Pour aider les soignants à tenir le coup face à l'épidémie de coronavirus qui frappe durement le Bas-Rhin, une cellule de soutien psychologique est activée dans le département. Entretien avec le Dr Dominique Mastelli, l'un des responsables du dispositif.
Ils sont les soldats de la "guerre" évoquée par le président de la République contre l'épidémie de coronavirus : les soignants sont en première ligne dans cette crise sanitaire d'une ampleur et d'une durée inédite. Afin de les soutenir psychologiquement et de détecter les personnes en souffrance, les hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) sous la houlette du Pr Vidailhet, en association avec la cellule d'urgence médico-psychollogique (CUMP) du Bas-Rhin, créent CoviPsy67, un dispositif d’aide, de soutien et de prise en charge de l’ensemble des soignants (médecins, infirmiers, aide-soignants,... ) du Bas-Rhin, qu'ils travaillent à l'hôpital, en libéral ou en structure collective (Ehpad,...).
"Ce dispositif est entré en vigueur dès le début de la propagation de l'épidémie en France. Nous l'avons au départ activé pour le personnel travaillant en réanimation car nous savions qu'ils allaient avoir un afflux de patients à gérer dans des conditions difficiles, explique Dominique Mastelli. Avec le pic de la contamination qui arrive, nous avons décidé de l'élargir à toute personne intervenant dans le domaine de la santé dans le département."
La plateforme CoviPsy67 est joignable au : 03.88.11.68.20
Pour assurer ce soutien auprès du personnel qui soigne au quotidien les patients atteints de covid19, le dispositif s’appuie sur tous les spécialistes du département nombreux à se retrouver avec du temps libre. « Avec le confinement, beaucoup de cabinets psychologues et de psychiatres ont dû fermer, d’autres sont passés à la télémédecine. Il y a aussi ceux qui sont normalement rattachés à des collectivités ou des administrations qui ne tournent plus pour l’instant, détaille Dominique Mastelli. On a en fait décidé de rationaliser les moyens dont dispose la psychiatrie dans le département pour répondre aux besoins les plus urgents. Et tout le monde a tout de suite répondu présent, " tient-il à ajouter.Sur Twitter, les autorités sanitaires précisent que ce service s'adresse non seulement aux médecins, infirmier(e)s et aide-soignat(e)s mais également aux familles et enfants des soignants ::
(2/2)?[COVID-19] #CoviPsy67 Que vous soyez médecin, infirmier(e)s, aide-soignant(e) ou tout autre professionnel de santé, une équipe est à votre écoute. CoviPsy67 s'adresse aussi aux familles et aux enfants en cette période de confinement >ℹ️ covipsy67@chru-strasbourg.fr #Alsace pic.twitter.com/SEUkVps5OZ
— Frédéric BIERRY (@F_Bierry) March 28, 2020
Une cellule habituellement activée en cas d'attentat
Le réseau nécessaire au fonctionnement de ce dispositif n'a mis que quelques jours à se mettre en place. La manœuvre est rodée, le savoir-faire maîtrisé. "La dernière fois que nous avons activé une cellule d'urgence de ce type, c'était lors de l'attentat de Strasbourg [en décembre 2018]", détaille le responsable départemental. Créées à la suite de la vague d'attentats meurtriers (dont celui du RER de Saint-Michel) survenue à Paris en 1995, les CUMP ont jusqu'ici eu à intervenir lors de catastrophes type attentats ou déraillement de trains, mais jamais encore en situation épidémique.Un stress pire que lors d’une catastrophe
C’est précisément ce contexte épidémique de circulation insidieuse du virus parmi la population qui aggrave les risques concernant la santé mentale des soignants. « Lors d’un attentat, le stress est très fort pour un soignant, mais il est ponctuel, détaille Dominique Mastelli. Or cette crise va durer, et elle s’impose à un personnel médical déjà fatigué et fortement sous tension. Là le stress devient exponentiel et peut conduire à la rupture. » S'ajoute à cela des situations qui peuvent s'avérer inédite pour certains : "certains services ou SMUR sont actuellement contraints de devoir parfois faire des choix sur la prise en charge des patients. Ce sont des responsabilités très lourdes, très anxyogènes."Illustration de la situation avec ce tweet posté par le journaliste engagé Gaspard Glanz de Taranis News qui relaie le message adressé par un soignant médecnin généraliste à Strasbourg :
☣️ « On va devoir annuler l’interview, j’ai perdu 4 de mes patients aujourd’hui... Je suis épuisé. Toujours autant en colère pour avoir envie de te parler, mais je n’ai pas la force de la faire ce soir. Désolé. »
— Gaspard Glanz (@GaspardGlanz) March 27, 2020
Un médecin de ville de #Strasbourg.
Et il s’excuse encore... ?
A cela s’ajoute la perte de repères que rencontrent de nombreux soignants, particulièrement dans les hôpitaux. Quand ils voient leur service transformé du jour au lendemain en zone covid, quand il faut aller prendre du service en réanimation alors que vous travaillez d’ordinaire en gériatrie. « Le fait de ne pas être dans des conditions habituelles de travail, c’est peut-être l’une des choses les plus compliqués à gérer pour les médecins, les infirmières, les aide-soignants, commente le spécialiste de la santé mentale. Dans la vie, on met inconsciemment en place des processus, des habitudes pour se protéger. Là tous les repères sont chamboulés. Cela peut en faire craquer certains. »
- Dominique Mastelli, médecin-psychiatreLa vocation est une arme très puissante à double revers : à force de tout donner pour les autres, on s’oublie soi-même. Et ça peut conduire à la rupture.
La culpabilisation est également un sentiment récurrent dans les témoignages qu’engrange actuellement le responsable de la cellule psychologique d’urgence : « certains n’osent pas lever le pied de peur de lâcher les collègues et de leur rajouter un surcroît de travail. Cela risque de générer beaucoup de cas de psycho-traumatismes une fois la crise passée car les soignants vont tout faire pour tenir le coup d’ici là ».
A quels signaux réagir ?
Vous mangez peu ? Vous êtes anormalement fatigué ou irritable ? Votre entourage constate des changements en vous ? Vous avez tendance à prendre un verre pour décompresser le soir, ce que vous ne faisiez pas avant ? Tous ces petits signaux sont à prendre au sérieux avant qu’il ne soit trop tard. « Ceux qui ressentent la fatigue vont spontanément lever le pied, met en garde Dominique Mastelli. Les plus préoccupants, ce sont les hyper agités, les sur-occupés qui ne s’arrêtent jamais, qui se sentent plein d'énergie, propulsés par l’urgence du moment. Le corps lâchera souvent dans ces cas-là en premier. »Les messages de soutien de la population sont-ils efficaces ?
« Je dois avouer qu’au départ, quand j’ai vu ces effusions en Italie, je trouvais ça un peu bizarre et déplacé, nous confesse Dominique Mastelli. Et puis l’autre soir, j’ai quitté l’hôpital vers 20 heures, à l'heure des applaudissements. Je dois dire qu’après une longue journée difficile de travail, c’est étonnement réconfortant. J’étais ému….C'est vrai que ça fait du bien. »