Les discothèques sont fermées depuis le premier confinement. Pour les DJ cela veut dire qu'aucune activité en public n'est plus possible. Nous avons posé la question de savoir comment on vit cette situation à deux DJ professionnels, Christophe Schaendel et Simon Kienneman, alias Kryst-Off et Valak.
Les DJ ne sont pas à la fête et ne sont, apparemment, pas prêts de se remettre à leur platine. Entre les boites de nuit fermées depuis le 14 mars, les festivals déprogrammés et les couvre-feux interdisant toute vie nocturne, tout ce qui fait vivre un DJ en temps normal ne fonctionne plus. Les DJ à l'arrêt depuis dix mois font sans doute partie des professionnels les plus durement frappés par la crise sanitaire. Comment peut-on s'en sortir dans ces conditions ? Nous avons posé la question à deux d'entre eux, tous les deux bas-rhinois.
Simon Kiennemann, alias DJ Valak
Ce Strabourgeois de 24 ans est DJ professionnel depuis quatre ans. DJ généraliste, un peu comme un médecin, il touche un peu à tout : funk, pop, disco, tech house et new disco. Après avoir exercé et fait ses armes au Live Club à Strasbourg comme DJ résident, Simon a pris son envol vers d'autres salles en France et à l'international. Une évolution de carrière logique: "On a tendance à un peu s’enfermer à croire que c’est la vérité quand on est résident." Le DJ guest, lui, tourne un peu partout, au gré des occasions qui se présentent.
Au départ, Simon voulait être ingénieur du son. Après le lycée, où il a acheté ses premières platines, il rencontre un DJ avec qui il se met à travailler, "et de fil en aiguille, ça m'a plu de plus en plus." Simon laisse donc tomber ses études supérieures et s'engage dans la voie du DJ: "C’est un métier hyper complet dans le sens où, à part mixer, il y a aussi de la communication et une entreprise à gérer." Aujourd'hui Simon gère son entreprise, une petite entreprise individuelle qu'il aimerait bien faire évoluer mais, dit-il "le confinement m'a obligé à revoir mes projets à la baisse". D'ailleurs, s'il avait le choix, il opterait pour le statut d'intermittent du spectacle, bien plus avantageux, selon lui, que son statut d'auto-entrepreneur, plus précaire.
Pour autant, le DJ ne se plaint pas trop: "Je touche 1.500 euros d'aide par mois de la part de l'Etat". Ses économies ont fondu et vont probablement s'évaporer dans les prochains mois à ce rythme. "Si les aides sont maintenues je pourrais tenir avec mes économies jusqu'à décembre." Les imprévus, l'incertitude du lendemain, c'est la grande crainte de Simon.
Ça fait quand même un peu mal. On se dit qu'on ne sert à rien
Le plus dur, c'est le mental. Simon comprend pourquoi cette étiquette de "non-essentiel" leur a été collé: "Mais ça fait quand même un peu mal. On se dit qu'on ne sert à rien." Tout le monde reconnait l'état de souffrance du secteur culturel mais "dans les boîtes de nuit, c'est encore pire. On nous laise souffrir en silence."
Pour tenir le coup et garder un semblant de contact avec le public, il fait des lives tous les lundis sur YouTube: "Une heure de musique que je diffuse, dans des moyens que je veux professionnel, en multicams." Continuer à bosser comme si c’était le monde d’avant, pour tenir : "Je cherche des sons, je classe, je continue à faire de la communication sur mes réseaux." Simon, alias Valak, le DJ dans l'âme, se met à la production musicale. Un autre métier mais qui a plus d'avenir: "L’avantage qu’a eu le confinement et cette grande période d’arrêt c’est que ça m’a permis de réfléchir sur ce que je veux faire : en tant que DJ on a vite une limite, c’est celle que les gens aiment et écoutent à la radio." La solution : se tourner vers la production ? Simon y pense de plus en plus.
Christophe Schaendel, alias DJ Kryst-Off
Kryst-Off est un de ses pseudos. Il est connu aussi sous celui de Zorneus. Il en possède une trentaine, une quantité à l'image de sa production musicale: énorme. Du moins, avant le covid. Parce qu'aujourd'hui "c'est zéro".
43 ans et déjà trente ans de carrière. Christophe est un boulimique. Depuis l'âge de 13 ans, il fait tourner les platines et fait danser les salles. Ca a commencé chez les copains, au temps des boums, puis dans les salles polyvalentes quand il était collégien. Il n'est pas encore majeur qu'avec son groupe, le Project Control, il lui arrive de se produire devant 1.000 à 1.500 personnes. Dans les années 90, il fait ses premières armes dans les discothèques du coin et finit par se faire embaucher au Métro, la nouvelle boîte de nuit de Surbourg où il est basé.
En 2001 Christophe crée sa première discothèque, le Zorn, en Moselle: "Je voulais faire découvrir la musique que j'avais en moi." En 2004, il ouvre une deuxième discothèque à Avricourt, dans le département de la Moselle également. En 2007, il rachète le Métro à Surbourg. "J'avais une faim insatiable." Christophe se retrouve en quelques années à la tête d'une entreprise et 54 salariés. A cette époque, tout est possible.
Aujourd'hui, Christophe, l'homme aux trois casquettes, est propriétaire de l'Acropole, une salle événementielle à Surbourg, en plus d'être DJ et producteur musical. "Les trois professions sont un cauchemar inextricable", lâche Christophe, désabusé. "Beaucoup me disent de me reconvertir mais je fais ça depuis trente ans, je ne pourrais pas faire autre chose."
Ma peur, c'est de tout perdre
Christophe est pessimiste. "Ma peur c’est de tout perdre, on n’a pas de visibilité", et pour un chef d'entreprise, le manque de visibilité est synonyme bien souvent de dépôt de bilan. Sur les 1.600 discothèques en France, 307 ont fermé. La crise sanitaire se transforme en crise économique impitoyable dans ce secteur. Il y a bien des aides mais elles sont largement insuffisantes pour couvrir les charges, 10 à 12.000 euros par mois. "C'est ma compagne qui remplit le frigo", avoue Christophe. Le PGE, prêt garanti par l'Etat, contracté en 2020 doit être remboursé normalement en avril prochain, "Juste impossible."
Une réouverture des salles cet automne est plus ou moins évoquée mais Christophe Schaendel n'y croit pas trop. Ce serait une ouverture en demi-teinte avec des jauges à 30%. "Avec une capacité de 1.500 personnes, ça ferait 300. Trop peu pour être viable".
Christophe dit vivre au jour le jour, "Si je pense au lendemain, je deviens agressif. On se sent plus qu'abandonné, le mot discothèque n'est jamais prononcé dans les discours de nos dirigeants." La seule chose à laquelle se raccroche Christophe, capable de le faire tenir, confie t-il, c'est son fils qui va avoir 3 ans le mois prochain.