Dans le quartier de Hautepierre à Strasbourg, le coronavirus a aggravé la précarité de nombreuses familles. Pour faire face à la crise, l'entraide entre les habitants s'organise, grâce notemment à l'AMI, une association créée au coeur de la cité il y a plus de vingt ans.
Près de 30% de chômage chez les 15/64 ans, et plus de 50% d'habitants sans aucun diplôme: les chiffres de la Ville de Strasbourg sur le quartier périphérique de Hautepierre à Strasbourg s'alignent comme de froides statistiques, mais ne racontent rien de la détresse des familles, du sentiment de déclassement et d'un quotidien où tout est compliqué.
Privés de ressources
"Dans de nombreux ménages, le père était le seul à être salarié. Aujourd'hui, beaucoup ne travaillent plus. Ils peinaient déjà à joindre les deux bouts, et la situation est devenue intenable, même pour ceux qui perçoivent le chômage partiel", explique Yasmine Ahmed-Yahia. Elle est animatrice à l'AMI - Animation Médiation Insertion- association présente dans le quartier depuis 22 ans.
Pour certains habitants, un acte aussi anodin que faire les courses relève du défi : il y a ceux qui ne peuvent plus payer, et ceux qui ne peuvent pas se déplacer. L'association a donc mis en place un soutien spécifique : une avance des frais dans certains cas, ou un portage des achats pour les personnes âgées et celles atteintes de maladies chroniques. Trop risqué pour elles de prendre les transports en commun.
"Beaucoup souffrent aussi d'isolement, et le soutien émotionnel est primordial", souffle Yasmine Ahmed-Yahia, qui s'occupe régulièrement d'une quinzaine de personnes depuis le début du confinement.
Sur tous les fronts
Avec la crise sanitaire, les animateurs de l'AMI sont partout. Auprès des personnes âgées, mais aussi des enfants et des adolescents. Car là encore, rien n'est évident. L'école à la maison ne se décrète pas, elle doit s'organiser, et cela, Foudil Benamzal en a fait l'une de ses missions principales.Le travail administratif ne lui fait pas peur. Méthodiquement, il répertorie les besoins et cherche des solutions. Parfois, c'est un courrier à la CAF, afin de solliciter une aide à l'acquisition de matériel informatique. Car en effet, cette disposition existe, encore faut-il la connaître. C'est aussi assurer le suivi des décrocheurs scolaires, et travailler à leur réorientation avec le CIO, ou avec Pôle emploi. Et enfin, c'est organiser la scolarité à domicile des enfants pendant toute la durée du confinement. Un soutien à distance, par appel vidéo, avec des animateurs qui prennent en charge des petits groupes de trois ou quatre élèves. "On ne peut pas demander aux parents de le faire" dit Yasmine Ahmed-Yahia "Beaucoup ne maîtrisent pas suffisamment le français, et ils sont un peu perdus".
Aide à la scolarité
Ce jeudi 14 mai était théoriquement jour de rentrée pour les CP et CM2. Mais la quasi-totalité des enfants suivis par l'association AMI sont restés chez eux. "Les parents sont très inquiets" explique Marie Agrebi, animatrice. "C'est un public qui a du mal à faire la part des choses, entre ce qu'ils entendent et la réalité" Entre les informations anxiogènes déversées en flot continu à la télé, les messages alarmistes des réseaux sociaux, et les rumeurs les plus folles qui circulent parfois dans le quartier, les familles sont paniquées à l'idée d'envoyer leurs enfants à l'école.Elles ont finalement accepté le principe d'un soutien scolaire en présentiel, dans un appartement de quatre pièces loué par l'association, avec des consignes très strictes : pas plus de trois élèves par salle, masque obligatoire pour l'animateur, gel hydroalcoolique à disposition, etc... Mais, tempère Marie Agrebi "ces enfants que nous accompagnons sont ceux qui ont le plus de difficultés scolaires. On fait ce qu'on peut, mais nos deux séances hebdomadaires restent insuffisantes : ils seront pénalisés par rapport à ceux qui vont retourner à l'école tous les jours"
En 22 ans d'existence, l'association AMI est devenue un acteur incontournable du quartier de Hautepierre. Aide à la scolarité, aide aux personnes isolées, médiation, animations etc. Chaque année, ce sont plus de 20.000 personnes qui ont, d'une façon ou d'une autre, bénéficié de son soutien. Et pourtant. "Nos locaux ne sont pas dignes", fulmine Amar Latoui, le président de l'association. "Vous vous rendez-compte? Nous sommes au sous-sol! Pourquoi? Nous travaillons avec les habitants. C'est vrai, il y a beaucoup d'immigrés. Mais ces gens-là existent, il faut leur donner les mêmes moyens qu'aux autres".
Nous sommes dans une cave, l'association mérite mieux que ça
-Amar Latoui, président de l'association AMI
Amar Latoui n'a pas pour habitude de mâcher ses mots. "Je suis quelqu'un d'exigeant", dit-il. "J'ai appris la rigueur en Alsace. Ça fait 50 ans que je suis ici. Mais je dis toujours, regardez dans le rétroviseur, n'oubliez pas d'où vous venez". Et lui, l'ancien délégué syndical, garde ses convictions intactes. Ne pas accepter la mauvaise image trop souvent collée à son quartier. Et ne pas se résigner à la précarité.
Aider les étudiants et les Chibanis
Les besoins sur le quartier sont énormes. Mais en plein confinement, le président de l'association n'a pas hésité à en rajouter. Il organise désormais des livraisons de repas, notamment à destination des "chibanis" ces anciens combattants et travailleurs du Maghreb venus en France durant les Trente Glorieuses. Pour eux, comme pour les étudiants étrangers coincés dans leurs résidences universitaires, ces dernières semaines ont été particulièrement éprouvantes. "J'avais décroché un stage rémunéré, qui a été annulé", raconte Anis Kadri, étudiant en licence pro de commerce à l'université de Strasbourg."Nous avons commencé avec quelques repas distribués, aujourd'hui nous en sommes à 120 par jour", note Amar Latoui. "On aide ceux qui en ont besoin, quelque soit leur religion, leur nationalité". Mais cette action, entamée lors du confinement, va s'arrêter à la fin du ramadan, malgré les prévisions très pessimistes sur les effets de la crise. A l'impossible, nul n'est tenu.