La santé mentale des adolescents se dégrade. Covid, crise climatique, notre société de plus en plus anxiogène pèse sur la tête des plus jeunes. Pour les aider à faire face et à retrouver le chemin de l'école, Strasbourg a lancé en septembre 2021 un dispositif inédit : Brick'école. Et ça marche.
Le chemin de l'école n'est pas toujours pavé uniformément. Il y a pour certains des écueils, des fissures, des gouffres béants ou des montagnes infranchissables. C'est pour ces derniers que la Brik'école a été créée en septembre 2021 à Strasbourg. Pour que le collège ou le lycée ne soient plus une source d'angoisses et de mal-être. Pour repartir du bon pied et ne plus faire le mur.
La Brick'école est un dispositif de soin-étude porté par la Maison des Ados de Strasbourg. Créée en 2021, de façon expérimentale, elle accueille une quinzaine de collégiens et lycéens souffrant de ce qu'on pourrait appeler une "phobie scolaire" et qui est, réellement, un "empêchement scolaire anxieux."
"Il s'agit d'adolescents empêchés par leur anxiété d'aller à l'école : boule au ventre, crise d'angoisse déclenchée à la simple vue de la façade de l'établissement. Ils sont oui incapables d'aller à l'école. Psychologiquement, mais aussi physiquement" explique le docteur Alexandre Feltz, président de la structure.
Ils sont incapables d'aller à l'école. Psychologiquement mais aussi physiquement
Alexandre Feltz, médecin généraliste et président de la Maison des adolescents de Strasbourg
Un phénomène qui n'est pas nouveau. En 2017, l'Éducation nationale comptabilisait environ une centaine d'adolescents en situation de refus scolaire. Le Covid a fait exploser ces chiffres. "Le Covid, la crise climatique, la crise énergétique, notre société est de plus en plus anxiogène pour les jeunes. On peut parler d'épidémie de santé mentale chez les adolescents. Leur état psychique se dégrade."
Tant qu'aujourd'hui, ils seraient dans le Bas-Rhin "plusieurs centaines" en décrochage scolaire dont cent juste sur l'Eurométropole.
Un dispositif innovant
Pour aider ces jeunes déscolarisés, souvent isolés de leurs camarades et en grande souffrance, pas question de proposer une école intra-muros. Ni une hospitalisation. L'un étant le mal, l'autre pas forcément un remède. Il fallait donc un tiers-lieu. "Ces enfants ne vont plus à l'école, mais sont prêts à s'engager dans une démarche. On se raccroche à ça."
Delphine Rideau, directrice de la Maison des Ados, raconte : "Cette idée, on l'avait depuis longtemps, depuis le début en fait, mais le phénomène s'étant accentué avec le Covid, cela devenait plus que nécessaire : indispensable. Construire un dispositif qui croise le soin et la scolarité dans un tiers lieu, peu académique et propice aux activités culturelles et artistiques. Un endroit où on n'est ni à l'école ni à l'hôpital. Histoire de faire un break pour mieux redémarrer." Brik'école était née.
Un endroit où on n'est ni à l'école ni à l'hôpital. Histoire de faire un break pour mieux redémarrer
Delphine Rideau, directrice de la maison des adolescents de Strasbourg
En partenariat avec l'Éducation nationale qui met à disposition cinq professeurs, Brik'école propose à une quinzaine d'adolescents par an de suivre le programme scolaire, d'apprendre la confiance en soi et le vivre ensemble. Des temps de soins auprès de pédopsychiatres et de psychologues ainsi que des ateliers créatifs ponctuent la journée de travail, véritables bulles de respiration et d'inspiration. "Nous travaillons en partenariat avec l'association M33 qui se situe dans l'ancienne usine Junkers à la Meinau, il y a plein de briques là-bas, d'où Brik'école" poursuit Alexandre Feltz.
"Ces jeunes ne sont souvent plus en mesure de mettre des mots sur leurs difficultés, certains sont en dépression, d'autres présentent un risque suicidaire. Passer par des ateliers de création leur permet d'exprimer ce qui les préoccupe, pour ensuite travailler là-dessus" complète Delphine Rideau.
Premier bilan encourageant
Cet accompagnement "à l'ancienne" par petits groupes, quasi personnalisé et bienveillant porte ses fruits. Sur les quinze premiers élèves inscrits durant l'année scolaire 2021-2022, douze ont réintégré en septembre dernier le cursus traditionnel. "Deux d'entre eux se sont orientés vers un service civique ou une professionnalisation. Les deux autres hélas étaient atteints de troubles psychiques trop graves et ont dû être hospitalisés ou suivis médicalement" précise Alexandre Feltz.
Belle réussite donc. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. La vigilance reste de mise. Une fois sortis de Brik'école, les adolescents sont suivis par l'équipe pluridisciplinaire. Pour garder le lien et que la transition se fasse tout en douceur.
Il faut consolider ce dispositif, avec des moyens pérennisés, et le diffuser parce qu'il n'y a pas qu'en Alsace que des ados souffrent
Delphine Rideau, directrice de la Maison des adolescents de Strasbourg
Financé par l'Agence régionale de santé, l'Éducation nationale, la Caisse d'allocations familiales et la Ville de Strasbourg pour un budget annuel de 200.000 euros, ce dispositif, reconduit cette année, a pour vocation d'être pérennisé. Et surtout élargi. "Il faut consolider ce dispositif, avec des moyens pérennisés, et le diffuser parce qu'il n'y a pas qu'en Alsace que des ados souffrent", souligne Delphine Rideau. "Mais l'enjeu est aussi de réfléchir à la prévention, à comment éviter cette angoisse. On ne pourra pas créer infiniment des dispositifs pour l'absorber."