Pour la première fois depuis le début du procès de l'accident du TGV Est, la parole était donnée aux victimes. Blessés ou proches des personnes décédées dans la rame d'essai, ils se sont succédé à la barre, dans l'émotion et le recueillement.
Beaucoup de chagrin et de larmes à la barre ce mardi 30 avril. “Après ces débats très techniques", comme le rappelle la présidente du tribunal, le procès entre dans sa troisième phase : les témoignages des victimes d'une part, et des proches des blessés et des personnes décédées d'autre part.
Suite aux interrogatoires des personnes morales impliquées dans le déraillement du train d'essai Paris-Strasbourg le 14 novembre 2015, les parties civiles évoquent pour la première fois à l'audience leurs souvenirs, leur tristesse et leur incompréhension. Pour cette journée, les bancs des parties civiles sont pleins.
Une émotion déchirante
"Je suis contente de passer la première, comme ça, c'est fait", confesse Christine, la mère de Jérémy, employé SNCF décédé dans l'accident à 27 ans. C'est en effet elle et son mari qui évoquent en premier les souvenirs douloureux. "Le 30 décembre 1987, Jérémy poussait son premier cri à 4h47. Il a changé nos vies", débute sa mère, très émue. En souvenir de cet homme "brillant et sportif", sa famille porte un teeshirt où il est représenté en train de faire différentes activités physiques. "Même absent, Jérémy est une source d'inspiration pour nous."
Une partie de moi s’est envolée avec lui. C’était mon ami, mon prof de maths, de monocycle, on allait à des festivals, on s'amusait.
CamilleSœur de Jérémy, décédé dans l'accident
Ce n'est que trois jours après l'accident que la famille du jeune homme apprendra son décès. "Le film de 28 années de bonheur défile dans notre tête. Jérémy est parti vite, beaucoup trop vite, comme ce train qui roulait beaucoup trop vite", assène la mère en larmes.
Des invités blessés et décédés
Comme la famille de Jérémy, d'autres ont été meurtries et marquées à jamais par ce drame. Celle de Louis, invité par un cheminot à participer aux essais. Accompagné de son père Frédéric, Louis est "un miraculé", d'après les médecins. Plongé dans le coma pendant six semaines, il raconte, avec sa femme, les semaines d'angoisse, de stress et de rééducation. "Je voudrais remercier toutes les personnes qui sont intervenues de près ou de loin pour nous aider, nous soigner, nous rééduquer, nous conseiller, nous défendre", confie-t-il très ému.
La famille de Fanny est également présente à l'audience. Invitée dans le train avec son petit ami, la jeune fille de 25 ans y a perdu la vie. Son frère est effondré à la barre : "Elle était ma sœur et ma meilleure amie. J’ai toujours été un grand frère très protecteur, depuis tout petit. Et là je n’ai rien pu faire."
J'ai beaucoup d’émotions qui se mélangent : amour, colère, dégoût, tristesse de l’avoir perdue mais la joie de l’avoir connue
JulesFrère de Fanny, décédée dans l'accident
Son frère rappelle notamment le soin qui est apporté dans l'hommage "des victimes salariées du groupe, mais jamais à ma sœur qu'on oublie car elle était invitée". "Ma douleur est intime, ma peine est éternelle, et la balance de la justice ne pourra jamais rééquilibrer ce que j’ai perdu. Ce qui me reste de ma sœur ce sont ses mèches de cheveux et la voix sur son répondeur.", conclut-il avec émotion.
Parmi les onze victimes décédées, sept salariés se trouvaient notamment dans le "wagon labo". C'était le cas d'Alain, 60 ans, qui avait invité son frère et sa famille à venir voir les essais. Lui est décédé, eux sont ressortis blessés et marqués à vie. "C'était le patriarche de la famille, il voulait m'inviter pour mon anniversaire, on était fiers de venir le voir à son travail".
À la barre, son frère Patrick, peine à parler. Se déplaçant avec une béquille, soutenu par son fils, il raconte les heures qui ont suivi l'accident, "la boue, les éclats de verre, le froid", le sauvetage des rescapés, mais aussi les jours de coma dans lequel était plongée sa femme. "Elle s'est réveillée le jour de l'enterrement de mon frère", souffle-t-il.
On a revu notre père que le lendemain de l'accident, en chaise roulante, nous annonçant que maman était dans le coma.
Thomas et AliceNeveu et nièce d'Alain, décédé dans l'accident
Proches l'un de l'autre, les enfants de Patrick viennent également parler, "pour rendre hommage à tonton, c'est le moment de lui dire adieu." Adolescents au moment de l'accident, ils faisaient partie des quatre mineurs à bord du train. "C'était la première fois que je montais dans un TGV, depuis je me sens différent", raconte Thomas.
Une défense des prévenus incompréhensible
En plus de la douleur exprimée par les victimes, s'ajoutent l'incompréhension de l'accident et les propos des prévenus lors du procès. "Ce manque d’humanité fut une nouvelle épreuve : j’aurais souhaité un peu plus d’empathie", regrette Camille, la sœur de Jérémy.
On est là aujourd’hui pour prendre conscience que vous ne contrôliez rien du tout. On aurait tous pu y passer.
PatrickBlessé au moment de l'accident
Tout comme Patrick, qui se tourne pour s'adresser directement à eux : "Après toutes ces journées d’audience, je ne comprends pas comment on a pu commettre autant d’erreurs et avoir autant d’incompétences sur une machine de guerre lancée à cette vitesse."
Nicolas, fils de Daniel un employé Systra mort durant l'essai, s'indigne également des propos des prévenus : "Quand j’entends Systra, dire qu’ils n’ont rien à voir avec l’accident, je ne peux pas m’empêcher de penser aux 36 morceaux qu’ils ont rendu de mon père." Les témoignages des parties civiles doivent se poursuivre jeudi et vendredi, avant les premières plaidoiries.