Alain Fontanel a été battu au second tour des élections municipales à Strasbourg, qui se tenait le 28 juin. L'écologiste Jeanne Barseghian sera la maire de Strasbourg. Qui est vraiment ce proche d'Emmanuel Macron qui ne dirigera pas Strasbourg avec les Républicains.
Les urnes ont rendu leur verdict. L'écologiste Jeanne Barseghian remporte le scrutin pour les écologistes. Elle dirigera avec son équipe Strasbourg et son Eurométropole, depuis cet immeuble très années 90 que vous pouvez voir dans la vue panoramique ci-dessous. Alain Fontanel n'a donc pas réussi son pari.
Au premier tour des municipales, le premier adjoint macroniste avait décroché une décevante deuxième place, n'ayant pas pu prendre l'ascendant sur la vague verte entraînée par Jeanne Barseghian (EELV) et ayant perdu des plumes avec le retour aux affaires en fanfare de Catherine Trautmann (PS). Mais c'était reculer pour mieux sauter : avec son alliance de dernière minute avec Jean-Philippe Vetter (LR), quatrième homme du premier tour, il est devenu mathématiquement le favori du second tour. Alliance de la carpe et du lapin qui n'a pas convaincu.
Le chaud et le froid
Nous sommes le 24 juin. Comme ses deux concurrentes, c'est le jeu, Alain Fontanel bat la campagne électorale. En ville. Il m'a invitée à le retrouver au fin fond du Neuhof, quartier prioritaire, quartier pauvre, quartier capital. Je m'attends à voir débarquer tout un aéropage pour immortaliser cet instant : pensez-vous, lui, l'énarque, qui vient à la rencontre des défavorisés. Un symbole fort. À exploiter. Car dans toute compétition, surtout celle-là peut-être, tout est question de représentations. De représentativité.
Je me trompe lourdement. Pas de cortège. Alain Fontanel gare sa petite voiture auto-partagée (là encore rien n'est laissé au hasard) sur le parking du gymnase. Il en descend, seulement accompagné de son conseiller qui, je le comprends rapidement, est là pour gérer le timing. Il aura les yeux vissés sur son téléphone durant toute la rencontre. La campagne est aussi un marathon. Cette réunion avec les membres de l'AS Futsal sera donc, si ce n'est confidentielle, du moins intime.
Alain Fontanel semble détendu. Détendu, mais fatigué. Cet entre deux tours n'en finit plus. Malgré la lassitude, il est, comme à son habitude, impeccable. Chemise blanche immaculée (en-a-t-il en stock dans le coffre de la voiture ?). Pantalon à pince. Veste sombre. Le contraste est saisissant. Jésus, Kenny et les autres, attablés à l'ombre du gymnase, sont tous en jean, tee-shirt floqué, à l'aise Blaise. De part et d'autre de la table, deux mondes se font face. Celui du policé, et celui du populaire, au sens propre du terme. Je suis curieuse.
Alain Fontanel semble à l'aise. Il parle d'une voix douce et calme. Il n'a jamais été un agité du bocal. De l'autre côté, pourtant, les esprits s'échauffent un peu et ce n'est pas à cause de la chaleur. Pas assez de subventions, pas de local ... la ritournelle habituelle, je présume. "Pour une équipe de D2, c'est la honte, c'est le système D. On sèche les maillots chez nous, on a pas de quoi accueillir les joueurs d'autres équipes. On est fatigués, monsieur Fontanel. Ries ne sait même pas qu'on existe avec tout ce qu'on fait pour les jeunes du quartier depuis 4 ans. On est motivés, mais là c'est clair, la passion diminue. C'est dommage." lui raconte Kenny Tanovan, animateur au centre socio-culturel (CSC) du Neuhof.
Alain Fontanel encaisse les coups sans broncher. Il écoute. D'aucuns, beaucoup lui reprochent d'ailleurs cette attitude. Lisse, consensuelle, décrit Maxime Arnoult du Centre universitaire d'enseignement du journalisme (Cuej). Et par certains égards, froide. L'interessé confie : "Je suis lisse, peut-être, mais c'est parce que surtout je suis pudique. Si on dit de moi que je suis froid, c'est simplement que je me protège. C'est humain."
Je ne vous promettrai pas un chèque de 50.000 euros si je suis élu. D'autres le font. Pas moi.
Une attitude qui, aujourd'hui, va s'avérer payante. Le premier adjoint ne leur jouera pas la comédie. Pas de fausse indignation. Pas d'airs pompeusement outragés ni de trémolos affectés. Ce n'est pas le style. "Moi, si je suis venu ici, c'est d'abord pour vous entendre et voir ce qui ne va pas. Je ne vous promettrai pas un chèque de 50.000 euros si je suis élu. D'autres le font, je le sais. Pas moi. Je veux jouer cartes sur table, afin que la confiance s'installe. Ce qu'il faut d'abord faire, c'est revoir les critères d'attribution des subventions pour plus d'équité. Voir aussi comment créer des partenariats avec le secteur privé ... il y a des solutions. On va y réfléchir tous ensemble, trouver la meilleure méthode."
La méthode. Voilà qui lui correspond bien. Alain Fontanel n'est pas un romantique. C'est un cartésien.
Du sang et des larmes
Après le départ de ce dernier, je vais voir Jésus, l'Espagnol à la verve fleurie. Que pense t-il de cette entrevue d'une heure ? Son avis m'intéresse, lui, qui entraîne les équipes depuis quatre ans. "Bah, vous savez on est pas dupes. C'est à chaque fois pareil, à chaque élection, ils viennent dans les quartiers pour faire leur parade. La semaine dernière, y en a une qui est venue aussi. A part taper sur Ries, on a pas eu un mot, une question sur notre travail. Là, franchement, je vous le dis, je suis surpris. Pas de fausses promesses, ça fait du bien. Je ne dis pas que je voterai pour lui, mais oui, c'était honnête. J'aime ça."
À l'heure où la politique semble n'être qu'une vaste comédie, la sincérité est devenue un atout. Précieux. Alain Fontanel a indubitablement pour lui son naturel. De glace. Froid peut-être, mais transparent. "Je me suis toujours refusé à faire du média training. Je ne comprends pas le but de ces formations qui chassent l'homme et en font une machine." D'ailleurs, il est ce qu'on appelle dans notre jargon "un client moyen moyen" et je suis gentille. Sur les plateaux télé, il ne brille pas non plus par son charisme ou ses punchlines. Tant pis pour ceux qui s'arrêtent aux apparences.
Un naturel qui transparaît aussi sur les réseaux sociaux. Alain Fontanel est amateur de déguisements. Il faut le voir pour le croire. Et justement, il ne s'en cache pas. Quitte parfois à frôler le ridicule. Lui-même en est conscient. Il assume parfaitement. "Je fais mes photos, je fais mes commentaires, je ne triche pas. Je relis tous mes post, je les assume. C'est moi. Si c'est pas bien, c'est de ma faute. C'est tout". Contrôl freak contre freaks tout court, Alain Fontanel a choisi son camp.
Alain Fontanel pleure. C'est aussi une sacrée extravagance dans ce monde aseptisé. Lors du lancement officiel de sa campagne, lors de l'attentat de Strasbourg, et même ... lors de notre rencontre du 24 juin. À l'évocation de ses parents, habitant la Robertsau et "qui l'ont toujours soutenu", ses yeux se mouillent. L'incorrigible. "Paradoxalement, sous mes airs froids, je suis quelqu'un de très sensible. Très empathique, peut-être trop. Quand je pleure, c'est à cause des autres. Je ne pleure jamais sur moi. Je pleure parce que les autres m'émeuvent. Ce sont des moments de vérité. C'est plus fort que moi."
L'homme, la bête politique
L'humain est ainsi fait. De paradoxes. C'est ce qui le rend intéressant. Alain Fontanel est un être particulièrement sensible et, oui, touchant. Il n'en reste pas moins, comme beaucoup de ses homologues, une bête politique. On n'arrive pas premier de la classe, premier adjoint du maire de Strasbourg et poulain de Roland Ries simplement en sortant des mouchoirs ou des canines en plastoc.
Durant le double-mandat de Roland Ries, Alain Fontanel n'a cessé de prendre du poids. Du poids politique. D'abord quatrième adjoint aux finances en 2008, il grimpe les échelons et passe premier adjoint en 2014. Il devient dès lors omniprésent, pour ne pas dire omniscient. Sur la culture et les monuments (et on n'en manque pas à Strasbourg), sur les transports (il préside la Compagnie des transports strasbourgeois), sur le Racing Club de Strasbourg (RCS, dont il accompagne la remontée en Ligue 1), sur le marché de Noël et son sapin maudit... Il est partout, surtout devant les caméras. Histoire de dire, au cas où nous n'aurions pas bien compris : "Maintenant, c'est moi, hein." C'est simple, pendant trois ans, il sera notre interlocuteur sur à peu près tous les sujets. Au point de devenir au sein de la rédaction une sorte de marotte : "Tu n'interviewes pas Fontanel ?"
Pendant ce temps, Roland Ries s'efface. Lui qui, de toute façon, a toujours été un homme discret. Le dauphinat, la passation de pouvoir, puis l'émancipation se font de manière simple. Fluide. De cette relation amicale et même un peu filiale, Alain Fontanel tente désormais aujourd'hui de s'extraire. "Roland Ries sera toujours un ami, nous garderons contact, c'est certain. Ceci dit, si je gagne cette élection ce ne sera pas grâce à mon dauphinat mais grâce à mon travail. Je me suis écarté de son chemin avec certaines de mes propositions de campagne, je l'assume."
Si je gagne cette élection ce ne sera pas grâce à mon dauphinat mais grâce à mon travail.
Comme la vie, le destin politique est fait de rencontres décisives. Ries et le PS. Puis Macron et la vague d'En Marche en 2017. Nouvelle vague dans laquelle l'énarque se reconnaît et se plonge. Pragmatique, ouvert, opportuniste. "Je ne suis pas simplement un technocrate avec un parcours classique. J'ai eu une vie avant d'entrer en politique. Avant de faire l'Ena, j'ai été enseignant d'économie puis chargé d'assister les réformes écononomiques au Vietnam. J'y suis resté dix ans. J' y ai rencontré ma femme, c'est elle qui m'a ramené en Alsace. J'aurai une vie après les élections aussi, je ne vis pas que pour ça, que de ça. J'ai un autre métier que j'aime."
Les visites fréquentes du président de la République dans la capitale alsacienne ont été des coups de pouce bienvenus dans cette campagne agitée (il a retrouvé l'un de ses tracts souillé de croix gammées nazies sur sa propriété). Sur les images, aux côtés d'Emmanuel Macron, Alain Fontanel ressemble à un enfant timide. Impressionné. Subjugué. Il a trouvé un nouveau mentor. Haut placé.
Pragmatisme
Nouveau mentor, nouvelle étiquette. Ce changement de costume là, beaucoup le lui reprocheront. Et ceux-là n'auront encore rien vu.
Le 2 juin, ce n'est pas un simple retournement de veste qui a lieu devant la préfecture. C'est une révolution complète. Feutrée, mais redoutable. Une heure seulement avant la clôture des listes pour le second tour, presque en catimini. Alain Fontanel, tout sourire, annonce faire liste commune avec Jean-Philippe Vetter, le candidat des Républicains, le poulain de Fabienne Keller. Unis pour Strasbourg. Stupeur et tremblements.
"Cela n'a pas été une décision facile, je dois l'admettre. J'ai consulté pas mal de gens avant de la prendre, mais l'envie de rassembler a été la plus forte. J'ai toujours dit ne pas vouloir une quadrangulaire pour Strasbourg. Être élu avec 8% des voix, non mais qu'est-ce-que ça veut dire ? Il faut une assise solide pour être légitime."
Sur Twitter, les fiançailles sont vites consommées avec une affiche commune dévoilée. "Nous faisons face à une crise économique sans précédent", explique Jean-Philippe Vetter comme pour justifier l'alliance (voir son tweet ci-dessous).
Nous faisons face à une crise économique sans précédent. Des milliers d'emplois sont en danger. La pauvreté va augmenter et aura des répercussions très importantes dans la vie quotidienne des Strasbourgeois. pic.twitter.com/kLnSg7BbTH
— Jean-Philippe Vetter (@JPVETTER) June 12, 2020
"Cela n'a pas été une décision facile, je dois l'admettre", m'explique Alain Fontanel embarrassé. L'envie de se rassembler ou l'envie de gagner à tout prix ? À n'importe quel prix ? Le doute est permis. Et balayé d'un revers de veston. " On ne peut pas nous reprocher de nous unir plutôt que de nous déchirer. Et puis le pouvoir, ça ne se concentre pas : ça se partage. On dialogue, on avise : c'est ce qu'on a toujours fait à l'Eurométropole. Strasbourg avait besoin de nous pour se reconstruire, le moment l'exigeait. J'ai le sens des responsabilités, c'est tout."
Ce sera le grand leitmotiv de cet entre deux tours. Face aux "dangers" des idéologies et de l'écologie en particulier, les deux hommes brandissent en plein débat un pragmatisme viril. Chevaleresque, presque : "Je pense que la complexité d'une ville, c'est des problèmes de toutes et de tous. Une municipale, c'est pas un concours de pureté idéologique. Il faut des solutions concrètes." Cette équation faite de pragmatisme, rien que du pragmatisme, c'est le mot d'ordre martelé dans le clip de campagne des deux candidats, visible dans cette vidéo.
Cette alliance improbable, qui peut lui faire perdre des voix à gauche, a certainement dû, déjà, lui en coûter. Humainement. Sur la nouvelle liste, les têtes sont tombées. Les têtes de liste d'Alain Fontanel, surtout. Adieu la société civile, bonjour les politiques politiciens. Pur jus. Exemple avec son ancienne numéro deux, la maraîchère robertsauvienne Laetitia Hornecker, tout bonnement éjectée : "Alain a fait de son mieux. Il a saisi cette main tendue. J'espère maintenant que ce choix va payer. En tous les cas je ne lui en veux pas. Il a fait ce qu'il y avait de mieux à faire."
Alain a fait ce qu'il y avait de mieux à faire. J'espère que ce choix va payer.
Quant à son nouveau partenaire, Jean-Philippe "JP" Vetter, dont il est devenu (sur les photos) inséparable, Alain Fontanel dit de lui, yeux secs et sourire en coin : "Nous avons tous les deux une relation agréable, fluide et basée sur la confiance." Pas le grand frisson. Dans ce mariage arrangé, heureusement qu'il y a le foot (comme on le voit dans la publication ci-dessous). L'avenir nous a prouvé que c'était insuffisant.
S'il avait été maire, après la crise du coronavirus, la priorité d'Alain Fontanel, comme il l'a déclaré à nos collègues de 20 Minutes, aurait été de déclarer l'urgence économique en allégeant les taxes pesant sur les entreprises. Et, situation sanitaire oblige, de "prendre soin" du personnel de santé. Ce ne sera pas le cas, après son échec, et ce maintenant qu'il vole de ses propres ailes... en avion biplace.