Procès de l'attentat de Strasbourg : qui était le terroriste Chérif Chekatt, tué deux jours après les faits ?

Ce 29 février 2024 s'ouvre à Paris le procès de l'attentat du marché de Noël de Strasbourg, plus de cinq ans après les faits. Si le terroriste a été abattu par les forces de l'ordre deux jours après sa tuerie, il sera malgré tout au cœur des débats tout au long de l'audience.

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Tué par la police deux jours après avoir ôté la vie à cinq personnes et en avoir blessé onze autres sur le marché de Noël de Strasbourg, Chérif Chekatt est le grand absent du procès qui s'ouvre à Paris le 29 février. Mais son ombre planera au-dessus de la salle d'audience pendant cinq semaines.

C'est un homme condamné à de multiples reprises dès son plus jeune âge, qui, le 11 décembre 2018, entreprend dans le centre-ville de Strasbourg son périple meurtrier. Quand les forces de l'ordre mettent rapidement un nom sur celui qui vient de répandre l'horreur sur le marché de Noël, elles n'ont pas affaire à un inconnu, loin de là.

Plus de 20 condamnations à son actif

Chérif Chekatt connaît ses premiers déboires avec la justice dès 2003, alors qu'il n'a que quatorze ans. Condamné à plusieurs mois de prison pour des violences aggravées et des vols, il écope ensuite de deux ans de prison pour enlèvement et séquestration en 2006. Le début de nombreux allers-retours en détention jusqu'en 2017.

Alors qu'il est encore mineur, il est incarcéré entre mars 2005 et août 2006, puis trois mois plus tard, se retrouve derrière les barreaux, pendant trois ans cette fois. Après cinq mois à la maison d'arrêt de Strasbourg en 2011, il est emprisonné à Bâle (Suisse) à deux reprises, avant de passer deux ans, entre 2013 et 2015, dans des maisons d'arrêts de Mulhouse, Épinal et Strasbourg.

Un détenu d'abord violent, puis radicalisé

En 2016, il effectue deux séjours dans les prisons allemandes de Constance et Fribourg pour des vols. Quand Chérif Chekatt est libéré, il est âgé de 26 ans. Sans emploi, il vit à Strasbourg, là où il est né en 1989. Interrogés après l'attentat du marché de Noël, plusieurs de ses proches disent avoir constaté une radicalisation du jeune homme après sa détention.

Dès ses premiers passages en prison, Chekatt est remarqué par le personnel pénitentiaire et par d'autres détenus pour son comportement virulent, sans qu'il ne soit pour autant fait mention de rigorisme religieux. Plusieurs incidents remontent, comme lorsqu'il frappe deux surveillants en 2005, qu'il porte un coup à la tête d'un autre en 2006, ou qu'il en frappe deux violemment au visage en 2008.

En 2014, après un nouvel incident à la maison d'arrêt de Mulhouse, une évaluation de sa dangerosité est faite. Il en ressort que Chekatt est vu comme "violent et présentant des risques hétéro agressifs, mais aucun risque lié à une potentielle activité terroriste".

Il se prenait pour un imam

M.S, détenu à Strasbourg en même temps que Chérif Chekatt

Les premiers échos quant à une complaisance du Strasbourgeois avec l'islam radical interviennent le 8 janvier 2015, le lendemain de l'attentat contre Charlie Hebdo. Un codétenu s'est plaint que Chekatt ait crié pendant la nuit "Allah est grand, Allah a fait ce qu'il fallait".

Selon un deuxième détenu, Chekatt faisait des appels à la prière depuis sa fenêtre de la maison d'arrêt de Strasbourg. "Il se prenait pour un imam", indiquait un autre homme, faisant référence à ces appels à la prière. "En promenade, il avait toujours un livre, il ne le quittait jamais. Il ne se promenait pas, il s'asseyait directement au milieu de la promenade et il lisait ce livre à voix haute. De ce que je comprenais, c'était le Coran traduit en français", poursuit-il.

Des codétenus radicalisés

En cellule, Chekatt a également côtoyé des détenus proches du djihadisme. À Mulhouse, il est le codétenu pendant sept mois de Sylvio R., connu par les surveillants pour son radicalisme religieux et ses menaces d'égorgement et de décapitation. Durant un mois, il est emprisonné avec Zeshikhan M., membre de la mouvance islamo-tchétchène. Puis pendant une semaine avec Mehdi W., qui considérait les personnels pénitentiaires comme des mécréants et qui s'était revendiqué comme étant un soldat de Dieu.

À Épinal, Chekatt a également partagé sa cellule avec Michaël Chiolo, dépeint comme agressif, prosélyte et amateur des thèses salafo-djihadistes. À sa sortie de détention, Chekatt et Chiolo ont continué à maintenir des liens par SMS, mais aussi en s'envoyant des lettres. Le 5 mars 2019, Michaël Chiolo commettra un attentat à la maison d'arrêt de Condé-sur-Sarthe en attaquant au couteau deux surveillants. Après l'attentat, il expliquera avoir voulu "venger Chérif Chekatt".

Il refusait tout ce qui était de la République française

Une ancienne compagne du père de Chérif Chekatt

Au cours de l'enquête qui a suivi l'attentat du marché de Noël de Strasbourg, de nombreux proches de Chérif Chekatt ont été entendus au sujet de sa radicalisation. Si beaucoup avaient noté qu'il n'écoutait plus de musique et ne parlait plus aux femmes, sa mère indique aux enquêteurs que son fils n'avait jamais parlé de mécréants. De son côté, son père considérait la pratique de l'islam de son fils comme "normale".

Malgré tout, une ancienne compagne du père du terroriste indique avoir dénoncé auprès de l'assistante familiale "des propos extrémistes" de Chérif Chekatt, précisant qu'"il n'avait pas un discours classique sur l'islam." "Il disait que la musique était interdite. Il refusait tout ce qui était de la République française", ajoute-t-elle.

Fiché S depuis 2015

"Il est indéniable que sur la fin, et avec le recul, Chérif était radicalisé. Ça se voyait et s’entendait clairement. Chérif critiquait souvent les catholiques, les juifs, les mécréants. Il essayait souvent d’imposer sa façon de voir les choses et la religion", témoigne un de ses nombreux frères. Depuis 2015, Chérif Chekatt était fiché S et suivi par les services de renseignement.

Pendant l'instruction, les enquêteurs mettent la main sur une conversation entre deux des frères du terroriste au lendemain de l'attentat. "Il faut arrêter, cela fait des années qu’il est radicalisé et cela devait arriver un jour. Moi, j'ai essayé de prévenir, mais on ne m’a pas écouté. Je ne peux pas faire plus que ça", dit alors l'un d'eux.

Il était toujours en train de juger les gens en fonction de l’islam

Un cousin de Chérif Chekatt

Entendu par les enquêteurs, un cousin de Chérif Chekatt se souvient que ce dernier lui avait dit qu'il "traînait tous les jours avec un couteau". Il se rappelle qu'il n'aimait pas que les gens boivent de l'alcool. "Il était insupportable. Il était toujours en train de juger les gens en fonction de l’islam", indique-t-il. "Il était devenu impossible de dialoguer avec lui, il était à fond dedans", complétait une connaissance.

Il ressort également que Chérif et son frère S. étaient les seuls de la fratrie à pratiquer la religion de manière radicale. Arrêté en Algérie après des faits, S. déclarait ceci à propos de son frère : "Il a certes commis un acte interdit par la religion. Pourtant, je ne peux pas le considérer comme un terroriste. Les actes sont terroristes, mais pas lui."

Un homme très solitaire

Des différentes auditions, il ressort que le Strasbourgeois était vu comme quelqu'un "d'un peu spécial, dans son monde. Ce n'est pas quelqu'un qui aime parler, il préfère écouter que parler. Il n'est jamais nerveux, toujours solitaire. Il n'avait pas d'amis."

Des traits de caractères décelés dès l'enfance du terroriste, comme en témoigne une ancienne camarade, qui l'a connu à l'école primaire Schluthfeld, à Strasbourg. "J'ai le souvenir d'un enfant très torturé, triste et sombre. Il avait un regard très noir, plein de rage et de haine. Il n'y avait aucune insouciance chez lui. C'était une école dans laquelle il y avait beaucoup de conflits au quotidien. Pour un enfant qui avait beaucoup de soucis à la maison, ce n'est pas l'idéal."

Quand on a un camarade qui vient avec des couteaux, des cutters, qu'il s'en prend à l'autorité et qui est tout le temps en colère, ça peut faire peur

Une ancienne camarade de classe de Chekatt

"Par son comportement, beaucoup d'enfants s'en méfiaient même s'il ne s'en prenait pas aux élèves. Mais quand on a un camarade qui vient avec des couteaux, des cutters, qu'il s'en prend à l'autorité et qui est tout le temps en colère, ça peut faire peur. Il était ingérable. Et comme les parents n'avaient pas assez de notions de français pour discuter avec le corps enseignant, il était délaissé."

Sa camarade, qui était dans une autre classe, se souvient d'un épisode particulièrement marquant. "En CE1, la maîtresse de Chekatt avait eu peur de lui et avait demandé à mon maître de le prendre en charge. Dans la classe, Chérif avait sorti un cutter et l'avait mis sous la gorge du professeur. Il avait déjà détruit la salle de classe où il était à renverser les tables et tout. Il était en permanence rejeté, critiqué, il subissait beaucoup d'insultes racistes et il explosait."

Au moment des faits, 20 ans plus tard, Chérif Chekatt était sous le coup de deux procédures. Il était suspecté d'avoir participé, en août 2018, à une fusillade avec deux personnes chez un homme à Eckbolsheim, vraisemblablement dans une histoire d'argent non versé. Dans le cadre de cette affaire, les forces de l'ordre devaient interpeller Chekatt à son domicile le 11 décembre au matin, mais l'individu n'était pas présent. Le soir même, il déambulait dans le centre-ville de Strasbourg pour entamer son périple meurtrier.

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