L'interdiction à la location des logements énergivores à partir de 2025 contraint propriétaires et bailleurs à accélérer la rénovation thermique des bâtiments. Un défi coûteux à Strasbourg, où 35% du parc immobilier est concerné, d'autant qu'il faut prendre en compte la dimension patrimoniale.
C'est un petit pas pour la planète, mais une étape concrète et significative franchie dans la politique environnementale du gouvernement. Ce lundi 12 avril, les députés ont voté à l'unanimité une loi qui vise à interdire la mise en location des logements dits "passoires thermiques".
Concrètement, les biens classés G sur l'échelle (de A à G) du diagnostic de performance énergétique, le DPE, ne pourront plus être loués à l'horizon 2025. Idem pour ceux classés F à partir de 2028. Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, s'est réjouit ce mardi 13 avril de l'adoption de ce texte, précisant que cela concernait au moins "quatre millions" de logements en France:
Au moins 4 millions de logements devront obligatoirement être rénovés avant d'être mis en location : c'est concret, c'est voté ! #ClimatRésilience pic.twitter.com/PRQQWc9o0W
— Barbara Pompili (@barbarapompili) April 13, 2021
A Strasbourg et dans son agglomération, le chantier s'annonce colossal. 35% du parc immobilier de l'Eurométropole, soit près de 76.000 logements, serait concerné par cette mesure, selon une enquête menée en 2013. En France, la moyenne se situe entre 15 et 20%.
Une méthode de calcul plus fiable mais... plus sévère
Et encore, les notes de nombreux logements pourraient encore se dégrader dès le 1er juillet 2021, date à laquelle la réforme du DPE sera effective. "Jusque-là, deux méthodes cohabitaient, explique Pascal Beaucamp, gérant d'une société experte en diagnostics à Strasbourg, Haguenau et Metz. Pour les logements construits avant 1948, on établissait le diagnostic en fonction le montant des factures de chauffage, pour ceux construits après 1948, on procède à une étude thermique complète, en prenant en compte des critères comme l'isolation, le renouvellement de l'air et le rendement du chauffage."
A partir de cet été, c'est la deuxième méthode, "plus fiable", qui sera appliquée de manière universelle, après une mise à jour des logiciels. Autant dire qu'aucun bâtiment ne passera plus entre les gouttes du DPE. "Une maison de 200 mètres carrés des années 30 avec une personne vivant seule et chauffant peu pouvait obtenir une bonne note même en étant mal isolée parce que la consommation réelle était faible par rapport à la taille du logement", ajoute Pascal Beaucamp.
Les locataires sont de plus en plus exigeants par rapport aux performances énergétiques
Dans une ville où une bonne partie du bâti est ancien, et donc par définition moins bien isolé et plus gourmand en énergie, cela ne sera pas sans conséquences. "C'est d'autant plus vrai qu'aujourd'hui, les locataires sont de plus en plus exigeants par rapport aux performances énergétiques des biens qu'ils louent. On le ressentait déjà avant qu'on parle de la loi climat", précise Jérémy Roussel, négociateur immobilier à Strasbourg.
Les logements sociaux en avance, le parc privé traîne la patte
La ville et les bailleurs sociaux ne comptent pas attendre 2025 pour agir. Ophéa (ex CUS habitat), principal bailleur de l'Eurométropole, mène depuis une dizaine d'années plusieurs programmes de réhabilitation. Cela va des travaux d'isolation à l'installation de chauffages plus performants et économes en passant par l'amélioration des systèmes de renouvellement d'air.
Neuhof, Esplanade, quartier des Quinze... au rythme de 1.000 rénovations par an et avec près de 450 millions d'euros investis dans le cadre d'un projet qui court de 2019 à 2024, le bailleur devrait relever le défi. En 2025, seule une poignée d'appartements, sur les près de 20.000 gérés par Ophéa, devraient encore être classés G ou F par le DPE.
Pour engager des travaux, il faut l'accord de tous les co-propriétaires
La mission s'annonce plus délicate dans le secteur des biens privés, comme l'explique Suzanne Brolly, adjointe à la maire de Strasbourg en charge de la ville résiliente: "80% du parc privé est constitué de logements collectifs. Or, pour engager des travaux, il faut l'accord de tous les co-propriétaires. Les situations peuvent être très compliquées."
Pas étonnant, quand on sait que le prix d'une pompe à chaleur atteint sans difficulté 10.000 euros et qu'il faut compter une centaine d'euros du mètre carré pour un ravalement de façade. "C'est vraiment au cas par cas mais il est clair que ça représente des sommes importantes, concède Suzanne Brolly. Entre 2014 et 2020, l'Anah, l'agence nationale de l'habitat et l'Eurométropole ont investi vingt et trois millions d'euros rien que pour les travaux liés à la performance énergétique des bâtiments dans l'agglomération."
Préservation du patrimoine vs contraintes techniques
750 co-propriétés seraient encore dans un état dégradé à Strasbourg et alentours. Des solutions devront être trouvées, mais pas n'importe lesquelles... et c'est là l'autre écueil. Strasbourg présente en effet deux quartiers classés au patrimoine mondial de l'Unesco, la Grande-Île depuis 1988 et la Neustadt depuis 2017. Prestigieux certes mais, en termes de rénovation thermique, cela constitue davantage une contrainte.
Isolation par l'intérieur, choix d'un cadre de fenêtres spécifique, le diable est dans les détails et les prix peuvent rapidement s'envoler. "La collectivité est en contact régulier avec la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement et les architectes des bâtiments de France pour faire au mieux en respectant l'aspect visuel", indique Suzanne Brolly.
Pas question bien sûr de dénaturer Strasbourg. D'ailleurs, de nombreuses aides financières sont prévues par l'Etat, appuyées parfois par les villes, en faveur des particuliers. Le dispositif MaPrimRénov permet ainsi d'obtenir une somme d'argent proportionnée à vos revenus et au gain énergétique obtenu par les travaux.
Autre bonne nouvelle, sur le long terme cette fois. "C'est une avancée écologique qui va avoir des effets concrets, comme permettre l'allégement de la facture des locataires et des propriétaires", conclut Jérémy Roussel. Et ça, personne ne s'en plaindra!