La démission de Jean Rottner entraîne une brève vacance du pouvoir. Franck Leroy, maire d'Épernay et actuel vice-président, assurera l'intérim avant l'élection du ou de la prochain(e) président(e) de la région Grand Est.
Sa décision a pris toute la classe politique régionale de court. Jean Rottner démissionne et laisse derrière lui une majorité en quête d'un nouveau ou d'une nouvelle président(e) pour le Grand Est. Dans l'attente de cette élection, c'est à Franck Leroy, maire d'Épernay et président de la communauté d'agglomération, que revient la responsabilité d'assurer l'intérim.
À bientôt 60 ans, cet avocat de formation, entré en politique dans le sillage de Bernard Stasi, a rejoint en janvier 2022 le parti d'Édouard Philippe.
Cette tâche lui incombe en raison de son poste à la région : il est premier vice-président. Mais certains l'imaginent d'ores-et-déjà comme un éventuel successeur à Jean Rottner.
Quelle est votre réaction quant à la décision qu’a prise Jean Rottner de démissionner ?
C’est une décision qui nous a tous surpris. Je l’étais un peu moins que les autres parce que Jean Rottner m’avait prévenu ce week-end. Mais c’est une décision qui est motivée par des impératifs familiaux. C’est quelque chose qui se respecte. Et puis c’est une vie intense qu’il a connue. Cela a commencé – vous en souvenez – peu de temps après son élection par la période du Covid. Il était dans l'œil du cyclone, étant élu de Mulhouse au départ. Cela a été derrière le grand travail qui a été entrepris avec la préfecture autour du "Business Act" et de la relance économique, qui étaient indispensables. Puis derrière les élections régionales qu'il gagne, en se dépensant fortement sur les territoires. Voilà, tout ça laisse peut-être des traces : peut-être pas sur lui, mais l'entourage familial subit cette situation. La vie politique est quelque chose d'extrêmement dure parfois, notamment quand on n’était pas forcément prêt. Jean était prêt, mais sa famille ne l'était peut-être pas autant. En tout cas, c'est quelque chose que je respecte profondément pour avoir comme tous les autres responsables politiques connus ce genre de situation.
Quand il vous a donc appelé ce week-end, quel a été le ton de vos échanges ? Il vous a tout de suite dit je compte sur toi pour prendre l'intérim ?
C’est des relations très, très amicales que nous avons d'une part et puis, deuxièmement, statutairement si le président démissionne, le premier vice-président doit assurer l'intérim. Donc l'intérim, c'est simplement expédier les affaires courantes et s'assurer de la bonne organisation du scrutin, qui élira un nouveau président. Donc c'est un intérim qui va durer entre 8 et 12 jours.
Donc c'est très rapide. Mais, pendant ce temps-là, il faut être aux manettes.
Oui parce que si des engagements étaient pris, si des rendez-vous importants sont à honorer, c'est au premier vice-président de s’y plier. Maintenant, c'est un moment assez court – assez intense, sûrement – mais je suis prêt. On a une administration régionale qui est prête évidemment.
Cet intérim va tout même avoir un impact dans vos fonctions à Épernay, à la communauté d'agglomération.
Cela va sûrement chahuter un peu les choses. Mais bon, ça va durer une dizaine de jours donc ce n’est pas non plus la mer à boire. Et puis on est habitué à ce genre de rythme de travail. S'il faut faire des allers-retours entre Épernay et Strasbourg, je le ferai évidemment.
Quel regard vous posez sur le travail qu'a fait Jean Rottner pendant toutes ces années ? Comment est-il dans son travail d'élu ?
Jean, on ne se connaissait pas en 2016 lorsqu'on a été vice-présidents tous les deux. Je pense que le courant est passé très vite. J'ai été de ceux qui ont fait qu'il soit président parce que je pensais que c'était le meilleur pour assumer cette tâche. Et puis, quand il était président et que j'ai été vice-président, j'ai passé des moments d'exaltation parce que c'est quelqu'un qui est passionnant, qui motive ses troupes en permanence, qui cherche constamment la longueur d'avance et donc qui ne vous permet jamais de vous reposer sur vos lauriers. J'aime ce genre de de challenge permanent. C'était beaucoup d'intimité entre nous d'échanges d'articles qu'on lisait, d’échanges d’idées. C'est extrêmement motivant de travailler avec Jean Rottner : il sait tirer le meilleur des hommes et des femmes qui l'entourent, il a beaucoup de respect pour ses équipes. Ses équipes lui rendent bien. C'est un formidable meneur d'homme donc le challenge est d'autant plus difficile pour son successeur.
Ce n’est pas toujours l'envie qui guide les ambitions dans la vie politique
Franck Leroy, premier vice-président de la région Grand Est
Comment ça va se passer ces élections au sein du conseil régional ? Expliquez-nous les différentes étapes.
Le groupe majoritaire doit se réunir et s'entendre sur le nom d'un candidat. C'est ce qu'il avait fait il y a 5 ans quand Jean a été élu. Et, à partir du moment où le groupe majoritaire présentera un ou une candidate, l'élection est plus que probable puisqu’elle se fait à la majorité. Pour autant ce n’est jamais une formalité. Les choses vont se construire tranquillement : c'est évidemment un choc pour beaucoup d'élus, qui expriment – pour certains d'entre eux leur tristesse – et je fais partie de ceux-là évidemment. Mais c'est comme dans un vestiaire lorsque le capitaine se blesse en première mi-temps, il faut rentrer à la mi-temps avec un autre capitaine, il faut repartir au combat. C'est notre état d'esprit.
Est-ce que vous serez parmi ceux qui prétendent à prendre la présidence de la région ?
Il est prématuré pour le dire aujourd'hui, il faut que le groupe se réunisse, il faut que le groupe fasse ce choix collectif. On est tenu par un pacte ensemble, par un programme que nous avons bâti ensemble. On a, les uns et les autres, des parcours politiques différents. On vient parfois d'anciennes régions différentes mais, aujourd'hui, ce qui fait notre force est ce collectif. C'est ce collectif qui va donner le ton et qui va choisir son candidat, donc je ne veux pas intervenir à ce niveau-là. Il faut laisser ce groupe se réunir, penser ensemble l'avenir et je suis persuadé qu'il fera le bon choix.
Est-ce que vous en avez envie ?
Écoutez ce n’est pas toujours l'envie qui guide les ambitions dans la vie politique. C'est parfois le devoir, je ne sais pas ce que dira le groupe mais, en tout cas, c'est lui qui décidera et je me rangerai à sa décision quelle qu'elle soit.
Les dix jours à venir, vous savez de quoi ils vont être faits ? Il faut d'abord que Monsieur Rottner démissionne. Officiellement, c'est ça la première étape ?
Oui, il a annoncé sa démission. Il va choisir la date de sa démission qui sera très certainement à la fin des périodes de fêtes, pour ne pas que le Conseil régional ait à se réunir pendant les fêtes, ce qui serait un peu compliqué pour tout le monde. Puis dès que sa décision interviendra, je prendrai la suite pour l'intérim jusqu'à l'élection du nouveau président, qui devrait avoir lieu dans les 15 premiers jours de janvier vraisemblablement.
Depuis que vous êtes premier vice-président de la Région, est-ce que votre façon de faire, votre vision de la politique a changé aux côtés de Jean Rottner ?
Pas vraiment parce qu'on partage la même vision de la politique : on est l'un comme l'autre des humanistes. On est européen l’un comme l'autre. On a eu des parcours politiques un peu différents, mais on a été maire. Je suis encore maire de ma ville d'Epernay. Donc on a cette connaissance du terrain, cette approche de la politique qui est sans doute très différente de ce que l’on voit en ce moment à l'Assemblée nationale. Mais aussi, ça crée du lien entre nous. Donc on a très bien travaillé ensemble et ça restera sans doute un des grands moments de ma vie politique que d'avoir travaillé avec Jean.
Est-ce que l'idée c'est de continuer ce qu'il a commencé ?
Oui parce que, quel que soit le candidat qui portera demain les couleurs de la majorité régionale, on a construit un projet ensemble. La région – et Jean y a beaucoup contribué – a gagné en influence dans tous les domaines. Il y a pas un domaine dans lequel la région s'est rétrécie. Je pense qu'on a des ambitions pour notre territoire. On a des ambitions pour nos identités régionales, c'est important. On se doit d'être les meilleurs possibles et d'être impliqué jusqu'au bout et c'est vraiment l'état d'esprit qui caractérise cette majorité.
Je suis Champenois, je le revendique.
Franck Leroy, premier président de la région Grand Est
Certains se réjouissent du départ de Monsieur Rottner, évidemment, il ne faisait pas l'unanimité, c'est certain. Voilà, il y a des détracteurs. Qu'est-ce que vous répondez à cela ?
Il y a toujours des gens qui critiquent. Ce ne sont pas ceux qui font en général beaucoup de choses de positif. Voilà, il faut accepter la critique. C'est la démocratie. Il y a beaucoup de critiques injustes qui sont émises à son égard, à l'égard de son prédécesseur, à l'égard de tout le monde. Les gens qui critiquent, ils sont légion en France. Les gens qui agissent, ce sont ceux que je respecte. Ils le font avec un engagement qui mérite d'être salué, qui est difficile. Il faut faire preuve de lucidité. Regardez l'attitude de Jean Rottner pendant la crise du Covid, elle a été absolument exemplaire : son sang-froid, sa dignité dans un moment terrible… C'est un exemple pour tout le monde et on a tous appris à ses côtés. Donc, celui ou celle qui sortira de nos rangs devra faire aussi bien que Jean. En tout cas, il tentera de faire aussi bien que lui.
Le prédécesseur de Jean Rottner, Philippe Richert, est Alsacien. Jean Rottner est Alsacien. Est-ce que, dans votre conception du Grand Est, on peut avoir un président de région qui ne soit pas Alsacien ? Est-ce que ça peut avoir un des conséquences sur le rapport de force entre la place de l'Alsace et le reste de la région ?
Quand on se réunit dans le groupe majoritaire, il n'y a pas d'un côté des Alsaciens, de l'autre les Lorrains, et ailleurs les Champardennais. On travaille ensemble étroitement et on ne fait pas de calcul : on n'a pas d'arrière-pensée sur ce genre de sujet. Pareil, on a des parcours politiques un peu différents : il y en a qui viennent plutôt du centre, d'autres plutôt de la droite, d'autres qui n'ont pas d'appartenance politique. On arrive à s'entendre et on s'entend très bien. Donc je pense que nos identités sont importantes. Je suis Champenois, je le revendique. Je respecte beaucoup les Alsaciens. Je respecte beaucoup les Ardennais. Je respecte beaucoup les Lorrains. Mais quand on est ensemble, on travaille au service de tous et c'est ça l'engagement politique : c'est parfois capable de dépasser la vision un peu étroite qu'on a parfois sur nos propres identités, de nous ouvrir aux autres. C'est aussi comme ça qu'on gagne en rayonnement et en efficacité.
Jean Rottner avait su le faire ?
Complètement, Jean, comme Philippe Richert, avait compris que le Grand Est fait grandir nos territoires et ça c'est important. Il suffit de regarder les chiffres aujourd'hui. On investit dans nos anciennes régions deux fois plus que ce que faisaient nos anciennes régions. Je ne critique pas les dirigeants de nos anciennes régions, il gérait une certaine dimension mais le Grand Est est autre chose.