C'est lui qui a recueilli les armes apportées par les particuliers durant l'opération "déposez les armes". Jean-Louis Vonthron est l'armurier de la direction départementale du Bas-Rhin. Une bible dans son domaine, fait de chair et d'acier, depuis qu'un cancer lui a pris une jambe, mais pas sa contagieuse joie de vivre.
1600. C'est le nombre d'armes que Jean-Louis Vonthron, brigadier chef et armurier de la direction départementale de la sûreté publique a récupérées avec l'opération "déposez les armes".
Huit jours durant à l'hôtel de police de Strasbourg, le policier de 59 ans a reçu et écouté les histoires de ceux qui avaient une carabine, un fusil ou un pistolet hérité du père ou du grand-père et dont ils ne savaient pas quoi faire.
"Je pourrais écrire un livre avec toutes les anecdotes que j'ai entendues, s'amuse Jean-Louis Vonthron. Un homme est venu par exemple, avec un pistolet récupéré par son grand-père sur le corps d'un soldat allemand pendant la seconde guerre mondiale. Ce sont d'ailleurs beaucoup de personnes âgées qui sont venues avec un sentiment étrange et contradictoire. Elles étaient à la fois soulagées de se débarrasser d'objets considérés comme dangereux et tristes en même temps de devoir se défaire d'un souvenir en quelque sorte".
Jean-Louis Vonthron, le bouc blanc ciselé de près et le crâne brillant aime les gens. Et les armes. Il les connaît toutes, peut dire d'un simple regard de quoi il s'agit et de quelle époque. "Je suis un passionné d'armes mais aussi d'histoire, un autodidacte en quelque sorte. En droit aussi, parce que la législation sur les armes est tellement complexe et changeante qu'il faut vraiment mettre son nez dedans pour y comprendre quelque chose!"
Un passage en région parisienne en brigade d'intervention
Il faut dire aussi que cela fait près de 40 ans que le Mulhousien d'origine traîne ses rangers dans les commissariats. A 21 ans, celui qui ne sait pas encore qu'il sera armurier, passe le concours de police. Il est pris et envoyé comme les autres en banlieue parisienne. Jean-Louis Vonthron passera sept ans à L'UMS (l'unité mobile de sécurité) 93.
"A l'époque, il n'y avait pas encore de distinction entre le RAID, la BAC, etc... On faisait de tout, c'était hyper intéressant se souvient le brigadier chef. Trafic de stups, vols de voitures, braquage, la Courneuve, la cité des 4.000, c'était déjà chaud à l'époque".
Mais dès qu'il le peut, l'Alsacien regagne ses pénates régionales. Ce ne sera pas Mulhouse mais Strasbourg qu'il ne quittera plus. Le quasi sexagénaire prend alors un poste de démineur qu'il occupera pendant 15 ans. Démineur artificier précisément, parce que son goût pour le pétaradant vient de là. Des feux d'artifices.
"C'est une tradition en Alsace, explique t-il dans un sourire. Ca m'a toujours plu". Jean-Louis Vonthron fait des prestations d'ailleurs pour une boîte privée et tire tous les ans les feux d'artifices du 14 juillet. "C'est extraordinaire, explique t-il les yeux qui pétillent. A Versailles ou à Rambouillet par exemple, ils ont des budgets fantastiques. J'ai fait aussi des événements en Alsace comme la fête des sorcières à Rouffach".
Armurier enquêteur
Après 15 ans à l'unité de déminage, les services se restructurant, comme souvent, le policier prend le poste d'armurier. A ce moment là, il exerce pour le GIPN (groupe d'intervention de la police nationale). "C'était hyper intéressant là encore parce que je participais à tout, je me sentais vraiment utile. Non seulement je fournissais les armes adéquates aux exercices ou aux interventions mais j'aidais aussi à déterminer les armes perquisitionnées ou à identifier les munitions."
Après de nouvelles restructurations, Jean-Louis Vonthron prend la tête de l'armurerie de la DDSP où il est toujours. En près de 40 ans de maison, il a eu tout le temps de collectionner écussons, munitions (toutes sont neutralisées, tient-il à préciser) et souvenirs. Mais pas d'armes, c'est interdit. Un vrai petit musée, avec des vitrines et derrière chaque objet, une histoire. "C'est aussi une collection de travail, qui me permet par exemple de montrer à des collègues telle ou telle munition".
A 59 ans, la question de la retraite se pose évidemment. "J'étais prêt à ne pas tarder quand j'ai eu un petit souci". L'armurier blindé a du mal à parler de son cancer. Puis il raconte. "J'étais en train de rénover une grange et je me suis blessé au mollet gauche, rien de grave, une déchirure musculaire".
Sauf que le bobo s'est transformé en crabe et que pour lui sauver la vie, un chirurgien l'a amputé de la jambe. Après un an d'absence, à se battre pour apprendre à marcher avec sa prothèse mécatronique, on annonce au brigadier chef qu'il va prendre sa retraite anticipée. Plus apte. "Je me suis battu parce que je voulais être le seul à décider de la date de ma retraite, je ne voulais pas que ce soit la maladie qui décide pour moi".
Alors Jean-Louis Vonthron se bat, fait de la rééducation et de la muscu au centre Clémenceau à Strasbourg qu'il salue. Plongeur, il obtient même une prothèse qu'il lui permet de continuer à exercer sa passion marine. Et réintègre le commissariat il y a peu, soutenu par sa hiérarchie et l'ensemble de ses collègues. Une vidéo hommage a même été tournée.
A la tête d'une famille recomposée, son fils de 8 ans, a surnommé son papa Iron man. Il lui dit qu'il est toujours de bonne humeur. "Mais c'est normal, lui dit ce petit garçon malicieux, tu ne te lèves jamais du pied gauche!" A ces mots, l'armurier au coeur tendre éclate de rire. Et ça lui va bien.