La grande distribution est autorisée à vendre des masques "grand public" et chirurgicaux depuis ce lundi 4 mai. Objectif : équiper les Français avant le début du déconfinement. Mais en ce premier jour, les clients sont souvent rentrés bredouilles. Exemple à Schiltigheim, dans le Bas-Rhin.
Après les pharmacies, qui peuvent vendre des masques "grand public" en tissu, lavables et réutilisables depuis le dimanche 26 avril, c'est au tour des enseignes de grande distribution : elles ont la permission, depuis ce lundi 4 mai, de commercialiser des masques "grand public" et chirurgicaux. Le gouvernement compte ainsi sur les supermarchés pour fournir du matériel de protection au plus grand nombre de Français d'ici le 11 mai et le début du déconfinement.
La décision a profondément choqué le milieu médical. "Toute guerre a ses profiteurs, accusent sept Ordres des professions de santé dans un texte commun intitulé "Les masques tombent". C’est malheureusement une loi intangible de nos conflits. Comment s’expliquer que nos soignants n’aient pas pu être dotés de masques, quand on annonce à grand renfort de communication tapageuse des chiffres sidérants de masques vendus au public par certains circuits de distribution." Autrement dit, ils soupçonnent la grande distribution d'avoir profité de la situation pour stocker des masques.
La polémique enfle depuis le 1er mai et la Fédération du commerce et de la distribution a réagi pour tenter de la désamorcer : "Les chiffres annoncés par les enseignes concernent les commandes effectuées, qui ne vont être livrées que très progressivement, avec une disponibilité plus rapide des masques à usage unique que des masques en tissu réutilisables", a-t-elle écrit dans un communiqué.
Un nombre limité de masques par personne
Les Français, eux, sont plutôt éloignés de ce genre de préoccupations. Ils veulent un masque, un point c'est tout. Et cela relève souvent du parcours du combattant. À Schiltigheim, juste à côté de Strasbourg, dans le Bas-Rhin, la rumeur n'a pas mis longtemps à circuler : l'hypermarché Leclerc vend des masques. Le groupe a annoncé en avoir 170 millions en stock pour ses différents commerces. Christine et sa fille Tiffany ont spécialement fait le déplacement depuis le quartier du Neudorf à Strasbourg : "On a téléphoné pour savoir s'ils en avaient et on est venues directement", insistent-elles."Pour moi, c'était une vraie angoisse de ne pas en trouver, complète la maman. Je suis un peu rassurée, mais pas complètement parce que je n'ai eu que dix masques chirurgicaux, ça fait peu, et c'est cher". 5,70 euros le paquet de dix unités, soit 57 centimes l'unité dans ce magasin. Christine est furieuse de devoir payer pour s'équiper. "J'ai été opérée trois fois du cœur, je suis une personne à risque, je ne devrais pas avoir à les acheter."J'ai été opérée trois fois du cœur, je suis une personne à risque, je ne devrais pas avoir à les acheter
- Christine, une cliente
Dans le magasin, une file d'attente se constitue et une salariée passe son temps au téléphone : "depuis ce matin, ça n'arrête pas". Tobrak et sa femme ont voulu "anticiper pour être prêts quand il faudra porter un masque". Derrière eux, un autre client a découvert la vente par hasard et en a profité "par peur de la rupture. On a déjà connu ça pour les pâtes".
Pour gérer l'afflux massif de clients et éviter les abus, les responsables ont pris des dispositions : les masques chirurgicaux sont vendus par lots de 10, uniquement à l'accueil. Mais aucune condition particulière pour être servi : ni ticket de caisse, ni carte de fidélité ne sont demandés, contrairement à certaines enseignes comme Intermarché. Encore faut-il arriver à temps.
Dès 13 heures, plus aucun masque. "J'ai entendu Michel-Édouard Leclerc, à la télé, dire que l'enseigne en vendrait mais je n'en ai pas eu. J'aimerais pouvoir me protéger et surtout protéger les autres parce que je ne sais pas si j'ai été contaminée", confie Malala, une Strasbourgeoise. Elle assure qu'elle reviendra très vite tenter sa chance. "Ils m'ont conseillé d'être là demain matin, à 7h30", grimace-t-elle. Le magasin attend une livraison. Les modèles "grand public", en tissu, ne sont pas encore arrivés.Ils m'ont conseillé d'être là demain matin, à 7h30
- Malala, une cliente
Le prix des masques plafonné...en théorie
À quelques mètres, au bout du même parking, une autre enseigne et une ambiance complètement différente. Un supermarché Pro-Inter commercialise lui-aussi des masques chirurgicaux. Mais à la caisse, les clients ne se bousculent pas, loin de là."C'est vrai que le prix est plutôt élevé, ça peut peut-être expliquer les choses", reconnaît une responsable du magasin. Le paquet de cinquante masques est vendu à 45 euros, soit 90 centimes l'unité. En dessous du prix plafond fixé par le ministère de l'Economie (95 centimes). Mais beaucoup de consommateurs ne souhaitent pas débourser autant d'argent et préfèrent acheter quelques pièces uniquement : le prix de l'unité s'élève alors à 2,50 euros. "C'est très cher", lâche un client devant le magasin. Plus du double en tout cas du plafond imposé par le gouvernement. Et donc, peu d'amateurs.
"Si les clients ne peuvent pas les acheter, on baissera les prix", répond la responsable. Le supermarché disposerait en tout cas d'un stock conséquent, des masques commandés début avril pour les salariés et livrés à la fin du mois dernier. "Comme on en avait pas mal, on en a mis en vente", indique-t-elle encore, ajoutant qu'il n'est pas prévu dans les prochains temps d'approvisionner le commerce en masques "grand public" en tissu.
Livraisons massives la semaine prochaine
Deux magasins presque côte à côte, disposant chacun de masques, l'image semble presque surréaliste, tant ce matériel de protection est compliqué à trouver. La grande distribution avait prévenu : les livraisons se feront petit à petit, la plupart des commerces ne seront pas ravitaillés avant le lundi 11 mai, date du début du déconfinement. Et cela se confirme dans les faits, auprès des nombreuses enseignes que nous avons contactées.Les douze supermarchés Auchan des abords de Strasbourg, par exemple, ne s'attendent pas à pouvoir proposer plus tôt des masques à leurs clients. Mais des modèles chirurgicaux et en tissu, lavables, devraient être disponibles dès la semaine prochaine, selon la directrice opérationnelle Hélène Pennec. Ce lundi 4 mai, même les hypermarchés n'en disposaient pas.
Devant le magasin Auchan de Schiltigheim, les consommateurs se montrent compréhensifs, mais impatients. "S'ils en avaient eu, j'en aurais pris. J'utilise les transports en commun pour travailler et je reprends le 11 mai", confie Loïc, à l'issue de ses courses. Un peu plus loin, Lucie raconte qu'elle achètera dès que possible un masque en tissu dans une grande surface pour pouvoir emmener et chercher son enfant à la crèche. Des décisions souvent motivées par des obligations, plus que par des convictions.S'ils en avaient eu, j'en aurais pris. J'utilise les transports en commun pour travailler et je reprends le 11 mai
- Loïc, un client
Beaucoup de citoyens disent se concentrer avant tout sur les gestes barrières et se méfier de certains masques à l'origine inconnue, "parfois vendus à la sauvette". Le feuilleton rocambolesque autour de ce matériel de protection semble en avoir lassé plus d'un.