Face au suicide de sa mère, le réalisateur Frederik Arens Grandin choisit de poursuivre le documentaire qu'il avait commencé à lui consacrer. Un film pour retracer le parcours de Lisa, sans chercher d'explications. Juste pour remplir le vide qu'elle a laissé dans sa vie.
L'appartement est vide. Silencieux. Pourtant, Lisa, la mère du réalisateur, y a vécu et y a conservé ses souvenirs, ses archives personnelles. Mais Lisa est morte. Elle a mis fin à ses jours. Frederik Arens Grandin choisit alors de poursuivre le tournage de son documentaire qu'il voulait lui consacrer. Il prendra juste une autre tournure. De portrait d'une militante, il se métamorphosera en un document testament sur cette mère qui a laissé un gros vide derrière elle.
Voici trois raisons de voir "Lisa, ma Mère", un documentaire de Frederik Arend Grandin.
1. Parce que le suicide…
Parce que le suicide reste le tabou ultime. Un tabou dans un autre tabou, celui de la mort. Une mise en abyme insoutenable pour ceux qui restent. Avec son lot de pourquoi, de si, de regrets et de larmes. Alors pour faire taire ce vide rempli de questions, Frederik Arens Grandin décide de poursuivre son documentaire. Il devait le faire avec sa mère, il le fera sans elle, pour lui. Et le portrait devient hommage, testament. Il commence ainsi, au lieu d'interroger sa mère, comme il l'avait prévu, à ouvrir tiroirs et armoires pour leur faire livrer leurs secrets. Parmi les livres, un l'interpelle en particulier intitulé "le tabou du suicide".
2. Par admiration pour la femme qu'a été sa mère
Lisa était Allemande. Née dans l'après-guerre, de parents qui, au mieux, avaient fermé les yeux sur le nazisme. Adolescente, elle se retrouve en opposition frontale avec son père. Ce dernier la chasse de sa maison et la jeune fille doit subvenir seule à ses besoins. Et c'est en France, à Strasbourg, qu'elle trouve refuge, apprend le français et reprend des études. Et prend une part active dans les luttes étudiantes. Une jeunesse des années 70, éprise de liberté, refusant le patriarcat et toutes formes de guerres. Puis c'est la rencontre avec Alain, le déménagement dans le sud de la France.
Mais elle est rattrapée par son histoire familiale. Son père lui lance un ultimatum. La menace de ne plus jamais voir sa famille résonne en elle. La militante redevient petite fille et rentre en Allemagne. Oubliés les rêves de cinéma qu'elle avait entretenus avec son amoureux. Revenue dans le giron paternel, elle cède sur tous les points et suit la voie qu'il a tracée pour elle : elle sera professeur. Le patriarcat est repassé par là, écartant toute idée de liberté, repoussant tous les rêves de jeune fille. La faille en elle se dessine.
3. Parce que l'histoire individuelle s'inscrit toujours dans l'Histoire
Des parents ayant vécu la guerre du côté du nazisme. Une vague de liberté qui emporte toute la jeunesse européenne. C'est le contexte général.
Côté histoire personnelle, après l'abdication face à l'ultimatum de son père, Lisa finit par faire ce que la société attend d'elle. Des études, un emploi sans passion. L'amoureux français qu'elle a quitté pour obéir à son père la retrouve en Allemagne. "Je voulais être avec elle", explique Alain à son fils réalisateur lors du tournage du documentaire. Mais nul ne sait si Lisa souhaitait la réciproque, ce n'est pas dit. Une fois de plus, elle se plie au désir d'un homme. La société n'a pas encore suffisamment fait sa révolution féministe.
Une explosion nucléaire plus tard, celle de la centrale nucléaire de Tchernobyl, son couple vole en éclat. Et les premières idées suicidaires s'emparent de Lisa. Elle tentera pourtant de reprendre sa liberté sur une île, mais à la mort de sa mère, elle reprend le chemin qui a été balisé pour elle. La crise du covid avec son lot de confinements aura raison de ses derniers souffles de vie.
C'est une "Lettre à Élise" rédigée par un homme à sa mère disparue, une lettre sans réponse, une lettre à mettre dans un tiroir.
"Lisa, ma mère", un documentaire à voir dans son intégralité ici.