Le dernier mot est revenu à la SNCF dans cette semaine dédiée aux interrogatoires des personnes morales. "Tout n'a pas été parfait", a concédé à la barre le représentant du groupe ferroviaire, sans reconnaître une responsabilité pénale dans l'accident.
Dernier jour d’interrogatoire pour la SNCF. Prévenu des faits de "blessures et homicides involontaires par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité", le groupe ferroviaire encourt 225 000€ d’amende. Dans l’accident du TGV Est, la SNCF était notamment en charge de la conduite du train. Le déraillement de la rame d'essai avait causé la mort de 11 personnes.
Après les questions de la présidente, la veille, les assesseurs poursuivent l'interrogatoire du représentant de la SNCF, Pascal Villard. Le juge revient notamment sur les multiples incidents qui ont jalonné les marches d'essai le 11 novembre et le matin même de l'accident. Alors que c'est le rôle du cadre traction (NDLR : employé de la SNCF, en charge de l'équipe de conduite) de remonter les anomalies rencontrées, ce dernier ne l'a pas fait.
"Donc est-ce qu’il faut en déduire que c’est une défaillance individuelle plutôt qu’un problème organisationnel ?", s'interroge l'assesseur. "Ils auraient dû faire remonter ça oui. Encore une fois, c’est un réflexe de base que devrait avoir tout cheminot.", affirme le représentant de la SNCF.
La stratégie de freinage remise en question ?
Tacle contre le cadre traction (CTT), Francis L. présent dans la salle, qui avait clamé son innocence lors de son interrogatoire. Avec difficultés, Pascal Villard doit également répondre sur la stratégie de freinage mise en place par le cadre traction "qui passait mais qui ne laissait pas vraiment de marge, rappelle l'assesseure. Était-elle vraiment sécuritaire ?".
"Encore une fois cela dépend du sens qu’on donne au mot sécuritaire : si on respectait la stratégie, on passait juste c’était faisable. Mais on aurait dû se donner de la marge", admet Pascal Villard, presque gêné de devoir mettre en porte-à-faux un employé de la SNCF.
Il y a des tas de choses qui sont incompréhensibles mais on ne peut faire que des conjonctures, on n’y était pas
Pascal VillardReprésentant de la SNCF
Alors que Systra, l'entreprise en charge des essais, décide de reprogrammer la marche d'essai au 14 novembre, en changeant les critères de paliers de vitesse, "comment vous expliquez que personne n'ait réagi alors que cela mettait en péril la sécurité ?" s'étonne le procureur.
"On n’avait pas en tête de vérifier systématiquement tout ce qui était proposé en termes de marche de vitesse par Systra, explique le responsable de la SNCF. Notre chef d'essai monsieur J. aurait pu le faire, mais encore une fois, on n'y était pas." Tout comme le chef d'essai Systra, Fabrice J. employé de la SNCF a péri dans l'accident.
À plusieurs reprises, l'avocat de la SNCF a tenté d'intervenir auprès de son client, s'indignant de la pertinence des questions des parties civiles. Pascal Villard semble en effet plus déstabilisé que la veille. "Encore une fois, je ne peux pas répondre à leur place", se désole-t-il en évoquant les acteurs clés au moment de l'accident, décédés ou tout simplement pas convoqués à la barre.
Une stratégie de défense qui laisse perplexe
Au terme de cette semaine d'interrogatoire, la conclusion est amère pour les parties civiles. "Pour les personnes morales, il ne s’est rien passé. Systra nous explique que tout a été bien fait. Les erreurs ne sont que des erreurs de conduite. SNCF dit que ses salariés n’ont fait que ce qu’on leur avait demandé de faire. Chacun se renvoie la balle.", réagit Gérard Chemla, avocat de parties civiles.
Une position que maintient l'avocat du groupe ferroviaire, Emmanuel Marsigny, à l'issue de l'audience : "Il y a toujours des choses que l’on peut mieux faire, mais la SNCF n’a ni été négligente ni imprudente. La SNCF considère que ce qui a été demandé par Systra à son équipe de conduite ne correspondait pas à ce qui devait être fait, et que Systra a créé les conditions de cet accident."
Une stratégie de défense assez compliquée à comprendre pour les parties civiles. “Systra est une filiale de la SNCF. On aurait pu imaginer que tout le monde se mette d’accord et désigne un responsable qui baisse la tête et s’excuse. Cela aurait été beaucoup plus raisonnable et entendable. Et c’est inquiétant car quand personne n’assume ses responsabilités, comment peut-on penser que cela ne va pas se reproduire.”
La semaine prochaine, les parties civiles sont appelées à la barre pour témoigner. Victimes directes présentes dans le train, proches de personnes décédées, personnes extérieures à la SNCF, ou salariés des groupes mis en cause. Des témoignages qui ramèneront l'humain au coeur de ces débats souvent techniques et froids.