Le destin tragique d'un résistant juif emporté dans le dernier grand convoi vers Auschwitz raconté par des collégiens

Mickaël Pinot est professeur agrégé d'histoire-géographie sur l'île de la Réunion. Dans le cadre d'un projet éducatif européen, il retrace avec ses élèves le parcours d'Alain Weil, un déporté juif alsacien, vers Auschwitz, au sein du "convoi 77" en 1944, quelques jours avant la Libération.

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Singulière, l'histoire de l'Alsace pendant la Deuxième Guerre mondiale l'est à bien des égards. Tout le paradoxe réside dans le fait qu'elle soit également universelle. Preuve en est, ce projet éducatif mené par Mickaël Pinot, enseignant agrégé en histoire-géographie qui vit depuis près de 20 ans sur l'île de la Réunion, à quelque 9 000 kilomètres de Strasbourg. 

Dans le cadre d'un projet européen portant sur la mémoire, dont sont partenaires le ministère de l'Education nationale et la ville de Paris, le professeur et sa classe de troisième du collège Mille Roches de Saint-André retracent le parcours d'un résistant juif alsacien, à partir de documents comme "des actes de naissance, des papiers administratifs ou des lettres personnelles". Un vrai travail d'historien.

A la Réunion, la mémoire de la Shoah est moins vive [...] mais les élèves se sont montrés très réceptifs à cette histoire

Mickaël Pinot, professeur agrégé d'histoire-géographie

"Notre collège s'est vu attribuer le déporté Alain Weil, né à Hatten dans le Bas-Rhin, le 7 juin 1904, et mort à Auschwitz en 1944, explique Mickaël Pinot, qui a commencé par géolocaliser le petit village au nord de Haguenau. Il faisait partie du convoi 77 qui a rejoint la Pologne, depuis Drancy, plaque tournante de la déportation en France. Il comprenait environ 1 300 personnes. Partout en Europe, des établissements se sont portés volontaires pour se pencher sur le destin de ces gens."

Le convoi 77 vers Auschwitz, à 17 jours près...

Ce convoi 77, parti le 31 juillet 1944 vers le plus effroyable des camps de la mort nazis, est resté célèbre parce qu'il fut le dernier. 17 jours plus tard, le 17 août, Drancy était libérée par les forces alliées, qui arrachèrent ensuite Paris aux griffes allemandes le 25 août. Au total, les deux tiers des personnes entassés dans ces wagons à bestiaux ont été exterminés.

Si ce travail de mémoire est un incontournable des programmes en métropole et en Alsace, l'histoire de la guerre de 39-45 et ses répercussions encore aujourd'hui demeurent somme toute assez lointaines pour des adolescents nés sous les tropiques, sur une île de l'océan indien. C'est tout l'enjeu de la participation à cette grande aventure pédagogique, dont l'enseignant partage les avancées sur X (ex-Twitter) :

"À la Réunion, la mémoire de la Shoah est moins vive, concède Mickaël Pinot. Il y a peu de rescapés, peu de descendants et la communauté juive n'est pas nombreuse. Tout cela est très exotique pour eux." Pourtant, grâce à la porte d'entrée que constitue la vie d'André Weil, "les élèves se montrent très réceptifs et sensibles à cette histoire", qui touche à l'humain.

Alsacien, résistant puis déporté 

L'enseignant réunionnais, originaire de la région de Poitiers, combine une appétence pour la recherche et la transmission pour apporter du sens aux cours qu'il dispense. Tous les ans, il décortique ainsi les scènes du film triplement oscarisé, Le Pianiste, sorti en 2002 et qui se déroule au cœur du ghetto de Varsovie. "J'ai recroisé par hasard un ancien élève assez récemment. Et il m'a dit qu'il se souvenait très bien du film et que ça l'avait beaucoup touché."

Grâce aux différentes sources en leur possession, ses troisièmes ont pu également cette année se familiariser avec André Weil, de sa région natale jusqu'à la chambre à gaz. "On sait qu'il part à Lyon, en zone libre, au moment où Hitler envahit le nord de la France et annexe l'Alsace au Reich. Là-bas, il est négociant et entre dans la résistance", résume le professeur de 41 ans. On apprend ainsi qu'il a hébergé dans son "local du 7ᵉ arrondissement deux prisonniers de guerre français" en fuite, voulant éviter le STO, le service du travail obligatoire en Allemagne.

Un travail de recherches à partir de documents administratifs, de lettres

Comme le ferait un chercheur, les collégiens reconstituent les pièces du puzzle. "Mon mari fut arrêté dans son entrepôt sur dénonciation de sa qualité d'Israélite", écrit son épouse. Emprisonné et interné par la Gestapo à Montluc, toujours à Lyon, il est transféré à Drancy avant d'être envoyé à Auschwitz, où l'on perd sa trace.

"Un certain nombre de documents date d'après la guerre, de 1948 ou 1949. Sa femme a lancé des démarches pour toucher une pension en tant que veuve de guerre, ajoute Mickaël Pinot. L'objectif, d'ici à la fin de l'année scolaire, sera de faire en sorte que chacun des quelque 1 300 déportés ait son histoire écrite." Et ainsi perpétuer un héritage qui, même lointain au départ, résonnera sans doute encore longtemps dans la mémoire de ces élèves réunionnais. 

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