Procès de l'attentat de Strasbourg : Damien a tenté de désarmer le terroriste, "il fallait que je combatte pour survivre"

Les 12 et 13 mars 2024, au procès de l'attentat du marché de Noël de Strasbourg, plusieurs victimes ont raconté la véritable scène de guerre qui s'est déroulé devant le bar "Les Savons d'Hélène" pendant la tuerie, entre échanges de tirs avec les militaires et tentative de désarmement par des musiciens.

Chaque catastrophe a ses héros. Mêmes s'ils ne veulent pas être appelés ainsi, Tom, Damien et Jérémy en sont. Le 11 décembre 2018, les trois jeunes hommes fument une cigarette devant Les Savons d'Hélène, là où ils doivent se produire quelques minutes plus tard avec leur groupe de musique TransVersal.

Il n'est pas encore 20h. L'heure pour les habitués de ce bar du centre-ville de Strasbourg de prendre place, de boire quelques bières et de profiter de ce mardi soir de marché de Noël, jour où les rues de la capitale alsacienne sont (un peu) moins bondées que le week-end. 

Je n'avais jamais entendu d'arme à feu de ma vie mais j'ai compris que ce n'était pas un pétard

Shauna

Serveuse aux Savons d'Hélène

Le mardi, c'est surtout le jour des soirées "scène ouverte" aux Savons d'Hélène. "Mes soirées préférées", avoue Shauna, serveuse dans cette adresse bien connue de Strasbourg, devant la cour d'assises spéciale. "Alors que j'étais à l'intérieur, à deux mètres de la porte, j'ai cru entendre un pétard. Puis un cliquetis métallique et encore le même bruit. Je n'avais jamais entendu d'arme à feu de ma vie mais j'ai compris que ce n'était pas un pétard."

De l'autre côté de la porte, les trois amis sont en avance. Ils rient, rêvent de la carrière de leur groupe. "Puis on a entendu cinq détonations. On s'est regardé dans les yeux, un peu ébahi. On ne comprenait pas ce qu'il se passait avant une nouvelle détonation proche de nous", se souvient Tom. Devant eux, des visages paniqués courent pour fuir le danger.

Chekatt face aux trois musiciens

Par réflexe, Shauna ferme la porte et reste à l'intérieur du bar. "Les images du Bataclan me viennent tout de suite en tête. Je me dis 'Ça y est, les kalachnikovs. Ils sont quinze. On va mourir.' J'entends contre la porte en bois des gens qui poussent, qui tapent, qui veulent rentrer", continue la serveuse.

Dehors, Chérif Chekatt s'approche et veut pénétrer à l'intérieur du bar. Il vient de tuer quatre personnes dans le centre-ville. Tom se souvient de ses pensées en le voyant. "Je me suis dit 'Si je reste là, je suis mort'. Alors je me suis caché derrière une pancarte en bois et me suis avancé vers le bar. Là, j'ai vu Jérémy au sol." Le terroriste vient de lui tirer une balle dans le cou.

Damien aussi est à terre. "Je ne m'explique toujours pas comment c'est arrivé. J'ai dû être totalement sonné par le bruit. J'étais apeuré tétanisé. Puis j'ai entendu un cri de douleur si fort, je ne peux pas l'oublier. Ce cri me fait basculer. Je comprends qu'il faut que je me lève, que je combatte pour survivre", explique-t-il devant la cour, assis sur une chaise.

"Dans la chute, j'ai perdu mes lunettes. Je ne vois quasiment rien. Mais j'y vais. Dans l'altercation, je désarme Chérif et il m'assène une dizaine de coups de couteau." Certains toucheront ses poumons, le dernier atteindra sa moelle épinière. Damien est au sol, immobile. Il ne peut pas bouger et a du mal à respirer. 

TransVersal entre Chekatt et les militaires

Dans la rue, la scène de chaos continue. Des mouvements de foule, des cris. De quoi interpeller quatre militaires de l'opération Sentinelle qui se trouvaient sur la place Kléber. Les hommes descendent la rue du 22 Novembre, s'engouffrent dans celle des Drapiers et arrivent rue Saint-Hélène, à cinquante mètres de Chérif Chekatt. "La ruelle était sombre et étroite, on ne voyait que sa silhouette", témoigne anonymement un des militaires depuis Strasbourg.

En voyant les Sentinelles, le terroriste ouvre le feu, touche le fusil d'un d'eux et le blesse à la main. Des échanges de tirs se poursuivent, une dizaine de chaque côté d'après le militaire. "Ce n'est pas comme ouvrir le feu en opération en Afghanistan. S'il y a des gens autour, ils peuvent se prendre une balle perdue. On s'est rapproché mais le tireur a réussi à partir en direction du pont Saint-Martin", là où il tuera quelques secondes plus tard sa cinquième victime.

Peut-être que pour les victimes j'étais au mauvais endroit au bon moment

Sandy

Pompier

En arrivant devant le bar, les militaires voient Jérémy et Damien. "La chance qu'on a eue, c'est qu'un pompier et une infirmière étaient dans un restaurant en face et ont pu s'occuper d'eux." Le pompier, Sandy, avait raconté cette scène à la barre quelques jours plus tôt. "Pendant longtemps, j'ai cru que j'étais au mauvais endroit au mauvais moment. Mais peut-être que pour les victimes j'étais au mauvais endroit au bon moment."

Damien se souvient de Sandy. "Il avait des grosses mains de pompiers et il me donnait des claques en me disant 'Tiens bon, tiens bon!'. Je devais résister parce que j'avais envie de vivre avec Rosana, ma compagne. Juste avant cette scène, j'étais en joie parce qu'elle allait bientôt rencontrer mes parents."

Puis débute la très longue attente des secours, le protocole en cas d'attentat les empêchant d'intervenir rapidement sur les lieux. "Pendant 15 minutes, j'ai entendu quelqu'un râler derrière la porte, comme un animal. Est-ce que c'était un gentil ? Un méchant ? Je ne savais pas. C'était lourd, pesant. Plus de musique, plus de lumière. Mon esprit a divagué. J'ai compris plus tard que c'était Jérémy", reprend Shauna.

J'ai enjambé du sang, des douilles, les odeurs qui vont avec

Shauna

Serveuse aux Savons d'Hélène

Jérémy et Damien sont pris en charge par Sandy, puis les secours et la police interviennent. "J'ai enjambé du sang, des douilles, les odeurs qui vont avec. Un vélo et des instruments de musique par terre. On a tout nettoyé : le sang, la sueur le vomi. Les policiers nous disent de ne pas aller au Neudorf parce que le terroriste a été aperçu là-bas, sauf que j'y habitais. On a finalement dormi chez un ami vers la gare", continue Shauna.

Encore des traces de l'attentat, cinq ans après

"Vers quatre ou cinq heures du matin, on m'emmène au pôle de secours à la Chambre de commerce. Puis à l'hôpital, on a retiré l'éclat de balle que j'avais dans le dos", poursuit Tom. Damien restera hospitalisé pendant une semaine avant un mois de rééducation. Touché à la moelle épinière, il perdra un temps l'usage de sa jambe gauche. Cinq ans après, il est debout et boite. 

Damien s'en sortira mais porte toujours sur lui les stigmates de ce soir de décembre 2018. "À la plage, je vois toujours ses cicatrices, elles me rappelleront toujours l'attentat. Tout le monde dit que c'est un héros. Mais je ne voulais pas qu'il soit un héros ! Je voulais qu'il vive tranquillement, comme tout le monde, qu'il continue la musique. Aujourd'hui, il ne veut plus en jouer, sa passion a été détruite", pleure sa soeur, Camille, venue témoigner à la barre.

J'aimerais que vous preniez conscience que vous êtes une sorte de héros

Arnaud Friederich, avocat

à Tom

"J'aimerais que vous preniez conscience que vous êtes une sorte de héros", demande devant la cour Arnaud Friederich à son client, Tom. "Ça ne me fait pas spécialement plaisir", souffle ce dernier. Si les trois hommes se voient toujours, TransVersal n'existe plus. Damien a entamé d'autres projets, lui qui n'a plus la force de monter sur scène. Il s'est depuis marié avec Rosana. Elle attend un enfant.

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