Street art et graffitis cherchent encore leur place à Strasbourg

Ephémères et populaires, les oeuvres d’art urbaines gagnent en légitimité dans les villes françaises. En 2018, la municipalité strasbourgeoise promet de redoubler d’efforts pour rattraper son retard. Un encouragement tardif et timide selon les artistes.

Difficile de passer à côté...  Les oeuvres de street art et les graffitis envahissent les murs de nos villes, un développement plébiscité sur les réseaux sociaux. Sur Instagram, le hashtag #streetart totalise 35 millions de publications, contre 30 millions pour le #graffiti



Mais alors, où en est l'art urbain à Strasbourg ? Pas vraiment en avance mais pas totalement en retard, pourrait-on résumer. Car 2018 devrait marquer un tournant. La Ville vient de publier une carte interactive et participative pour retrouver, en un seul clic, toutes les oeuvres éphémères présentes dans l'Eurométropole. Une opération à 10 000 euros : preuve que la mairie s'investit. 



Strasbourg, ville de création?


Consciente de l'attrait de ces oeuvres de rue sur les habitants et les touristes, la municipalité évoque "une phase de rattrapage". "Nous voulons promouvoir Strasbourg comme une ville de création et plus uniquement pour son patrimoine historique", explique Alain Fontanel, premier adjoint, en charge de la culture. 



Une volonté confirmée par Paul Meyer, adjoint au tourisme : "Ce qui manque à la ville, c'est le côté alternatif." L'élu assure vouloir soutenir cet art "qui se répand et auquel les gens tiennent de plus en plus. Et puis ça apporte quelque chose, dans des quartiers populaires, sur certains murs qui étaient délaissés et tristes, ça permet de rendre les habitants fiers de leur territoire ou de valoriser des morceaux de rue qu’on avait un peu oublié." Ce dernier a d'ailleurs confié l'embellissement de la façade de sa mairie - quartier Gare - aux street artistes. 

"Un jeu de l'hypocrisie"


Si les artistes locaux saluent dans l'ensemble l'évolution de la politique municipale, ils n'en émettent pas moins des réserves. L'un d'eux évoque "un jeu de l'ypocrisie" quant aux manques de moyens dévolus et au manque de considération. Pisco, célèbre street artiste, déplore que la municipalité ait fait appel à des artistes new-yorkais pour les 20 ans du Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS). "Il y a des gens qui travaillent ici depuis les années 90. Nous ne sommes pas aidés. Ca aurait du être des Strasbourgeois. On préfère aller voir ailleurs plutôt que de regarder ce qu’on a ici." Le Strasbourgeois assure avoir essuyé un refus pour un projet similaire il y a trois ans.  


Peindre ou taguer des murs reste un acte de vandalisme, illégal. Le contrevenant risque jusqu'à 75 000 euros d'amende et cinq ans de prison. Dans les faits, les graffitis sont de plus en plus tolérés, dès lors que le propriétaire du mur ne s'y oppose pas. Certains artistes bénéficient d'une quasi-immunité politique. Dan23 ne s'est pas fait arrêté depuis plusieurs années, autorisé à peindre dans le centre-ville. "Je fais un peu partie du paysage culturel de Strasbourg donc quand la police passe, ils me laissent tranquille", explique-t-il. Or, cet accord a eu un effet direct sur sa pratique. "Depuis que j’ai plus ou moins l’autorisation, je mets du sens dans mes peintures, parce que c’est une chance de pouvoir s’exprimer."



Pour d'autres, cela dépendra surtout de la bonne grâce de la personne qui va contrôler l'artiste comme l'explique Seku Ouane : "Les graffitis sont tolérés dans le sens où personne ne nous embête mais on n'a pas de papiers qui affirme la légalité de ce qu’on est en train de faire." La plupart d'entre eux échappent aux contrôles, qui se font plus rares. Par ailleurs, la justice a reconnu le graffiti comme une oeuvre d'art éphémère en 2006. 

Ainsi, ces artistes de l'ombre colorent les rues et contribuent au rayonnement de la capitale alsacienne avec l'aval, plus ou moins explicite, des autorités. En outre, de plus en plus d'événements promeuvent dans un cadre plus défini l'art urbain. Cette tolérance révèle, selon certains artistes, une forme de malhonnêteté. Souvent sollicités par la municipalité pour les festivals, les graffeurs ne seraient quasiment pas payés pour leur prestation ou pour leur matériel : "La Ville fait des efforts mais ne rémunère pas bien ses artistes, car l'art de rue est assimilé à de l’art gratuit [...] On est considéré comme des sous artistes, un autre corps de métier aurait été payé pour le Off de Noël", explique Seku Ouane. 


L'art pour tous


L'arrivée d'oeuvres éphémères en centre-ville participe aussi à leur rencontre avec le grand public. Dan 23 affirme ne pas peindre dans les friches industrielles, pour démocratiser l'art. "Dans la rue, tu rencontres tout le monde et des gens qui n’y ont pas accès surtout, explique le Strasbourgeois. C’est pour ça que je peins. J’ai une galerie, mais je me rends bien compte que les gens ne vont pas dans les galeries, j'amène la galerie dehors." 




C'est pourtant bien sur un lieu fermé que la Pop'Artiserie a misé. La galerie, ouverte en 2013, a reconverti une cour de la Renaissance en royaume de l'art urbain. Enfermer des oeuvres de rue entre quatre murs permettrait de mieux les valoriser. Ce mouvement artistique a suscité un engouement croissant sur le marché de l'art ces dernières années. "Nous sommes à un moment important de l’Histoire de l’art, il a une valeur (...) Ce sont les galeries qui ont permis à l’art abstrait, au cubisme, à l’expressionnisme l’impressionnisme de sortir, de se faire connaitre", explique son cofondateur. Erwann Briand se définit comme un "promoteur" tout en reconnaissant la relation ambivalente que peuvent entretenir un artiste et une galerie. 


A Strasbourg, l'art urbain tâtonne, mais gagne en légitimité. De nombreux événements auront lieu cette année dont  le NL Contest, la projection du film de Banksy et les 20 ans du MAMCS. La mairie a aussi confié la décoration de 27 caissons électriques et 6 murs à des street artistes. 

Un reportage d'Auberie Perreaut et Guillaume Bertrand, avec Vincent Roy, Olivier Stephan, Manuel Ruch et Stéphanie Tessier. 
 

 

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