Municipales à Strasbourg : comment Jeanne Barseghian est devenue la première maire écologiste de la ville

Elle l’a fait : malgré une triangulaire qui lui était défavorable, Jeanne Barseghian devient la première maire écologiste de Strasbourg avec 41,7% des voix et dans tous les secteurs de la ville. Elle progresse de près de 14 points par rapport au premier tour. Analyse des raisons de son succès.

"Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait", c’est par ces mots empruntés à Mark Twain que Jeanne Barseghian a ouvert son discours de remerciement à ses soutiens. Elle était "l’inconnue" de ces municipales 2020, on l’avait dit "inexpérimentée", force est de constater que cela n’a pas freiné ceux qui ont voté pour elle ce 28 juin : à 39 ans, Jeanne Barseghian, tête de liste EELV dans la course aux municipales, devient la première maire écologiste de Strasbourg. Avec 41,70%, elle coiffe au poteau le dauphin de Roland Ries, Alain Fontanel (LREM) allié au second tour à Jean-Philippe Vetter (LR). Besoin de changement, poussée des Verts, abstention historique et une alliance à droite qui fait "pschitt", voici l’analyse des raisons de sa victoire.

La vague verte déferle sur Strasbourg

A Strasbourg comme à Bordeaux, Lyon, Poitiers ou Grenoble, les écologistes s’imposent comme une force politique de premier plan. Les Verts sont les grands gagnants de ces municipales 2020. Une bascule historique qui enthousiasme l’eurodéputé EELV Yannick Jadot : "Ce qui est passionnant dans les villes qui confirment ou qui basculent, c’est qu’elles le font autour de l’écologie et de la solidarité".
 

Comme vous pouvez le voir sur le graphique ci-dessous, la progression des écologistes est nette entre les deux tours. 
Mieux quartiers populaires -souvent périphériques- et centre-ville -grande île et coeur historique- ont voté vert. Le parti écologiste aura fait mentir les Cassandre qui résumaient le succès écologiste au triomphe des Bobos Strasbourgeois. Sur la carte ci-dessous, le vert a fait tâche d'huile vers la périphérie même si l'abstention a connu des records et que rares bastions sont restés fidèle à la gauche parlementaire et à Catherine Trautmann
 

En 25 ans, le vote vert à Strasbourg n’a jamais cessé de progresser, doucement mais sûrement. Les écologistes, à chaque fois qu’ils l’emportaient, étaient toujours alliés au PS, comme ce fût le cas à deux reprises en 2008 et 2014 avec le ticket gagnant Roland Ries-Alain Jund. Cette fois-ci, Jeanne Barseghian, refusant de s’allier lors de l’entre-deux tours avec Catherine Trautmann, tête de liste PS, l’emporte seule.

Le politologue strasbourgeois, Richard Kleinschmager, reconnait avoir été surpris par l'issu de cette élection municipale mais il tempère : "il y avait quand même des prémices. La victoire de Danielle Dambach  à Schiltighem au premier tour était un élément qui constituait un indice sérieux. C’est une véritable vague, comme la vague rose des municipales de 1989 qui a permis à Catherine Trautmann de l'emporter. On sent que les questions ultra-locales ont été submergées par le défi écologique, que la crise du covid19 a évidemment magnifié". Selon lui, le mouvement de fond de politique nationale a porté ces nouveaux maires écologistes qu'ils soient à Bordeaux, Lyon, Marseille et bien sûr Strasbourg.

La percée significative de la liste d’Europe Ecologie Les Verts aux dernières élections européennes en mai 2019 avec un score de 13,5% des voix avait sonné pour Jeanne Barseghian la fin d’un cycle politique, et le début d’un autre. Refuser l’alliance avec le PS était un pari risqué. Pari gagnant finalement.

Une abstention historique

63,42% : jamais le taux d’abstention enregistré pour une élection municipale à Strasbourg n’avait été aussi fort. Il est encore un peu tôt pour dresser le portrait-robot des abstentionnistes mais ce que l’on sait déjà, c’est que les classes populaires ne sont pas massivement déplacées, malgré une fin de campagne intense menée ces derniers jours dans les quartiers par les trois têtes de listes. Les électeurs conservateurs qui se déplacent traditionnellement pour aller remplir leur devoir de citoyen ont été sans doute beaucoup moins nombreux.

 

Richard Kleinschmager rappelle qu'en 1989, l'abstention était de 28%. En trente ans, elle a plus que doublé. Le politologue y voit plusieurs facteurs. D'abord l’inquiétude liée au covid : la peur d’être contaminé dans les bureaux de vote a sans doute joué un rôle déterminant. Mais au-delà de ce contexte de crise sanitaire, il estime que "cette élection était très bizarre : on vote un premier coup et on vote trois mois après pour le tour décisif. Ca n’est pas mobilisateur pour la population".

Avec 21.592 voix (alors que Roland Ries en 2014 en avait recueilli 36.323), Jeanne Barseghian a bien conscience qu’elle n’a pas emporté l’adhésion de tous les Strasbourgeois. Après l’annonce des résultats, c’est d’ailleurs à eux qu’iront ses premiers mots : "Aux personnes qui ne se sont pas déplacées ou qui n’ont pas voté pour notre projet, je veux les assurer que je gouvernerai pour et avec de toutes et tous les Strasbourgeoises et Strasbourgeois, dans le respect, l’écoute et le dialogue".
 


Une alliance à droite qui n’a pas fonctionné

Le 2 juin 2020, alors que Jeanne Barseghian et Catherine Trautmann faisaient savoir qu’elles ne fusionneraient pas pour le second tour, Alain Fontanel, tête de liste LREM, annonçait qu’il ferait liste commune avec Jean-Philippe Vetter (LR). Coup de théâtre et coup politique : c’était mathématiquement la seule chance pour le parti d’Emmanuel Macron d’avoir Strasbourg dans son escarcelle.
 
La soirée dans le camp des conservateurs se résume sans doute dans cette photo : deux visages fermés rivés sur leur smartphone, ceux du Républicain Jean-Philippe Vetter et du marcheur Alain Fontanel. La candidate "disruptive" ce dimanche 28 juin était une conseillère municipale inconnue il y a encore six mois.

Revendiquant son pragmatisme, le tandem uni « pour faire face à une crise économique sans précédent » échoue à la deuxième place de ce second tour. Alain Fontanel recueille 34,96% des voix. Les électeurs du centre gauche ont boudé l’ancien socialiste devenu LREM en 2017. Les voix socialistes ont voulu faire barrage à cette alliance jugée par certains comme étant contre-nature.

"Curieusement les deux fusionnés font, à quelques voix près, le score qu’ils ont fait au premier tour en total de voix", note Richard Kleinschmager, "mais cela ne suffit évidemment pas pour l’emporter. Je pense qu’il y a eu un jeu d’échange entre ceux qui avaient voté Fontanel qui sont allés voter Trautmann et d’autres qui sont allés voter pour Jeanne Barseghian. Mais Fontanel a conservé son score du premier tour". Une alliance de dernière minute qui n'était finalement pas une bonne idée : elle aura même fait perdre des voix à la droite.

Le politologue va même plus loin : selon lui, cette alliance a brouillé les pistes et sans doute participé à ce taux d'abstention de plus de 63%. "La fusion des propositions d’une liste curieuse d’adversaires antérieurs, ça n’est pas fait pour clarifier le débat politique. Pour avoir avoir des retours de participation, il faut des enjeux clairs".

 

Vers la fin de la politique politicienne ?

La victoire de Jeanne Barseghian en a surpris plus d’un. Il suffisait de regarder la télévision ce 28 juin soir pour comprendre qu’elle avait déjoué tous les pronostics, ceux des politiques comme ceux des commentateurs.
 
Il y a encore une semaine, elle sentait qu’elle n’intéressait plus les "nationaux". Mais, pour elle, aucune raison de baisser les bras : "avec tout ce que j’entends sur le terrain, je me dis que ce second tour est loin d’être plié. Les gens sont assez écoeurés par cette fusion de dernière minute entre les deux candidats LREM et LR. Cette politique politicienne, c’est précisément ce contre quoi je me bats".

Avec cette victoire écologiste, c'est une nouvelle ère politique qui s'ouvre à Strasbourg. Sûr que « les nationaux » vont retrouver son numéro de portable. Pour Jeanne Barseghian, reprenant son slogan de campagne, « demain commence aujourd’hui ». Et il y a du boulot.
 
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