Pressée par le ministère de l'Environnement et les associations de lutte contre la pollution de l'air, la ville de Strasbourg a quelques semaines pour prendre de vraies mesures concrètes contre la pollution de l'air. Entretien avec Thomas Bourdrel, médecin et fondateur de Strasbourg Respire.
La ville de Strasbourg, comme d'autres grandes villes françaises polluées, est sommée par le ministère de l'environnement de mettre en place des mesures concrètes pour lutter efficacement contre la pollution de l'air sur son territoire. Elle a jusqu'à la mi-mars pour proposer un plan d'actions immédiates.
Depuis 2009, elle a déjà eu 5 rappels à l'ordre. Et là, ça pourrait coûter cher : la Cour européenne des droits de l'Homme pourrait infliger une amende de plusieurs milliards d'euros à la France pour non respect des seuils européens dans ses grandes villes. Une réunion aura lieu en préfecture mercredi 14 février à 16h30 avec tous les acteurs : Ville de Strasbourg, représentant de la région, Dreal, services de la mobilité de l'Eurométropole, industriels du Port du Rhin, Batorama, Alsace Nature, le collectif de parents Family Air. Et l'association Strasbourg Respire, collectifs de médecins et de citoyens. Entretien avec Thomas Bourdrel, médecin radiologue et fondateur de Strasbourg Respire.
Que peut faire Strasbourg pour éviter une condamnation ?
"Il faut que la ville s'engage dans des mesures concrètes. Depuis 2009, Strasbourg fait régulièrement des plans de protection de l'atmosphère (PPA), mais il n'y a toujours rien de concret. Ce sont des mesures floues, des grands principes mais aucune date butoir. Pour éviter une condamnation, il faudrait que la feuille de route demandée par le ministère de l'environnement d'ici fin mars comprennent toutes les mesures que nous demandons depuis des années. Nous demandons qu'il y ait une interdiction des véhicules diesel en centre-ville. Et pour aider les citoyens qui ne peuvent pas se permettre de changer leur voiture diesel contre un véhicule essence, il faudrait mettre en place des subventions, en fonction des revenus des gens, comme cela a été mis en place à Tokyo par exemple. Il faut savoir que 60% des émissions de NOx (oxydes d'azote) en ville sont liées aux véhicules diesel, donc il y a urgence."
"La Ville s'est engagée à changer toute sa flotte de bus de ville, pour bannir les moteurs diesel. Mais le réseau Bus 67 n'a pas pris encore de décision similaire : ce sont des bus qui sillonnent tout le département et partent de la gare de Strasbourg, donc polluent aussi beaucoup en ville."
La Ville de Strasbourg n'a vraiment rien fait depuis 2009 ?
"Si, bien sûr, certaines mesures ont été mises en place depuis quelques années, certaines à notre demande. La ville s'est engagée à remplacer tout nouveau véhicule de service par un véhicule essence, pour que progressivement les moteurs diesel disparaissent de sa flotte. Et il n'y a pas que la ville qui doit changer ses habitudes : tous les industriels, les entreprises et les services publics doivent participer à la réflexion. Mais les hôpitaux universitaires refusent de s'engager dans cette voie. Alors que les hôpitaux de Valenciennes, par exemple, vont encore plus loin : tous leurs véhicules sont remplacés peu à peu par des véhicules électriques."
"Les livraisons en centre-ville sont faites soient en vélo-cargo, soit en véhicule électrique : c'est le principe du "dernier kilomètre propre", et c'est une bonne chose. Et Batorama s'est engagé en 2025, lors du prochain renouvellement de ses bateaux touristiques, à n'acheter que des bateaux au gaz ou électrique. Enfin, la ville de Strasbourg a lancé le plan air-bois, pour identifier les cheminées à bois et donner des subventions aux particuliers qui n'auraient pas les moyens de les mettre aux normes. Mais nous voudrions que ce plan soit élargi à la région entière, pour que les zones rurales puissent aussi en profiter. Il faudrait un plan Air-Bois géré par la région."
Toutes les mesures antipollution sont-elles onéreuses?
"Non, certaines choses ne coûtent pas cher. Par exemple, quai des Alpes, pour les bateaux de croisières qui y stationnent, il suffirait d'installer des bornes électriques payantes pour éviter que ces bateaux touristiques laissent tourner leurs moteurs diesels en continue pendant plus jours d'affilée pendant leurs escales. C'est une mesure facile à mettre en place, et qui ne coûterait rien : elle rapporterait même à la ville. L'autre problème concerne les rangées de bus qui acheminent les touristes de ces bateaux en centre-ville."
"Et certains trains ter fonctionnent encore au diesel, parce qu'ils vont dans des zones non-électrifiées. Normalement ils doivent partir en électrique de la gare de Strasbourg, et ils ne devraient mettre leur moteur diesel en marche que quand ils arrivent dans la zone non électrifiée. Mais certains mettent leur moteur diesel en marche dès la gare. Les plafonds des trains sont noircis, les contrôleurs et les passagers sont asphyxiés. Ce sont de petites mesures toutes simples à mettre en place, et qui pourrait déjà changer les choses."
"Et surtout, il faut que la politique industrielle de la ville se traduise en actes. Strasbourg est régulièrement montrée du doigt pour le non respect des seuils européens d'émissions de NOx. Mais en 2015, le préfet du Bas-Rhin autorise l'usine Blue Paper (recyclage de papier carton) à augmenter de 30 % ses émissions de NOx (de 180 tonnes à 250 tonnes de NOx par an). Et puis il y a aussi le problème de l'incinérateur de déchets domestiques : il faudrait drastiquement réduire le volume de déchets ménagers produits par les habitants. La France est le plus gros brûleur de déchets ménagers en Europe, et par rapport aux allemands on produit 2 fois plus de déchets qui vont à l'incinérateur. La rénovation de cet incinérateur, en cours depuis 2 ans, pourrait être le moment de se poser cette question."
Et l'incinérateur produit des particules ultra-fines, des NOx et de nombreux perturbateurs endocriniens comme les dioxines bromées. Alors que justement la ville vient de s'engager officiellement dans la lutte contre les perturbateurs endocriniens... D'un côté, elle communique sur la suppression des barquettes en plastique dans les cantines scolaires, et de l'autre elle oublie l'incinérateur et les pesticides agricoles. Il y a des incohérences par rapport à tout cela, et l'aspect financier passe avant la qualité de l'air. Il faut que cela cesse.
Communiqué de presse, Strasbourg Respire, 11 février 2018 by Aymeric Robert on Scribd