C'est un lieu de transit pour les primates. Les singes, les lémuriens ou les capucins qui se trouvent à la plateforme de primatologie de l'Université de Strasbourg, sont destinés à l'expérimentation animale. Ils restent quelque temps au laboratoire Silabe avant de rejoindre leur destination finale, soit, la plupart du temps, les laboratoires pharmaceutiques. Un maillon dans une chaine de la recherche expérimentale.
Ce pourrait être un énoncé d'épreuve de philosophie au Baccalauréat. "La santé de l'homme justifie-t-elle le recours à l'expérimentation animale". Vous avez quatre heures.
En attendant que la société trouve une alternative, le débat la secoue et la réalité s'impose : l'expérimentation sur les animaux perdure dans le cadre de la recherche pharmaceutique.
Près de Strasbourg, dans l'ancien fort Foch s'est implanté le Silabe, un centre de primatologie. Il accueille des animaux d'élevage durant une période donnée, avant leur départ pour les laboratoires de recherche des industries pharmaceutiques (entre autres). Le personnel, qui y assure le quotidien, les soins et le bien-être des singes, lémuriens et autres primates, est convaincu et témoigne du bienfondé de leur activité.
"Au nom de la science", c'est un documentaire, réalisé par Jean-Michel Dury, à voir en ligne ici. Voici trois bonnes raisons de le visionner.
1. Pour s'informer sur un système controversé
L'Union Européenne a réglementé dans une directive de 2010 (applicable depuis le 1ᵉʳ janvier 2013) le recours, la protection et le bien-être des animaux destinés à la recherche. Selon la responsable du bien-être animal, cette directive " qui encadre l'utilisation des animaux à des fins scientifiques est l'une des plus strictes au monde en matière de bien-être animal". Chaque établissement qui accueille des animaux destinés à la recherche expérimentale se doit d'appliquer ces règles de protection des animaux, de veiller à leur bien-être et est contrôlé une fois par an. Les règles sont encore plus strictes pour ce qui concerne les primates. Il est désormais interdit de faire de l'expérimentation sur les grands singes.
Le centre de primatologie Silabe, installé dans l'ancien fort Foch, est soumis à cette directive, même si les primates qui s'y trouvent ne font pas l'objet d'expérience durant leur séjour. Ils sont préparés pour les commandes des clients du centre, c'est-à-dire les laboratoires pharmaceutiques. Et quand ils atteignent l'âge, le poids voulu, ils partent pour ces laboratoires, où les expériences pourront débuter.
Des examens peuvent être pratiqués sur eux, tels que des prises de sang ou des ponctions de liquide céphalorachidien, pendant leur séjour au Silabe. Ces examens préliminaires, effectués sous anesthésie, permettent de réduire les expérimentations réalisées ensuite dans les laboratoires, en leur donnant accès à de nombreuses données préalables, utiles dans le cadre de leurs recherches. Une des vétérinaires du centre se réjouit : " c'est beaucoup moins invasif, ça participe à réduire le nombre d'animaux utilisés, le nombre de tests réalisés sur eux et d'avoir des résultats beaucoup plus précis."
Parfois aussi, des étudiants de l'Université de Strasbourg viennent effectuer des observations sur les singes présents, dans le cadre de leurs doctorats. Quelles actions sont-ils capables de faire ? Comment interagissent-ils entre eux ? Peuvent-ils s'entraider pour agir ensemble ? Mais il ne s'agit là que d'observation.
Ainsi, le personnel du Silabe soigne et nourrit les singes avant que les étapes, qui soulèvent la polémique, ne débutent. Le bien-être animal est leur cheval de bataille.
Pourtant, la polémique gronde contre cette forme de recherche appliquée, alors pourquoi ne pas visionner ce documentaire pour tenter d'y voir plus clair. Car, comme l'indique une des vétérinaires du centre, " les singes, c'est comme un miroir : on s'identifie beaucoup, c'est ce qui choque les personnes. (...). Je peux comprendre ceux qui sont contre l'expérimentation animale et j'accepte cette différence, mais c'est une différence basée sur de mauvaises informations : les mauvaises images passent facilement et les personnes se laissent porter par leurs émotions fortes. J'aimerais montrer la réalité de l'expérimentation qui a un impact tellement positif et important sur la santé : on en bénéficie tous les jours."
2. Parce que vous pensez que la fin justifie les moyens
Même si les techniciens animaliers, les vétérinaires et autres soigneurs ne participent pas aux expériences à proprement parler, tous sont d'accord pour accepter ce recours ultérieur. La responsable du bien-être animal explique [qu']" on a encore besoin d'utiliser l'animal pour reproduire tous les phénomènes physiologiques qui se passent lorsqu'on teste un nouveau médicament." Notamment dans les pathologies invalidantes telles que Parkinson et Alzheimer.
Il faut accepter que tout le temps qu'ils ont passé avec nous, c'était du bon temps et que là où ils vont après, ils serviront à la santé humaine.
Une zootechnicienne du Silabe
Avec un brin de fatalisme, une zootechnicienne déclare :" malheureusement, ils naissent pour servir l'homme. Sans eux, on n'aurait pas le Doliprane® quand on a mal à la tête, il faut voir même plus large, les traitements contre le cancer, le vaccin contre le Covid. Ils sont là au bénéfice de l'humain. Il faut accepter que tout le temps qu'ils ont passé avec nous, c'était du bon temps et que là où ils vont après, ils serviront à la santé humaine."
Pourtant l'argumentation a ses failles et c'est sans aucune ironie que la responsable du bien-être animal s'exclame : " quand on utilise les animaux pour des fins scientifiques, une des règles stipule que ces animaux doivent être élevés à cette fin". Ce que d’aucuns qualifieraient de tautologie. C'est comme ça parce que c'est comme ça. La subtilité réside dans le fait qu'on n'a plus le droit de prélever un animal sauvage pour l'expérimentation. Un mal pour un bien.
Et chacun de se retrancher derrière une vision d'une cause plus grande qu'eux, d'un système ainsi fait. Un employé développe : " on a l'impression en discutant avec les gens que les personnes qui font de la recherche biomédicale, ce sont des gens qui n'aiment pas les animaux. C'est tout le contraire : on est attachés à nos animaux. On essaye de faire au mieux, en sachant qu'on va aider la recherche, qu'on est là pour participer à un grand élan qui va permettre de trouver de nouveaux vaccins, des médicaments".
Ce qui est sûr, c'est que durant leur séjour au Silabe, aucune souffrance n'est infligée aux primates, ce qui permet au personnel d'assumer leur fonction.
Le personnel, au premier rang duquel le directeur, n'en reste pas moins sensible aux arguments de l'anti-expérimentation sur l'animal. " On ne peut pas ignorer les messages qui nous sont adressés. La réglementation a évolué sous la pression de la société (…). Et puis globalement, l'homme est plus sensible à ce qui se passe dans son entourage. (…). Ça permet de faire bouger les lignes, on ne peut que s'en réjouir. Personne ne veut infliger de la souffrance à un animal". Pourtant, la fin justifie les moyens. Et tant pis si le système ressemble à un grand marché, avec ses clients, ses commandes, ses utilisations et ses coûts. Il est ainsi fait.
3. Parce que vous pensez que l'homme est un animal comme les autres
L'homme est-il un animal comme les autres ? À cela, le Muséum national d'Histoire Naturelle donne cette explication : " La science, ayant mis en évidence les relations de cousinage entre les espèces, l'humain se révèle être une branche terminale parmi des millions d'autres, au sein de l'arbre généalogique du vivant. Une branche toute proche de celles des chimpanzés et du gorille. " La parenté avec certains primates suscite un effet miroir et donc beaucoup d'émotions à l'idée de les voir souffrir. Leur souffrance est notre souffrance.
Alors si l'on n'autorise pas certaines expériences sur l'homme, pourquoi l'autoriser sur son cousin ?
Les militants qui luttent contre l'expérimentation animale protestent justement contre toute forme d'expérience sur l'animal. Et ils font bouger les lignes, permettant, dans un premier temps, de protéger un peu plus les animaux, en relevant les normes du bien-être animal. Bien piètre résultat pour les partisans de l'arrêt pur et simple de l'expérimentation animale. Cette avancée servant presque de caution pour poursuivre dans cette voie. Mais si l'on ferme les centres d'expérimentation en Europe, où de nombreuses règles existent, ne risque-t-on pas de voir s'ouvrir des centres ailleurs avec beaucoup moins de règles protectrices, provoquant un mal opposé à l'effet voulu ?
Le témoignage d'une femme, photographe animalière, donne le contrepoint, dans un débat apaisé et respectueux avec le directeur du centre : "J'ai fait beaucoup d'effort pour pouvoir justifier, trouver une explication, rendre les choses acceptables. J'ai du mal avec le fait qu'un animal doit sacrifier sa vie pour hypothétiquement sauver des vies humaines."
Le chemin vers une solution acceptable pour tous, scientifiques et protecteurs des animaux est encore long. Reste une question sans réponse. Qui, du chercheur ou du militant contre l'expérimentation animale, est le plus hypocrite ? Celui qui se retranche derrière une grande cause et accepte de faire souffrir (ou de laisser faire souffrir) un être " au nom de la science" ? Ou celui qui bénéficie des médicaments et autres traitements en se pinçant le nez et en fermant les yeux ?