"Ça fait 5 ans que je prends des notes et que je réfléchis comment écrire mon histoire, qui fait partie de la grande Histoire." Mostafa Salhane a passé quinze minutes seul dans son taxi, avec l'arme du terroriste pointée sur lui. Son livre est publié aux éditions Plon.
Une histoire hors-norme, qui a changé la vie d’un homme et du pays. Mostafa Salhane, chauffeur de taxi, a pris en charge le terroriste qui a tué 5 personnes et blessé 11 autres, le 11 décembre 2018 à Strasbourg.
Les quinze minutes, qu'il a passées seul avec lui dans l'habitacle, ont marqué sa vie à tout jamais. D'abord dans l'action, pour sauver le maximum de vies ce soir-là, puis la dépression, suite à l'immense choc, il est aujourd'hui dans la reconstruction et surtout le partage et l'aide aux victimes d'attentats.
Son livre fait partie de cette reconstruction. Coécrit avec Frédéric Ploquin, "15 minutes pour sauver ma vie", est publié aux éditions Plon. "On y retrace chaque seconde, car tout est important dans l'échange."
"Il n'arrêtait pas de parler. Il jubilait derrière moi, dans mon taxi. Il était visiblement heureux d'avoir tué et blessé toutes ces personnes." se souvient le chauffeur de taxi, Mostafa Salhane. Et il reprend un instant le récit, comme s'il y était encore. "Pendant tout le temps, il braque son arme sur moi. Je réfléchis pour m'en tirer vivant et je comprends vite qu'il faut que je m’éloigne, car autour de nous il y a beaucoup de monde. J'ai vu qu'il avait une masse importante sous sa veste, j'ai pensé au gilet explosif."
Mostafa Salhane est un ancien karatéka, il a travaillé pendant vingt ans dans la sécurité et avec des jeunes des quartiers, pour les aider à s'en sortir. Quand le terroriste monte dans son taxi, il a une bonne expérience de la psychologie humaine "Je lui ai donné raison sur tout. Je n'allais pas chercher à le provoquer."
Ce soir du 11 décembre 2018, le chauffeur n'aurait pas dû être de service. Le hasard fait-il bien les choses parfois ? Lui a pensé qu'il s'agissait d'une mission divine. "J'ai des connaissances sur l'Islam, car je suis moi-même musulman, mais nous n'avons pas le même Islam. Pour moi, c’est la tolérance, l’amour, le partage et le bien vivre en France. Pour ma part, je cherchais à rendre à la France ce qu’elle m’a apporté pendant ma jeunesse, l’école, puis ma vie professionnelle et familiale. Lui, c'était la destruction, la volonté de détruire notre démocratie et liberté. Il était né en France, il s'est attaqué à sa propre mère, la France."
Comment s'en est-il tiré ?
"J'ai trouvé la faille. Il saignait beaucoup, parce qu'une sentinelle l'avait blessé. Je lui ai dit que s'il voulait que je le soigne, il fallait sortir de la voiture. Nous étions assez près du commissariat de police. J'ai ouvert la portière et suis descendu, mais j'ai laissé la portière ouverte. Il est descendu aussi. On a parlé de pas mal de sujets. À un moment d'inattention de sa part, je rentre vite dans la voiture, je démarre en trombe et je vais à la police. Je leur raconte ce qui vient de se passer. Et au bout de quelques minutes, j'entends des tirs dans le commissariat, c'était lui."
À ce moment-là, Mostafa est le témoin principal, alors la police le garde et l'interroge. Pendant des heures. "Je suis interrogé de 20h15 jusqu’à 4 heures 30 du matin, par la police d'abord puis par des scientifiques. C'est extrêmement éprouvant : on vous croit et on ne vous croit pas." Il leur fallait lever le doute.
Aujourd'hui, cinq ans plus tard, Mostafa Salhane présente son livre. Il lui a fallu du temps pour pouvoir sortir de son silence et reprendre contact avec la vie. "J'ai vécu dans le noir, les volets fermés, traumatisé, je ne sortais plus. J'étais dans un désarroi, une angoisse constante. Aujourd’hui, je défends les victimes, je suis mobilisé contre le terrorisme."
J’ai pensé en finir avec ma vie, alors que j’avais tout réussi. Je suis passé d’un homme actif à un homme en dépression.
Mostafa Salhane, victime du terrorisme
La réparation et l'aide aux victimes
Mostafa est devenu celui que l'on appelle pour intervenir dans les collèges et lycées, les écoles d’infirmiers et infirmières, pour les aider à comprendre le stress post-traumatique et ce qu'il faut faire pour aider les victimes. Ses connaissances sont précieuses et, désormais, il a de nouveau la force pour aider à faire avancer la lutte contre le terrorisme et ses terribles conséquences.
Il a créé une association d'aide aux victimes d'attentats et travaille avec le ministère de la Justice. Objectif, mieux comprendre et simplifier la vie des victimes. Leur assurer une prise en charge clinique et sociale.
Son incroyable histoire est publiée à la veille du procès de l'attentat de Strasbourg, qui se tiendra du 29 février au 5 avril. Son association y sera partie civile. "Peut-être qu'à partir de là, on pourrra faire le deuil et passer à un nouveau projet. Le grand public à besoin de savoir ce qui s'est passé ce soir-là."
"Quinze minutes pour sauver ma vie" servira sans doute à cela, mais à bien plus encore. "Le chantier est énorme ! Nous ne devons pas laisser le terrorisme attaquer nos sociétés", lâche le chauffeur de taxi, qui n'aurait pas dû, théoriquement, travailler ce soir-là.