L'Eurométropole de Strasbourg ouvrait exceptionnellement les portes de son Centre de supervision vidéo (CSV) ce mardi 7 novembre. Nous avons pu rencontrer les opérateurs qui scrutent les images des rues et des parkings du territoire 24h/24.
"Oui, le CSV ? On a un commerçant qui a repéré un homme qui avait commis un vol dans sa boutique il y a quelques jours. C'est rue des Tonneliers, est-ce que vous avez l'image ?" C'est Sou, 43 ans, opérateur de "vidéoprotection" au Centre de supervision vidéo (CSV) depuis 20 ans maintenant, qui prend l'appel. "Je suis dessus, vous avez une description de l'homme ?"
À côté, ses deux collègues présents cet après-midi se branchent également sur les caméras du secteur. Il faut retrouver l'homme et, si possible, aiguiller la police sur l'itinéraire du présumé voleur. "C'est fini, apparemment, il est rentré dans le parking de l'hôpital, on n'a pas de caméra dans cette zone", dit Sou quelques minutes plus tard, les yeux enfin détachés de son écran.
Sou fait partie des 21 opérateurs du CSV de l'Eurométropole de Strasbourg, qui ouvrait exceptionnellement ses portes à un parterre d'élus, d'agents de collectivités et de journalistes ce mardi 7 novembre. Une représentante de la CNIL, la commission nationale de l'informatique et des libertés, était aussi présente. Il faut dire que nous sommes au QG de la vidéosurveillance de Strasbourg, dans une pièce où les citoyens sont constamment filmés sur la voie publique - le logiciel floute automatiquement les fenêtres d'immeubles ou de maison afin de "garantir le respect de la vie privée" selon Thomas Langard, chef du service. Les images peuvent ensuite être utilisées par les autorités dans le cadre d'enquêtes de police.
Des images parfois éprouvantes
Postés en rangée devant un immense mur d'écrans, les opérateurs ont un œil constant sur les 450 caméras du territoire de la communauté de communes. "Ils se relaient, ils sont entre 2 et 6 à la fois en fonction des événements qui ont lieu à Strasbourg", explique Thomas Langard, le chef du service. Dès leur prise de relais, ils sont avertis par leurs collègues de "l'ambiance de la ville" et des secteurs sur lesquels se focaliser. "On sait tout de suite si on aura une journée ou une nuit agitée, confie Sou. Par exemple, la délinquance est fréquente les lendemains de manifestation ces derniers temps." Les scènes auxquelles ils assistent virent parfois au pugilat.
Coups de couteau, meurtres, viols : le quotidien d'un opérateur de vidéosurveillance peut rapidement s'avérer lourd à supporter psychologiquement. "Certains abandonnent au bout d'un certain temps, ils disent qu'ils ne sont pas faits pour ça, confirme Thomas Langard. Ils se mettent à avoir peur pour leurs enfants et leurs proches à force de voir ce qui se passe dans la rue."
Pour Julien, 42 ans, ancien éboueur devenu opérateur "complètement par hasard après avoir vu une annonce interne à l'Eurométropole il y a 18 ans", le plus dur est parfois la frustration de l'impuissance. "On voit des choses, on alerte, on fait notre job. Mais parfois la police, par manque de moyens, ne peut pas se rendre directement sur place. Et nous, on continue à voir la scène et on aimerait pouvoir y être pour faire quelque chose pour la victime, arrêter ça..."
Signaler les anomalies et accompagner la police
Mais ces agressions filmées ne constituent qu'une infime part du travail. Les journées ressemblent souvent à un long fleuve tranquille. Les opérateurs jonglent chacun entre les 450 caméras du réseau, s'arrêtant parfois sur une scène qui leur semble potentiellement sortir de l'ordinaire.
Patrick, par exemple, scrute l'activité place Gutenberg. À l’aide d'un joystick - leur principal outil de travail - il balaie le secteur de droite à gauche. Quelques piétons, un vieil homme qui sirote une boisson sur un banc, des voitures qui longent la place. Rien à signaler. Il tape un code sur son clavier, celui de l'une des caméras situées Grand Rue. On aperçoit un homme en blouson noir seul au milieu de la rue. Il brandit une bouteille et semble chanter à tue-tête. "Ah, celui-là a l'air bien chargé", remarque-t-il, déclenchant quelques rires chez ses camarades. Il reste sur cette caméra pendant environ dix minutes, scrutant avec attention les gestes de l'homme ivre.
"On doit faire attention à toutes les anomalies qu'on repère sur l'espace public, explique Thomas Langard. Quand on estime que c'est susceptible de déraper, on prévient la police. C'est à eux ensuite de juger si ça nécessite une intervention ou non. Notre rôle est seulement d'informer."
Il faut connaître Strasbourg sur le bout des doigts pour aiguiller la police en direct
Julien, opérateur de "vidéoprotection" à l'Eurométropole
Il s'agit aussi de savoir se repérer dans l'espace, de connaître les rues et les numéros de caméras par cœur, pour ne pas perdre de temps quand la police appelle pour un cas en direct. "On se repère tellement par rapport aux caméras qu'entre nous, on se dit "ah hier, j'ai été dans un restaurant vers la caméra 13, tu vois". Parce que quand on doit suivre un individu en fuite, on doit être capable de passer d'une caméra à l'autre sans le perdre." Aujourd'hui, les services de police sollicitent très fréquemment les opérateurs : environ 6 000 fois sur une année.
Leurs compétences n'ont pourtant pas toujours eu ce rôle central. Sou se souvient des débuts de la CSV, "quand nos écrans faisaient la taille d'une tablette" et quand le service ne disposait "que" de 40 caméras. "À l’époque, on faisait beaucoup plus de recherche, on repérait des choses et on avertissait la police. On le fait encore, mais aujourd'hui ça va dans les deux sens, la police nous appelle régulièrement."
Les maires, eux aussi, font appel à la CSV. 27 communes de l'Eurométropole, sur 28, ont des caméras de vidéosurveillance. Seule Blotzheim n'a pas encore franchi le pas. L'adjoint au maire de la ville était présent ce mardi lors de la visite. "On réfléchit justement à se doter de caméras. Avec les attentats de ces derniers temps, les administrés ne se sentent plus en sécurité..." Selon Thomas Langard, la demande pour les dispositifs de vidéosurveillance a considérablement augmenté à chaque fois après des événements comme les attentats de Madrid et de Londres dans les années 2000, puis ceux de Charlie Hebdo et du Bataclan en 2015. Une étude, citée par la Gazette des Communes, a pourtant démontré début 2022 que seules 5,7% des enquêtes élucidées l'avaient été grâce à la vidéosurveillance.