Chaque année, environ 200 cas de bébés secoués sont recensés en France. Un acte de maltraitance encore tabou. Dans les prochains mois, deux affaires seront jugées devant les assises du Haut-Rhin. Nous avons rencontré la famille d'Axel Puviland, atteint à quatre mois.
Lundi 4 février, il est 15h30 lorsqu’on nous faisons la connaissance d’Axel. Les heures sont significatives dans la vie de ce petit garçon, tant elles sont ponctuées de rendez-vous médicaux, paramédicaux, de prises de médicaments. 15h30, le lundi, c’est la première séance de kinésithérapie de la semaine qui débute pour lui, au domicile familial de Dambach-la-Ville.
"Il faut beaucoup de rééducation pour lui permettre de récupérer ne serait-ce qu’un peu d’autonomie" explique Sophie Puviland, la mère d’Axel, avant d’ajouter "normalement à son âge il devrait jouer pour jouer. Là, on le fait jouer pour le stimuler".
A 3 ans, le garçonnet souffre d’une infirmité motrice cérébrale. "Il ne marche toujours pas, ne dit que quelques mots simples, n’est pas propre…Il est angoissé, peureux, irritable, parfois déprimé et fragile. Son petit corps, très frêle, commence à subir des déformations en raison du manque de tonus et des informations erronées transmises aux muscles par son cerveau lésé" détaille-t-elle. Une situation de handicap qui n’a rien de congénitale. Elle est apparue en 2015, lorsque l’enfant était encore bébé.
"Nous avions nos rêves, nos projets, tout est brisé"
"Notre vie a basculé le 7 octobre 2015 à 17h quand mon téléphone portable a sonné, alors que j’étais au travail déjà en ligne avec une personne, à un quart d’heure de la fin de mon service. J’ai immédiatement décroché, voyant qu’il s’agissait de l’assistante maternelle agrée (ASMAT) en charge de la garde de mes deux enfants, qui tentait de me joindre. J’ai mis l’autre personne en attente, en lui promettant de la rappeler, chose que je n’ai jamais eu l’occasion de faire, n’ayant pas pu reprendre mon activité professionnelle depuis ce jour fatidique. Au bout de mon téléphone, l’ASMAT prononça les mots suivants : il faut venir immédiatement, Axel ne se réveille pas…".Très rapidement, l’employée du conseil départemental du Bas-Rhin ordonne à la nounou d’appeler le 15, saute dans sa voiture, les jambes flageolantes, le cœur battant. "J’ai tout de suite pensé que quelque chose de grave se passait. J’ai notamment pensé à la mort subite du nourrisson". Devant elle, 50 km de route à parcourir, plongée dans l’incertitude, le questionnement, l’angoisse. A son arrivée, Sophie découvre son fils inerte. "Il était allongé sur le plan de travail de la cuisine, entouré de l’équipe du Samu. Il était tout blanc, gémissait, mais ne bougeait plus."
Axel est immédiatement transféré à l’hôpital du Parc de Colmar où une batterie d’examens se révèle infructueuse. "J’étais effrayée à l’idée que j’allais peut-être perdre mon fils chéri, mon petit garçon de quatre mois et demi, si beau, si adorable, ce second enfant que nous avions tant désiré, tout comme sa sœur après un long parcours d’infertilité."
Epileptique, malvoyant, Axel ne peut être scolarisé
Pendant que le corps médical s’agite, les parents cherchent aussi à comprendre. Que s’est-il passé ? "Nous pensions que, peut-être, cette ASMAT avait fait du mal à Axel. Nous avons donc fait part de nos doutes à l’équipe médicale". Finalement un scanner est réalisé et le verdict tombe dans la nuit. L’enfant présente un hématome sous-dural aigu, une collection de sang dans le crâne entre les tissus des méninges qui entourent le cerveau, résultant généralement d'un traumatisme crânien grave. Le médecin du service de pédiatrie pose le diagnostic. Axel a été victime du syndrome du bébé secoué. Un diagnostic confirmé par une expertise médico-légale qui conclura que les lésions observées sont "la conséquence d’une mise en accélération violente de l’extrémité cervico-céphalique du nourrisson". Des lésions qui sont "forcément la conséquence de l’action d’un tiers".Cérébro-lésé, incapable de respirer sans machine, le corps médical annonce d’abord le pire aux Puviland - "votre fils est condamné, il va mourir" - avant de tenter l’opération de la dernière chance. "On ne nous promettait pas la survie de notre bébé et surtout, on nous avisait que notre fils, s’il survivait, ne serait plus jamais le même, compte tenu des importantes lésions cérébrales observées". Transféré à l’hôpital de Hautepierre, à Strasbourg, l’enfant est finalement sauvé. Mais il garde des séquelles extrêmement lourdes. Epileptique, malvoyant, entre autres, il ne peut pas être scolarisé. "Notre vie à nous a basculé en même temps que la sienne", confie la mère de famille qui a dû interrompre son activité professionnelle. "Tout le monde est impacté par le handicap. Rien n’est simple, on doit toujours réfléchir en fonction de ça. Axel avait un bel avenir, nous avions nos rêves, nos projets, tout est brisé".
Un constat amer, teinté de colère, dressé sur un coin de table. Il est 16h, c’est l’heure du goûter. Axel termine goulûment un gâteau avant de prendre sa maman par le cou à la recherche d’un câlin. Un moment de partage simple, tendre, normal, qui n’arrive pas à éclipser la souffrance de Sophie. "J’aimerais savoir ce qui s’est vraiment passé ce jour-là. Même si ça ne changera rien à l’état actuel de mon fils, ça me permettrait d’avancer, de faire mon deuil."
Des réponses, l’enquête judiciaire en a déjà apportée quelques-unes mais pour la famille, elles ne sont pas satisfaisantes. En garde à vue, la nounou, présumée innocente, a nié être à l’origine des troubles présentés par le garçonnet. Renvoyée devant les assises du Haut-Rhin pour violence volontaire ayant entraîné une infirmité permanente sur mineur de moins de 15 ans, elle sera jugée dans les prochains mois. Elle encourt 30 ans de réclusion criminelle.
Environ 200 cas recensés en France
En attendant, Sophie Puviland et son mari ont rejoint l’association nationale Tatiana, chargée d’accompagner et de soutenir les familles touchées par le syndrome du bébé secoué. "Chaque année, on recense environ 200 cas en France. 20% des nourrissons secoués décèdent des suites de leurs lésions. Quant aux survivants, ils sont 75% à garder des séquelles lourdes" précise Marilyne Koné, l’une des bénévoles de l’association, qui insiste sur l’importance de la prévention auprès des professionnels de santé, de la petite enfance, mais également des jeunes parents "puisque dans plus de 70% des cas, les faits se déroulent au sein même du cercle familial".L'affiche de prévention... by on Scribd
"Le nerf de la guerre c’est la prévention. Le sujet reste encore tabou. En maternité par exemple, il est très peu abordé. On sait qu’un bébé est fragile mais on ne sait pas qu’il peut mourir de secouements", soulève Marie Lemeille, une autre bénévole, qui milite aussi pour que les pouvoirs publics s’emparent davantage du sujet.
Un cri du cœur, relayé par la famille du petit Axel. "J’aimerais que tout le monde connaisse ce syndrome. Ce n’est pas une maladie, c’est un acte volontaire qui peut être évité, pour que plus jamais aucun enfant ne subisse cette maltraitance, pour ne plus qu’aucune famille ne subisse un tel drame..." conclut Sophie Puviland, avant de s’en aller jouer, en silence, avec son petit garçon. Il est 17h.