Les enseignants des lycées professionnels étaient en grève mardi 18 octobre pour protester contre une réforme voulue par l'exécutif. Perte de compétences, élèves trop spécialisés, les professeurs d'Alsace détaillent leurs griefs à propos de cette refonte.
"Touche pas à mon LEP", "nous formons des citoyens, pas de la chair à patron", "voie pro en lambeaux"... Les pancartes et slogans ont fusé ce mardi 18 octobre sur l'ensemble du territoire. Près de 23% du personnel des lycées professionnels étaient en grève selon l'Education nationale. D'après le Snuep-FSU, ce chiffre monte jusqu'à 62%. A Strasbourg (Bas-Rhin), des centaines de professeurs se sont réunis dès 14 heures devant le rectorat, rue de la Toussaint, à l'appel de nombreux syndicats du secteur.
Ils protestaient contre un projet de réforme annoncée par Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle en mars 2022, et dont les contours sont dessinés au compte-goutte depuis la rentrée scolaire par la ministre déléguée en charge de l'Enseignement et de la Formation professionnels, Carole Grandjean.
"On n'a jamais été confronté à quelque chose d'aussi brutal et agressif", assure Francis Stoffel, professeur de lettres-histoire depuis plus de 40 ans. Il enseigne actuellement à Thann dans le Haut-Rhin.
En manifestant, les professeurs "essaient de sauver l'enseignement professionnel et la formation de jeunes qui ont été littéralement abandonnés et fracassées par l'école", explique le co-secrétaire académique du Sneeta-FO.
Une professionnalisation à outrance
Pourquoi une telle mobilisation ? "Cette réforme consiste à broyer le lycée professionnel en généralisant les périodes de stage", soutient Lydie Hamel, enseignante en éco-gestion au lycée Georges Imbert à Sarre-Union (Bas-Rhin). Actuellement, les lycéens ont entre 18 et 22 semaines de stage à effectuer sur trois ans. Un chiffre qui pourrait doubler, selon la volonté de l'exécutif. "On se demande à quel moment on va faire cours", ironise la professeure, "et comment on va pouvoir transmettre les connaissances et les compétences nécessaires".
Cette réforme "laisse la formation aux entreprises" selon Ahcène Tacherift, professeur d'éco-gestion au lycée professeur René Cassin de Strasbourg. "On ne peut pas contrôler ce que font les entreprises !"
Des élèves trop spécialisés
D'après les enseignants, avec davantage de stages, les élèves seraient trop "spécialisés alors que nous les formons à la polyvalence", une manière de les adapter au monde du travail. Selon Ahcène Tacherift, avec la nouvelle réforme, ces élèves "auront des compétences très spécifiques, qui pourront être exploitées uniquement dans l'entreprise où ils font leur stage".
"Ça dévalorise la voie pro, et ça tue le diplôme", assure Walid Rouabhi, professeur d'éco-gestion dans le même lycée. Une situation qui poserait à terme le problème de la mobilité : "Le diplôme ne sera plus un diplôme national. A cause des cartes de formation, ça sera un diplôme local." Par exemple, "ça signifie qu'un élève qui habite en Alsace et qui veut faire quelque chose de spécifique ne pourra peut-être plus le faire demain". Ils seront donc "cantonnés à un bassin d'emploi local", aussi bien en tant qu'étudiants que jeunes actifs. "Il n'y a aucun intérêt à cette réforme, à part les rendre hyper-spécialisés dans un domaine", continue Walid Rouabhi.
Perte de compétences en vue pour les professeurs
La réforme n'affecterait pas seulement les élèves, mais aussi les professeurs. La crispation des enseignants se cristallise aussi autour de la question de l'arrivée dans les lycées d'intervenants extérieurs pour donner des cours très spécialisés. "Ces professionnels donneraient des cours, sachant qu'ils n'ont pas été formés pour", s'agace Walid Rouabhi.
Le fait que les stages empiètent davantage sur la formation théorique confirme autre chose : "On sera là pour certifier les compétences en entreprise", dit le professeur d'éco-gestion, et "non plus pour enseigner".
L'annualisation du temps de travail en question
Avec 50% d'enseignements théoriques en moins dès la rentrée 2023, selon la volonté de Carole Grandjean, le métier de professeur en lycée professionnel est voué à être modifié. "Ce qui se joue, c'est aussi l'annualisation du temps de travail", assure Walid Rouabhi, "et donc moins de congés".
"Bien sûr les enseignants ne travaillent pas, on est tout le temps en vacances", s'irrite Lydie. "Tout d'abord, on n'a pas signé pour ça", poursuit Walid. Mais surtout, "ça va créer des disparités entre les professeurs du lycée professionnel, et ceux du lycée technologique et général". Une injustice que les enseignants des lycées pro ne comptent pas laisser passer.