Les évêques catholiques de France, dont l’Alsacien Monseigneur Ravel, se réunissent à partir de mardi 22 mars dans l’optique de voter des "résolutions" à engager pour lutter contre la pédocriminalité dans l'Eglise.
A six mois des conclusions d'une commission indépendante sur le sujet, quelque 120 membres de la Conférence des évêques de France (CEF) se réunissent en assemblée plénière à partir du mardi 22 mars et jusqu’à vendredi. Représentant le diocèse de Strasbourg, Monseigneur Ravel y assistera, comme la plupart des participants, en visioconférence.
L’évènement a lieu dans la foulée d'une autre rencontre, en février dernier, lors de laquelle les prélats ont collectivement examiné, sous divers angles, la notion complexe de "responsabilité" au sujet des crimes sexuels commis par des clercs sur les mineurs, mais sans prendre de décision.
Lors de cette session, indique la CEF, les évêques entendent conclure les discussions menées depuis deux ans et demi par quatre groupes de travail, portant sur quatre dimensions: le volet "mémoriel" (éventuels lieux de mémoire, monuments, ndlr), l'accompagnement des auteurs d'agressions, la prévention et "la dimension financière" permettant de reconnaître la souffrance des victimes.
"À partir de leurs conclusions, l'Assemblée plénière se prononcera par des résolutions vendredi", affirme-t-elle dans un communiqué, sans préciser leur teneur. S'agira-t-il de déclarations de principe ? D'un engagement dans un processus avec différentes étapes ? Ou bien de mesures très précises ?
"Nous allons vers la discussion et le vote de tout un ensemble de propositions. Des résolutions dont certaines sont engageantes comme par exemple, oui ou non la création d’un mémorial pour les victimes à Lourde. Cela induit aussi des questions financières qui n’ont pas encore été réglées", évoque l'archevêque de Strasbourg. "Mais évidemment, on ne peut aller jusqu'au bout de notre dispositif avant d'avoir reçu le rapport de la Ciase".
Des préconisations très attendues
Voulue par l'épiscopat et les instituts religieux, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise (Ciase) présidée par Jean-Marc Sauvé, chargée de faire la lumière sur ces faits depuis les années 1950, doit rendre ses préconisations au mieux fin septembre.
"Certains disent que nous n’avons pas besoin d’attendre ce rapport. Je ne suis pas d’accord. Nous avons voulu cette commission, on ne peut quand même pas faire fi de ses conclusions. Nous serions alors dans l’affichage. Ça ne serait pas loyal !", juge Mgr Ravel, à l'instar d'une partie des victimes ou de certaines associations de laïcs impliquées dans l'Eglise. Il jugerait "cohérent" d'attendre l'assemblée d'automne de la CEF prévue en novembre.
La Ciase a récemment estimé à "au moins 10.000" le nombre de victimes depuis 70 ans. Les questions de responsabilité et de réparations feront partie de son rapport. L'épiscopat avait déjà dû suspendre une décision prise en 2019 pour les personnes agressées, le versement d'une somme forfaitaire identique pour toutes - le dispositif ayant été mal perçu à la fois par des victimes et des fidèles.
Pour le moment, "les évêques sont d'accord pour un accompagnement financier des personnes qui ont besoin de se reconstruire, de financer des soins", souligne Luc Ravel. D’autres points suscitent encore, en revanche, les discussions. "Il y a un vrai débat autour de la responsabilité, mot que nous avons choisi plutôt que de parler de "culpabilité". Autant nous sommes unanimes pour assurer une responsabilité à l’égard du présent et de l’avenir, autant nous sommes partagés sur la responsabilité à l’égard du passé".
La reconnaissance de l’Eglise
Plusieurs membres du collectif de victimes Foi et Résilience, associés aux quatre groupes de travail, s'attendent à une forme de déclaration dans laquelle "l'Eglise reconnaîtrait sa part de responsabilité, dans la survenance et la pérennisation des abus", comme le souligne à l'AFP l'un d'eux, Jacques P., qui préfère garder l'anonymat.
Un point pas confirmé par la CEF. Son président Eric de Moulins-Beaufort devrait prendre la parole vendredi dans la matinée. Des démarches de "demande de pardon" pourraient aussi être examinées par les évêques, tout comme l'idée de convenir d'un lieu de mémoire.
La proposition de mettre sur pied une "plateforme d'écoute" des victimes au niveau national est par ailleurs discutée par l'épiscopat et par la Conférence des religieuses et religieux de France (instituts religieux), indique la présidente de cette dernière, Véronique Margron.
Ce projet pourrait aboutir "plutôt au moment de la publication du rapport de la Ciase", estime-t-elle. Certains prélats plaident aussi pour une réforme, plusieurs fois évoquée, du droit canonique (le droit de l'Eglise), qui permettrait d'instaurer, par exemple, un tribunal pénal canonique au niveau national, ce qui n'existe pas aujourd'hui.
"Nous assumons totalement nos responsabilités", assure Luc Ravel. Les discussions devraient entrer dans le vif du sujet mercredi après-midi. Les évêques aborderont en premier lieu d’autres questions. Celle concernant l’écologie et les finances de l'Eglise "dans le contexte très particulier de la crise sanitaire", notamment.
140 "dossiers" au sein du diocèse de Strasbourg
Au sein de son diocèse, le prélat totalise 140 dossiers. "Cela ne signifie pas forcément 140 victimes ou 140 coupables", précise-t-il. "Il y a certains agresseurs qui ont fait des centaines de victimes". Depuis trois ans, il fait partie de ceux qui veulent ouvrir la voie à des changements substantiels en matière de lutte contre les abus sexuels au sein de l’Eglise de France.
En 2018, l'archevêque avait publié une "lettre pastorale" demandant à l'Eglise de "changer en profondeur". "J’ai été touché par ma rencontre avec plusieurs dizaines de victimes, et l’appel du pape il y a deux ans et demi était très net : "il faut inaugurer ou poursuivre cette lutte", avait-il déclaré à l’époque. Deux ans plus tard, le 6 octobre 2020, il annonçait la création d'un "code de relations pastorales". Un document inédit à base de recommandations pour ne pas en arriver aux abus.
Outre ces initiatives, le diocèse a également signé un protocole avec les quatre procureurs d'Alsace dans lequel il s'engage à signaler systématiquement les infractions sexuelles. A ce jour, il refuse de communiquer sur le nombre de signalements effectués.