Depuis la disparition de son fils Antoine, percuté par un chauffard en 2022, le chef multi-étoilé Yannick Alléno se bat pour dénoncer les violences routières et leurs conséquences dramatiques. Il a fait étape le 9 janvier à Strasbourg pour assister à une séance photo avec des familles de victimes, des co-victimes abandonnées à leur souffrance selon lui. 3000 portraits vont composer une œuvre monumentale signée par l'artiste JR, sur un pont parisien.
Comment vit-on après la perte d'un être cher ? Comment faire le deuil d'une personne morte brutalement, violemment, et injustement ? Le chef Yannick Alléno, qui lui-même a perdu un fils, fauché par un chauffard ivre et au volant d'une voiture volée, n'a sans doute pas de réponse définitive, en revanche, il a une certitude : les familles, des co-victimes sont "effacées" du débat public, laissées sans soutien et démunies face à leurs drames. "Essayons de structurer la société pour aider ces familles à s'en sortir, plaide-t-il. Ne laissons pas nos enfants tomber dans l'oubli, nos enfants ne sont pas des numéros, ce sont nos enfants".
C'est donc pour les sortir de l'anonymat qu'un projet est né, entre l'association qu'il a créée au nom de son fils, et l'artiste JR. Un partenariat pour concevoir une œuvre d'art collective baptisée ALIVE. 3000 portraits, des familles et proches de victimes de la route vont composer un collage géant sur le pont de l'Alma ou le pont du Trocadéro à Paris courant 2025. Ce sera une façon de réhabiliter la mémoire de ceux qui sont partis, et de reconnaître également la souffrance de ceux qui ont été frappés par ces drames.
Car les chiffres sont têtus, et ils ne baissent plus depuis 10 ans. "3 500 morts par an en France, et 16 500 blessés, calcule Jean-Yves Lamant, président de la Ligue contre la violence routière. Cela fait près de 20 000 morts et blessés par an... Et donc, si on considère les proches comme des victimes collatérales, cela fait 200 000 vies brisées chaque année. Deux millions en 10 ans". Vertigineux.
Une femme, venue participer à cette séance de photographie, raconte comment son fils a perdu la vie, alors qu'il se rendait à son travail. Projeté à 18 mètres suite à une violente collision avec un véhicule conduit par une personne en état d'ivresse, et qui roulait trop vite. "Ça ne passe pas, dit-elle doucement. Chaque matin, on rassemble les morceaux comme on peut, et on les fait tenir avec ce qu'on trouve. Famille, amis, et le lien d'amour toujours avec ce fils disparu. On essaye de faire tenir tant bien que mal pour traverser la journée. Mais on aime son fils tellement fort qu'on ne peut pas faire autrement que de continuer à vivre."
Yannick Alléno s'interroge : pourquoi, lorsqu'il y a un attentat, la douleur des familles est prise en compte, un soutien psychologique est mis en place. Et pourquoi pas pour une mort toute aussi soudaine que lors d'un attentat ? "Il faudrait des psychologues, des assistantes sociales, et des avocats compétents pour accompagner les proches", dit-il.
Lui, le chef prestigieux, est conscient qu'il a été correctement entouré. Mais les autres ? Ceux qui n'ont pas d'argent et pas de relation ? "J'ai vu des familles être obligées d'enterrer leur proche sans pierre tombale, témoigne. Ils n'avaient pas d'argent, et l'assurance ne débloquait rien parce que l'instruction n'était pas terminée". La froideur d'une logique administrative qui ne s'encombre pas d'émotions bien trop humaines.
Voilà pourquoi cette œuvre d'art sera exposée à Paris. Pour se recueillir, bien sûr. Mais surtout pour être un énorme signal en direction de toute la société. Afin que chacun regarde en face l'hécatombe routière en cours depuis trop d'années.