Rund Um. Les hommes du Néolithique ont occupé l'Alsace du 6e au 3e millénaire avant notre ère. Dans les Vosges du Nord, un passionné recherche les indices qu'ils nous ont laissés. Et une exposition à la Maison de l'archéologie de Niederbronn fait le point sur les dernières découvertes régionales.
Depuis de longues années, l'archéologue Jean-Claude Gérold se promène dans les Vosges du Nord, en regardant par terre. Particulièrement dans les zones calcaires, qui affleurent par endroit au milieu de ce paysage de grès rose.
Car là, il peut avoir la chance de ramasser des silex, taillés de main d'homme préhistorique : éclats de galets de Néandertal. Outils, plus fins et ouvragés, de Cro-Magnon. Et artefacts encore plus récents, mais non moins passionnants, de l'homme du Néolithique.
Dans toute l'Alsace, beaucoup de traces d'occupations néolithiques ont été remises à jour – excepté dans le Nord de la région, où l'occasion de faire des fouilles préventives ne s'est jamais présentée.
Mais en attendant, Jean-Claude Gérold accueille à la Maison de l'archéologie de Niederbronn, dont il a la charge, une exposition itinérante qui fait le bilan de tous ces signes tangibles laissés par ces aïeux néolithiques qui, il y a un peu moins de 8.000 ans, ont posé leurs valises en Alsace.
Des trouvailles conservées à Niederbronn
Avec de l'intuition et une solide connaissance géologique, Jean-Claude Gérold sait où chercher. Et quelques terrains calcaires lui ont déjà livré de nombreux secrets. A la Maison de l'archéologie de Niederbronn, il conserve plus d'un millier d'objets collectés lors de ses sorties.
Ses trouvailles les plus anciennes remontent à Néandertal, qui arpentait ces contrées voici 100.000 ans, lors du Paléolithique. D'autres outils, dentelés, sont identifiés comme provenant de Cro-Magnon, présent dans le secteur 90.000 ans plus tard. "Chaque période de l'âge de pierre a sa propre façon de fabriquer des outils" explique l'archéologue.
Et récemment, il a enrichi sa collection avec quelques objets du Néolithique : deux racloirs de pierre, l'un aminci sur tout le pourtour, avec des bords quasi-dentelés. L'autre, plus aplati.
Il les a dénichés dans le secteur de Lampertsloch, où il a aussi trouvé des éclats de galet, un marteau de pierre, un petit polissoir de grès "qui aurait pu servir à fabriquer des aiguilles en os." Et, surtout, deux tessons de céramique.
"En archéologie, la céramique est très importante" ajoute-t-il. "Elle permet d'autres déductions, grâce à la datation très précise au carbone 14, impossible avec du silex." Toute cette série d'objets en un même lieu permet donc d'affirmer que des humains du Néolithique se sont bien établis à cet endroit.
Le cas est un peu différent pour cette pointe de flèche néolithique de forme losange, ramassée dans un champ près de Niederbronn. "Un objet assez rare", mais plus avare de renseignements.
En effet, "tout seul, il ne permet pas de déduire si des gens du Néolithique ont vécu là longtemps, en famille, ou dans une maison" estime Jean-Claude Gérold. Car il pourrait aussi s'agir de l'arme égarée par un chasseur de passage.
Une exposition sur le Néolithique
Jusqu'en octobre prochain, la Maison de l'archéologie de Niederbronn est aussi la première étape de l'exposition itinérante sur le Néolithique, montée par Archéologie Alsace. Une exposition très didactique, composée de panneaux explicatifs et de nombreux objets, et qui fourmille d'informations sur ces humains à la fois si proches et si lointains.
Arrivés par la vallée du Danube, vraisemblablement avec leur bétail, les premiers colons du Néolithiques atteignent l'Alsace vers 5.300 ans avant notre ère. Et ils y importent un nouveau mode de vie.
"Certains spécialistes parlent de la révolution du Néolithique" précise Jean-Claude Gérold. "Ils construisent des maisons, ils déboisent." Et commencent à se sédentariser.
"C'étaient des gens comme nous, qui portaient des vêtements, et avaient inventé le métier à tisser. Certains, encore nomades, continuent de chasser. Mais ils vivent surtout d'agriculture." Ce sont les premiers paysans.
Du Sundgau jusqu'à la hauteur de Schwindratzheim (Bas-Rhin), de très nombreuses fouilles préventives, menées avant de gros projets de chantiers, ont révélé une centaine de sites d'occupation néolithique.
Les gros trous noirs retrouvés sous la surface du sol, régulièrement espacés, indiquent la structure et la dimension des maisons, qui étaient faites de poteaux de bois verticaux reliés par du torchis. Et permettent parfois de déterminer l'emplacement de tout un village.
Ces humains du Néolithique avaient domestiqués des porcs, des bovins, des chèvres et des moutons. Des graines carbonisées – dont certaines présentées dans l'exposition - aident à dresser la liste de leurs cultures : pommes, noisettes, blé, orge, lentilles, avoine, pois, pavot, lin…
Dans une vitrine, plusieurs récipients de terre. "L'homme du Néolithique a inventé la céramique. Il a créé des vases et des pots" raconte encore Jean-Claude Gérold. "Non seulement pour boire et manger, mais aussi pour y stocker de la nourriture (...), céréales et denrées non périssables."
Ils maîtrisaient aussi d'autres techniques, comme l'élaboration d'une colle très performante, "entre la Pattex et le silicone" s'amuse Jean-Claude Gérold : la "poix de bouleau". Elle leur servait à fixer de petites lamelles de silex sur du bois ou de la pierre, pour créer des outils : faucilles (dont un modèle est visible dans l'exposition) ou harpons.
Les analyses du produit, dont il reste des traces sur des objets exhumés lors de fouilles, ont révélé qu'il était constitué de "sève de bouleau chauffée, mélangée à de la résine de conifères et de la poussière de charbon de bois."
Le service pédagogique de la Maison de l'archéologie possède la reconstitution d'un harpon, fabriqué selon cette méthode. Ce qui permet de confirmer que cette colle préhistorique est diablement efficace.
Une autre vitrine présente des outils de pierre, vraisemblablement des haches, joliment lissés et affûtés. Ils sont particulièrement représentatifs du Néolithique, qu'on appelle également "âge de la pierre polie". Les humains d'alors les ont créés en les frottant sur un polissoir de pierre, semblable à celui qui fait partie des collections permanentes du musée niederbronnois.
Il s'agit d'un gros bloc de grès, "retrouvé à Dambach-Neunhoffen, au lieu-dit Muckenthal", parcouru de longues rainures très profondes, façonnées par des "frottements répétés".
D'autres polissoirs de ce type ont été identifiés dans des grottes du proche Pays de Bitche, dont à Egelshardt. "L'un des plus beaux se trouve à Haspelschiedt", ajoute Jean-Claude Gérold. "Il est connu dans toute l'Europe. Malheureusement, la grotte s'est écroulée, mais il y a un projet de reconstruction."
Du ramassage de surface, en attendant de véritables fouilles
En attendant l'occasion de fouilles préventives organisées dans sa région, Jean-Claude Gérold continue de sillonner inlassablement les Vosges du Nord. Toujours en scrutant le sol, et en se baissant pour ramasser tout ce qui lui semble sortir de l'ordinaire.
"Le ramassage en surface m'intéresse, il permet de préparer le terrain pour des recherches futures" explique-t-il. Histoire de réunir tous les indices montrant "qu'il y a probablement quelque chose de plus conséquent à trouver."
Car selon lui, le jour venu, "on tombera peut-être sur un village néolithique. Tout est possible."
Mais il est également mû par un sentiment d'urgence. Car il craint que d'ici quelques années, ces signes de vie de nos lointains aïeux disparaissent à jamais.
En effet, dans les champs calcaires, les grosses herses rotatives des tracteurs déchiquètent de plus en plus ces précieux cailloux, au moment même où elles les ramènent à la surface.