Depuis quelques années, des Strasbourgeois s’étonnent d’entendre des cigales chanter à Strasbourg. La présence de cet insecte, traditionnellement associé au sud de la France, est en effet avérée dans la capitale alsacienne.
Certains ont pu croire à une hallucination auditive : en se baladant par une chaude après-midi d’été dans le quartier arboré de la Robertsau, à Strasbourg (Bas-Rhin), certains promeneurs ont cru entendre des cigales chanter. Ils n’avaient pas la berlue : ces petits insectes semblent effectivement avoir pris leur quartier dans ce secteur de la ville.
Les premiers chants y ont été entendus en 2015 avec des signalements dans les environs du bassin des remparts, du Parlement européen et de l’église orthodoxe. "On peut considérer qu’une colonie s’est effectivement bien implantée à Strasbourg. On l’estime à une centaine d’individus", confirme Christophe Brua, le président de la Société alsacienne d’entomologie.
C’est précisément la Cicada orni L– traduisez la cigale grise de l’orne (car elle affectionne cet arbre) – qui a été repérée. On la reconnaît grâce à son chant puissant et strident, ou plutôt grâce à sa "cymbalisation". L’insecte n’a en effet pas de cordes vocales, il émet ce son typique en frottant ses membranes contre l’abdomen. Le mâle a recours à ce moyen de communication strident pour attirer les femelles en période de reproduction.
En cette journée caniculaire du 3 août, ils devaient être nombreux à compter fleurette quand le chanteur strasbourgeois Grégory Ott a capté un récital, rue du général Conrad, dans le quartier des XV (à écouter ci-dessous).
Il y a de quoi être dérouté, car cette espèce de cigales vit d’ordinaire bien plus au sud, en Provence, en Espagne, en Grèce ou encore en Afrique du Nord. Difficile de savoir précisément comment les bestioles sont arrivées jusqu’en Alsace, mais le spécialiste des insectes émet plusieurs hypothèses. "Elles ont pu arriver par le Rhin, à bord de bateaux de transport comme cela a été le cas pour d’autres espèces d’insectes exotiques. Elles peuvent aussi être arrivées par les jardineries. La mode est aux oliviers en pot qui sont importés. Des larves auraient pu être cachées dedans", suggère Christophe Brua.
L’entomologiste avance une troisième piste, davantage liée au dérèglement climatique : "comme cette espèce est autochtone en France, installée depuis longtemps dans le sud, on peut imaginer qu’elle cherche à augmenter son aire de dispersion plus au nord. On voit cela chez d’autres insectes comme les papillons blancs."
Cette cigale semble donc s’être bien acclimatée et a fait le choix du milieu urbain, où le béton pourtant l’emporte sur la verdure. "Ce sont des conditions plus favorables pour les cigales. Elles aiment la chaleur, or l’été, il fait souvent plus chaud en ville qu’à la campagne". Preuve de cet amour pour des conditions torrides : dès que le soleil se voile, la cigale se tait.
Elle dispose de plus d’une certaine tranquillité dans les rues de Strasbourg où les prédateurs se font rares. Seuls les quelques faucons crécerelles qui vivent en ville pourraient jouer les trouble-fêtes, mais les populations ne sont pas nombreuses. Et elle-même ne représente pas de danger pour la biodiversité locale. Elle n’est pas porteuse de virus ni de parasites. Elle ne s'en prend qu’à la sève des racines et des arbres qu’elle ponctionne avec sa trompe rigide.
Les Strasbourgeois vont donc devoir s’habituer à cette mélodie provençale. Que l’on pourrait même entendre d’ici quelques années au cœur de la ville, place Kléber. "Mais pour cela, encore faudrait-il que l’on plante des arbres sur la place", sourit l’entomologiste.