Ils sont onze millions en France, plusieurs milliers sur l'Eurométropole de Strasbourg : les aidants, qui soutiennent affectivement, matériellement, financièrement, un proche, ont eux-mêmes besoin, souvent sans le savoir, d'aide. La plateforme d'accompagnement et de répit "Les Madeleines" est là pour eux.
C'est un petit bureau, au sein d'une résidence pour personnes en perte d'autonomie à Lingolsheim, au sud de Strasbourg, où se croisent deux psychologues, trois assistantes de soins en gérontologie et la coordinatrice. À elles six, elles font tourner la plateforme d'accompagnement et de répit des aidants "Les Madeleines". Elles ne s'occupent pas des malades, comme l'accueil de jour voisin, mais de ceux qui les accompagnent au quotidien, les aidants.
Derrière ce mot, un statut, que la petite équipe aime définir selon la législation québécoise. "Est aidant toute personne qui apporte un soutien à un ou plusieurs membres de son entourage qui présentent une incapacité temporaire ou permanente de nature physique, psychologique, psychosociale ou autre, peu importe leur âge ou leur milieu de vie, avec qui elle partage un lien affectif, familial ou non." Une aide qui peut durer plus ou moins longtemps et passe aussi bien par l'aide aux soins, que par les courses, le transport, voire l'hébergement.
"Notre premier rôle, bien souvent, explique Sabrina Bizon, l'une des deux psychologues de la structure, c'est d'aider les personnes à s'identifier comme aidant. Bien souvent, ils aident leurs parents, leur conjoint, un membre de la famille, donc pour eux "c'est normal d'aider sa mère ou son mari"..."
Sauf que l'état, psychologique, physique, financier, dans lequel cet accompagnement mène certains aidants est tout sauf normal. "Quand il y a des pertes d'appétit, de sommeil, des gens qui ne s'étonnent même plus de ne dormir que cinq heures par nuit depuis des années, tous les voyants sont au rouge, alerte Karen Fernandes, la seconde psychologue des Madeleines. On a tous les symptômes du burn-out."
Un soutien psychologique gratuit
Épuisement, isolement, charge mentale : ce sont les mots utilisés par ces professionnelles pour alerter sur la question de la santé des aidants. "Nous sommes là pour les écouter, les déculpabiliser et les sensibiliser à leur état de santé à eux, expose Jennifer Meyer, qui coordonne la plateforme.
Un aidant sur trois décède avant la personne qu'elle accompagne, ce qui montre bien qu'elle le fait au détriment de sa propre santé.
Jennifer Meyer, coordinatrice de la plateforme Les Madeleines
Roland Georges dit, lui, qu'il s'est d'abord senti "complètement perdu" lorsque sa femme Gabrielle, atteinte d'une variante de la maladie de Parkinson, est devenue en quelques mois totalement dépendante de lui. À 75 ans, cet informaticien à la retraite, qui fait le choix de s'occuper de son épouse à domicile, a dû organiser la venue d'auxiliaires de vie, deux fois par jour, les rendez-vous avec le kiné, l'orthophoniste... et gérer seul tout le reste, courses, repas, ménage, soutien affectif. Il estime que 80% de son temps y est consacré, et sans aucun doute, 100% de sa charge mentale.
Un jour, une assistante sociale lui parle des "Madeleines" à Lingolsheim. Il y trouve d'abord simplement des conseils, des contacts. "Ce n'est pas notre rôle, mais bien sûr, nous pouvons orienter vers les bons services, les travailleurs sociaux, donner un coup de pouce", explique Jennifer Meyer.
Qui oriente ensuite vers l'idée de s'entretenir avec une psychologue. "Je vous le dis franchement, j'étais sceptique, se souvient Roland Georges. Je ne pensais pas en avoir besoin. Et maintenant, je peux vous le dire, jamais, je ne reviendrai en arrière." Une fois par mois, il a rendez-vous avec Sabrina Bizon en qui il a trouvé "une interlocutrice extérieure au cercle familial, qui en même temps me connaît un peu, et à qui je peux confier tout ce que je ne dirais jamais à ma famille, mes enfants...
A ma psychologue, je peux dire quand j'en ai vraiment marre, quand j'ai envie de tout laisser tomber...
Roland Georges, 75 ans, aidant
Se confier, partager aussi avec d'autres aidants, "qui vivent les mêmes malheurs que moi". Roland peut les rencontrer lors des "rendez-vous des aidants" que la plateforme organise deux fois par mois. Elle offre également des temps de formation, grâce à des ateliers thématiques. Et s'associe régulièrement à des associations qui proposent de la sophrologie, de l'art-thérapie, toutes ces activités qui favorisent la détente et le bien-être.
Roland Georges profite d'ailleurs, deux fois par mois, de séances de sophrologie, en visio ou en présentiel. Des séances gratuites, comme les ateliers et le suivi psychologique individuel. "L'aspect financier, c'est quelque chose qui peut prendre beaucoup de place aussi dans les difficultés rencontrées", glisse Jennifer Meyer.
Des temps de répit de 3 à 36 heures
L'autre volet d'action précieux de la plateforme, c'est le répit. Des temps durant lesquels la personne malade dont ils s'occupent est entièrement prise en charge. "Nous avons des "relayeuses", des assistantes de soins, qui se rendent au domicile pour prendre le relais de A à Z, pour des temps allant de 3h à 36h. Pour que les aidants aient un vrai répit, il faut qu'ils puissent cesser de s'inquiéter. Et donc confier leur proche malade à un professionnel, qu'ils soient en totale confiance."
Il en coûte 9 euros de l'heure aux aidants, contre 26 euros de l'heure par exemple par la société à laquelle Roland Georges fait appel pour les auxiliaires de vie qui s'occupent des soins quotidiens de son épouse. Le septuagénaire a ainsi pu se dégager, grâce à ces temps de répit proposé par les Madeleines, jusqu'à deux après-midis pour lui par mois depuis la rentrée. "Au début, je ne savais même pas quoi faire, sourit le retraité. Là, je commence à m'organiser, pour reprendre certaines de mes activités, du bénévolat chez Emmaüs Connect, le conseil des aînés de ma commune..."
600 aidants accompagnés dans l'Eurométropole de Strasbourg
Après cinq ans d'existence, les Madeleines ont déjà accompagné plus de 1 000 aidants, elle en suit aujourd'hui 600. "Sur un bassin de population comme l'Eurométropole de Strasbourg, où il y a un bassin de population de 500 000 personnes, nous pourrions suivre bien plus de personnes. Encore faut-il qu'elles sachent que nous existons. Il faut que le réseau de suivi médical les oriente vers nous. Rien que de savoir que des structures comme la nôtre existe, ça rassure. Ils se sentent moins seuls."
Dans le Bas-Rhin, seules trois plateformes, sous l'égide de l'agence régionale de santé, se partagent ainsi le suivi des aidants : les Madeleines à Lingolsheim, le Trèfle à Bischwiller et Amaelles à Sélestat.