"On ne peut pas plaider pour la cause animale si l'on n’aime pas soi-même les animaux", portrait de l'avocat de la SPA de Strasbourg

Didier Reins est avocat. Depuis deux ans, il défend la cause animale dans les prétoires pour le compte de la SPA. Bénévolement. Et, il y a du travail : les maltraitances animales sont en forte progression. Portrait de celui qui prête sa voix à ceux qui n'en ont pas.

J’ai rencontré Didier Reins au tribunal correctionnel de Strasbourg en février dernier. Drapé dans sa robe de jais, regard et crinière de Husky, l’avocat, m’avait mordue en plein cœur durant sa plaidoirie.

Didier y parlait sobrement de Moka, Pékinois d’un an, défenestré par son propriétaire du 5ᵉ étage. Mort de l’ivresse d’un homme perdu. Reconnu coupable. Condamné à huit mois de prison ferme pour cet acte cruel. Je m’étais demandée alors, bêtement, c’est le cas de le dire, s’il fallait que Didier aime les animaux pour les défendre ainsi. De sa voix grave, sentencieuse mais pas moralisatrice, pénétrée. Tout est parti de là.

Promeneur du dimanche, avocat du lundi

Voilà donc qu’aujourd’hui, je vais en savoir un peu plus sur ce drôle d’animal de cour de justice. "Spécialiste de la cause animale et du droit routier" me précise-t-il. 

Didier a 55 ans et 23 ans au service des animaux. "Que je me souvienne, j’ai toujours eu des chiens." Famille d’accueil pour ceux de passage, abandonnés, promeneur du dimanche et lundi pour la SPA ou tout simplement maître appliqué et bienveillant, Didier a noué avec eux des relations magnifiques. "Je ne dirais pas que j’en suis gaga, non, mais on se parle, on se comprend."

Perley, sa dalmatienne de 13 ans, est à ses pieds, comme toujours. Lui l’est aussi, d'une autre manière. Au bureau ou à la maison. "Je l’ai adopté à la SPA, son maître voulait la piquer parce qu’elle était trop vieille. Finalement, il l’a laissée, comme ça, en moins de dix minutes. Je lui ai offert une belle retraite."

Je suis trop effrayé par la manière parfois dont on traite les animaux, ça me scandalise. On ne peut pas plaider pour la cause animale si l'on n’aime pas soi-même les animaux.

En échange, Perley lui offre aussi beaucoup. "Des respirations entre deux dossiers quand nous sortons en promenade, une compagnie, mais aussi une sacrée VRP. Les clients l’adorent, je me demande s’ils ne viennent d’ailleurs pas pour elle." Une mascotte qui revient de loin, tout comme les chiens que Didier défend, quand ils reviennent bien sûr de leurs sévices. Il est le porte-parole de ceux qui n’en ont pas. L’avocat de la SPA de Strasbourg.

La SPA de Strasbourg a vu en Didier un homme providentiel. Un promeneur de chiens, assidu, qui maîtrise la laisse autant que la loi, ça ne court pas les rues. "La dirigeante m’a proposé de les représenter il y a deux ans. J’ai tout de suite accepté. Je suis trop effrayé par la manière parfois dont on traite les animaux, ça me scandalise. Je suis raccord avec moi-même. On ne peut pas plaider pour la cause animale si l'on n’aime pas soi-même les animaux." J’ai ma réponse.

Une hausse des maltraitances animales

Didier Reins consacre 1/3 de son activité aux dossiers de maltraitances animales. Bénévolement. Intensivement. Ces violences sont en hausse. L’année dernière en France, la SPA a traité 23.800 signalements, soit une progression de 52%.

Je vais au tribunal toutes les semaines en ce moment, j’ai dépassé la barre des cinquante affaires.

"Je vais au tribunal toutes les semaines en ce moment, j’ai dépassé la barre des cinquante affaires, oui. Il y a certes de plus en plus d’animaux maltraités, mais aussi de plus en plus de signalements. Ce qui se faisait en toute impunité choque désormais les gens. Ils ne laissent plus passer. Et, nous non plus." La SPA se porte systématiquement partie civile dans ces affaires.

La loi s’est mise au diapason de la société, comme souvent. Le 18 novembre 2021 marque un tournant pour la défense des animaux et notamment des violences faites à leur encontre. Les peines encourues pour maltraitance et actes de cruauté sur les animaux ont été durcies. Jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende en cas de mort de l’animal.

"Les tribunaux suivent généralement les réquisitions. Les peines sont lourdes. On ne rigole plus avec les animaux. Fini le temps de l’impunité, les peines doivent être exemplaires. On ne tape pas sur les animaux, on ne les abandonne pas, sinon on n’en prend pas."

Les abandons ont augmenté de 15% au premier semestre 2023. La partie n’est pas encore gagnée pour Didier et ses 30 millions d’amis.

Didier, cœur de lion  

Didier, assis derrière son bureau, a vu défiler tant d’horreurs sous ses yeux. La cruauté des hommes envers les êtres vulnérables semble sans limites. "Je ne peux admettre qu’on s’en prenne à ceux qui sont sans défense. Un chien, domestiqué, ne se défend pas. Il subit."

Ce chien est mort de faim. Il se nourrissait de ses déjections. Quand il sortait, c'était pour se faire taper dessus

Il subit des atrocités à peine imaginables. Didier travaille actuellement sur le dossier d’un chien abandonné pendant huit ans dans une cage. "Il est mort de faim. Il se nourrissait de ses déjections. Quand il sortait, c'était pour se faire taper dessus. Les photos m’ont pris aux tripes, c'est comme ça, je n’y peux rien." Son maître, si tant est que ce mot signifie vraiment quelque chose, a été dénoncé par des voisins. "Il passera au tribunal correctionnel de Strasbourg en septembre. Je l’ai prévenu : je ne lui laisserai pas une seconde pour souffler."

Septembre aussi, où Didier évoquera Scouby-Doo à la barre. Un Jack Russel de 14 ans maltraité, mal nourri, devenu "un poids lourd" pour sa maîtresse. Sauvé par la police en décembre 2022 il était devenu, un temps, leur mascotte. Un temps. Scouby-doo est mort une semaine plus tard des suites de ses mauvais traitements. "Même recueillis par une famille aimante, beaucoup ne s’en relèvent pas."

 

Pour en finir

L’histoire ne se finit pas toujours mal. C'est heureux. Didier garde foi, encore, en cet animal terrible qu’est l’homme. "Ma plus grande joie, c'est quand on intervient à temps. Nous avons sauvé un petit chien enfermé depuis des mois dans une gaine d’aération. Son propriétaire vient d’être condamné et le chien adopté. Lui est libre, heureux. C’est beau quand on revient de l’enfer."

Didier participe lui aussi à ces Happy End. Comment en pourrait-il être autrement ? Il a adopté tous ses chiens à la SPA, protecteur, maître, panseur. "Ramsès avait été brûlé à l’oreille par son ancien propriétaire pour que son tatouage ne soit plus visible. Chaque jour, pendant six ans, jusqu’à sa mort, je lui ai mis de la crème … " Aujourd’hui, ce propriétaire irait en prison "là où est sa place."

Dans une semaine, on trouvera des chiens attachés au bord de l’autoroute tous les dix kilomètres

Didier ne prendra pas de vacances cet été. "Dans une semaine, on trouvera des chiens attachés au bord de l’autoroute tous les dix kilomètres." Didier est fataliste. Il a choisi une voie exigeante, parfois ingrate. Loin des feux de la rampe, des grands procès et des effets de manche. Il n’en a cure.

Vie humaine, vie animale : il faut savoir choisir ses batailles. Qu’elles se valent ou non. Les animaux sont restés trop longtemps les grands oubliés des prétoires : Didier a décidé de leur prêter sa voix. De tout son cœur.

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