Ce lundi 13 mai, le ministère public a requis deux peines de prison avec sursis contre l'équipe de conduite, prévenue dans le procès de l’accident mortel d’un TGV à Eckwersheim. Il a également requis des amendes de 225 000 euros à 400 000 euros contre les entreprises.
La 9ème et dernière semaine d’audience a débuté par les réquisitions du procureur de la République. Après une prise de parole de près de 4h, Nicolas Hennebelle a requis des peines de prison avec sursis contre les personnes physiques et entre 225 000 et 400 000 euros d'amende contre les entreprises.
Pour l'occasion, la salle du tribunal correctionnel de Paris était pleine, à la fois des parties civiles, mais aussi des soutiens des prévenus. Le déraillement du TGV Est le 14 novembre 2015 avait causé la mort de 11 personnes et blessé les 42 autres passagers.
"Certes il y a eu des problèmes d’organisation, de communication, de coordination. Mais il y a aussi eu un aveuglement collectif, une banalisation des risques. Tout semble avoir été fait pour mettre en danger la sécurité des personnes dans la rame", débute le procureur avant de revenir point par point sur les faits reprochés.
400 000 euros d'amende requis contre la SNCF
Sur le banc des prévenus, les représentants des entreprises Systra (en charge des essais), SNCF Mobilités (en charge de la conduite) et SNCF Réseau (maître d’ouvrage). Contre eux, le procureur a requis des amendes, différentes en fonction de leur responsabilité dans l'accident.
Même s'il en a écarté certains, le procureur est revenu sur tous les griefs retenus contre Systra, dont la responsabilité était la plus importante : "absence de prévention des risques de conduire en survitesse", "absence de diffusion des diagrammes de vitesse", "absence de brief et débrief avant et après les marches d'essai", "suppression des paliers de vitesse et non respect des marches intermédiaires."
Encourant jusqu'à 225 000 euros d'amende, le procureur a requis le maximum contre l'entreprise Systra "même si je regrette que le maximum légal ne soit pas à la hauteur de la gravité des faits."
Cette absence de réaction de la SNCF est un manquement terrible qui a contribué à l'accident
Nicolas Hennebelle, procureurLors de ses réquisitions à propos de la SNCF
"Ce que je ne comprends pas c'est pourquoi la SNCF, qui était en charge de la conduite, n'a pas réagi quand elle a vu que Systra changeait les nouvelles vitesses, supprimer des paliers et organiser des marches en long. Cette absence de réaction est un manquement terrible qui a contribué à l'accident", estime le magistrat.
Également, le ministère public pointe du doigt l'absence de partage du logiciel de vitesse à Systra, qui aurait permis "de comprendre que le palier de vitesse à 330km/h n'était pas réalisable, mais aussi on aurait pu définir des marges de sécurité grâce à ça". Le procureur a requis deux fois 200 000 euros d'amende contre l'entreprise ferroviaire, en état de récidive légale.
Pour SNCF Réseau, dont la responsabilité semble moins importante dans l'accident, le ministère public a requis deux fois 150 000 euros d'amende, l'entreprise étant elle aussi en état de récidive.
De la prison avec sursis et une relaxe
À côté des personnes morales, "il y a ceux qui par maladresse, négligence, ont directement causé l’accident, rappelle le procureur. La cause directe de l'accident c'est ce freinage tardif : ce seront donc les personnes physiques qui doivent répondre comme auteur direct de l’accident."
Le magistrat commence par rappeler les obligations qui reposaient sur le cadre traction, Francis L. : "Son rôle était de déterminer le point de freinage et ses modalités, retranscrire les directives au conducteur et s’assurer de sa bonne compréhension." Dans les faits, ces obligations ne semblent pas avoir été remplies d'après le procureur.
Ce qui est frappant, c’est le manque de rigueur total dans la détermination du freinage
Nicolas Hennebelle, procureurLors de ses réquisitions à propos du cadre-traction
Concernant la fixation du point de freinage, le procureur rappelle à quel point la méthode de calcul était "hasardeuse, sans aucun outil, sans aucun calcul." En définissant une stratégie de freinage qui ne laissait aucune marge de sécurité, "et dans la mesure où tout repose sur l’humain, et que ce dernier est faillible, était-ce vraiment adapté?", s'interroge le procureur.
De même, dans la cabine de conduite, "Francis L. n'a aucune réaction lorsque le conducteur enlève le frein électrique alors qu'il doit le maintenir et que le train ne ralentit pas : à la défense on nous dit qu'il a été déstabilisé par un appel du chef d'essai, mais cet appel, il a bon dos", estime le procureur.
En somme, le procureur requiert deux ans de prison avec sursis. "Cette stratégie de freinage relève d’une faute d’imprudence, de maladresse dans la consigne qui a été donnée, et d’une faute d’inattention dans le contrôle. C’est une triple faute", dit-il devant le cadre traction, tête baissée.
Même conclusion pour le conducteur Denis T., contre qui le ministère public a requis un an d'emprisonnement avec sursis. "La doctrine veut que le conducteur soit un simple exécutant, or lorsqu'il est en phase d'essai, c'est un opérateur de sécurité, il garde un libre arbitre", affirme le magistrat.
D'autant plus que Denis T., lors des discussions sur le point de freinage avant la marche accidentelle "c'est lui-même qui a reporté le point de freinage car il était persuadé qu'il avait de la marge. Cette erreur d'appréciation a eu des conséquences dramatiques", conclut le magistrat.
C’est une faute d’imprudence de la part d’un professionnel, ce n’est pas un simple exécutant, il a une part de responsabilité
Nicolas Hennebelle, procureurLors de ses réquisitions à propos du conducteur du train
En revanche pour le pilote traction, employé par Systra en charge d'indiquer les particularités de la voie à l'équipe de conduite, le ministère public a requis la relaxe. "Monsieur B. a participé à la discussion concernant le point de freinage, mais, sans lui manquer de respect, il n'avait pas d'ascendant particulier sur le reste de l'équipe de conduite", explique le magistrat.
Le trouble à l'ordre public provoqué par l'accident est immense
Nicolas Hennebelle, procureurLors de ses réquisitions
À l’issue des réquisitions, le procureur de la République a eu quelques mots pour les parties civiles : "On a entendu les corps fracturés, le coma, les séquelles physiques, les vies brisées. Évidemment les peines ne pourront avoir qu’un aspect symbolique, mais elles doivent marquer la gravité du comportement et monter que la société se soucie de la sécurité des personnes."
Du côté des victimes en effet, le constat reste forcément le même. "Dans tous les cas cela ne ramènera pas notre fils, mais pour nous ils n'ont rien à faire en prison”, confie une famille de partie civile à propos des personnes physiques. Le délibéré est attendu à l’automne.