chaque sortie, mais cela n’est pas suffisant. Alors Pierre a installé des moustiquaires à chaque fenêtre de la maison, et surtout le couple surveille très attentivement une à une les coupelles de pots de fleurs disséminés dans le jardin. « Hors de question de laisser de l’eau stagner, nous savons que c’est dans ces résidus d’eau que la femelle du moustique tigre adore pondre » explique-t-il. Une grande moustiquaire solidement fixée à l’aide d’un câble élastique a également été installée au-dessus du fût de récupération d’eau de pluie.

 

 

Pour aider les particuliers dans cette lutte au quotidien, la Brigade verte dans le Haut-Rhin et le syndicat de lutte contre le moustique (SLM) dans le Bas-Rhin, tous deux missionnés par l’agence régionale de santé (ARS) n’hésitent pas à faire du porte à porte et proposent de passer en revue les jardins familiaux pour délivrer de précieux conseils.

« Nous vérifions que les moustiquaires sont bien installées sans espace libre et surtout nous traquons les moindres réserves d’eau » explique Christelle Bender, la responsable du syndicat de lutte contre le moustique. « Dès fois, il suffit de retourner et vider ces coupelles d’eau, fonds d’arrosoir, et bacs, mais il faut aussi bien frotter les bords avec une brosse en poils durs car c’est là que la femelle pond. Les adultes meurent avec le froid mais pas les œufs. Ils sont ultra résistants et peuvent rester en sommeil jusqu’à trois ans et n’éclore que lorsque les conditions climatiques sont favorables, et les œufs sont invisibles à l’oeil nu » ajoute Christelle Bender. Lorsqu’on sait qu’une femelle peut pondre jusqu’à 300 œufs en 4 jours, il y a de quoi être vigilant.

Les oeufs sont ultra résistants et peuvent rester en sommeil jusqu'à trois ans

Christelle Bender, du syndicat de lutte contre le moustique

 

Les municipalités aussi s’emparent très sérieusement de la question. A Schiltigheim, l’adjoint au maire EELV en charge du cadre de vie, Jean-Marie Vogt, explique  que « des informations pratiques de prévention sont régulièrement publiées dans le bulletin municipal. Des réunions sont aussi organisées avec les propriétaires des jardins familiaux ». L’adjoint reconnait  qu’ « il y a encore tout un travail à faire avec les syndics, les bailleurs sociaux. Car nombre de gouttières sont bouchées et cela forme des étendues d’eau. Les toits plats sont aussi problématiques. On pourrait imaginer des toits végétalisés, ce serait une bonne formule ». Bien sûr c’est au bon vouloir de chacun, il n’existe pour l’heure aucune loi coercitive.

Dans le cadre d’ateliers participatifs, la confection de nichoirs à chauves-souris a été organisée dans la ville. « Certes les chauves-souris mangent les moustiques, mais la nuit, donc pas le moustique tigre mais d’autres espèces autochtones» constate Christelle Bender « Il faudrait davantage tabler sur les hirondelles, qui elles sont très friandes d’insectes en journée et les attirer de nouveau en ville. Les poules sont également de bonnes alliées dans cette lutte, ainsi que les poissons dans les bassins et autres mares des particuliers ».

 

Dengue, chikungunya et virus Zika

Les collectivités tâtonnent encore,  mais la prise de conscience est là car le danger sanitaire rôde. En effet, le moustique tigre peut être vecteur de trois maladies : la dengue, le chikungunya et le virus Zika. Ces arboviroses sont des maladies virales transmises par un vecteur, le moustique tigre en l’occurrence. Responsables de fortes fièvres, douleurs articulaires, grosse fatigue, elles sont à déclaration obligatoire auprès des autorités sanitaires et peuvent revêtir des formes graves. « Le scénario que tout le monde redoute est qu’une personne porteuse d’une de ces maladies, qui revient d’une zone tropicale, se fasse piquer par un moustique tigre qui ensuite transmette ce virus à d’autres personnes, jusqu’à créer une épidémie » explique Amélie Michel, responsable des risques environnementaux à l’ARS Grand Est. « Différents scénarios sont prévus, l’idée étant d’agir le plus rapidement possible et de traiter la zone dans un périmètre de 250 mètres autour de la personne infectée. Ce que nous craignons, c’est que plus le moustique tigre va proliférer, plus le risque est grand. »

 

 

Les collectivités d’Outre-mer sont régulièrement confrontées à de telles épidémies et sont obligées de traiter à l’insecticide de larges zones. La métropole pourrait connaître le même sort. Au 1er janvier 2021, 64 départements de métropole sont d’ores et déjà colonisés par Aedes Albopictus. Le réchauffement climatique n’aide pas, car plus il fait chaud plus les œufs vont éclore, au-dessus de 20 degrés.

 

C'est un moustique qui aime se faufiler dans les voitures, les roues des camions, c'est comme ça qu'il voyage à travers le monde

Olivia Renoux, du syndicat de lutte contre le moustique

Pourtant ce moustique tigre n’est pas de nos contrées. C’est une espèce invasive qui nous vient des forêts tropicales d’Asie-Est. Il a commencé à coloniser le sud de la France au début des années 2000. En 2014, alors que rien ne le laissait présager, le moustique tigre a été repéré pour la première fois à Schiltigheim, la troisième plus grande ville du Bas-Rhin collée à la métropole alsacienne. Et pas n’importe où, dans le quartier des Malteries, qui jouxte l’énorme brasserie Heineken.

 

 

Le moustique tigre est voyageur, c’est un adepte du transport routier. C’est en tout cas l’hypothèse privilégiée retenue par le syndicat de lutte contre le moustique en charge de sa surveillance dans le Bas-Rhin.  « Les premiers moustiques tigres ont été retrouvés à côté de la brasserie. C’est un moustique qui aime se faufiler dans les voitures, les roues de camion, c’est comme ça qu’il voyage à travers le monde » explique Oliva Renoux du SLM. Une brasserie qui en plus de générer un important flux de camions stocke également quantités de fûts de bière. Sur les rebords, de l’eau peut facilement stagner et la femelle privilégie ces endroits sombres et humides pour pondre.

 

L’opération de la dernière chance en 2015 à Schiltigheim

En 2015, le moustique tigre était encore isolé dans un périmètre restreint à Schiltigheim. L’Agence régionale de santé espérait alors pouvoir l’éradiquer complètement. L'été de la même année, un traitement à base de pyrèthre a été mis en place sur une zone de 30 hectares autour du quartier des Malteries. Mais l’opération de la dernière chance fut un échec. Les propriétés privées n’avaient pas été traitées et deux semaines plus tard, les autorités ont constaté que le moustique avait pu recoloniser le terrain.

 

 

Depuis, il est surveillé et de très près. Comment ? Grâce à des pièges pondoirs disséminés sur le territoire, dès que sa présence est signalée sur un nouveau secteur. Rien que dans le Bas-Rhin, plus de 80 pièges ont été installés. Un piège pondoir, c’est un petit seau contenant de l’eau, un peu de foin et un morceau de polystyrène sur lequel va venir pondre la femelle. Tous les 15 jours, ce morceau de polystyrène va être récupéré et remplacé par un autre. L’équipe du syndicat de lutte contre le moustique va ajouter à chaque visite un larvicide dans l’eau pour détruire les larves et éviter ainsi qu’un foyer de prolifération se développe. Les œufs récupérés sont ensuite systématiquement analysés au microscope à l’institut de parasitologie de Strasbourg pour s’assurer qu’il s’agit bien du moustique tigre.

 

 

Pour l’heure, il n’existe aucun traitement à grande échelle sur le continent, si ce n’est la prévention.

 

Les scientifiques s’intéressent à cette petite bête depuis fort longtemps

Evidemment les scientifiques s’intéressent à cette petite bête depuis fort longtemps. On ne le sait pas assez mais le moustique en général est l’animal qui tue le plus l’homme : 750.000 décès chaque année dans le monde. L’anophèle, vecteur du paludisme, étant le plus meurtrier des moustiques.

Strasbourg compte un des rares insectariums du territoire (une émanation conjointe de l'Université, l'INSERM, et le CNRS). Dans ce laboratoire ultra-sécurisé, les chercheurs étudient cinq espèces de moustiques dont notre fameux moustique tigre. Pour ce faire, ils ont de vraies chambres d’élevages, dans lesquelles se reproduisent les moustiques : il y fait en permanence 26 degrés avec un taux d’humidité à 70%.

 

 

Leur étude consiste à rendre la lignée stérile. « Nous menons tout un travail sur le sexage » raconte Célia Lutrat, doctorante. « Cela va nous aider à déterminer facilement les sexes. Grâce à une modification génétique, nous obtenons des marqueurs qui rendent les larves mâles fluorescentes » poursuit-elle. Ensuite les mâles sont rendus stériles. « Le but est qu’une fois relâchés dans la nature, ils ne pourront plus féconder les femelles et on aboutira à une diminution de la population » ajoute Eric Marois, chargé de recherches à l’INSERM et collègue de Célia Lutrat.

Une étude qui ouvre de nouvelles perspectives en matière de lutte contre ce moustique, mais qui en est encore au stade de recherche expérimentale. « Cette méthode est déjà éprouvée sur les ravageurs de culture ou sur la mouche tsé-tsé, mais nous n’en sommes de loin pas à ce stade » renchérit Eric Marois.

Il faudra donc continuer à vivre avec cette petite bête, tant bien que mal. Et adopter au quotidien les bons gestes de prévention.

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