Témoignage. Cinq ans après l'attentat de Strasbourg, une victime toujours à la recherche d'une lente reconstruction

Publié le Écrit par Toky Nirhy-Lanto

Cinq ans jour pour jour après l'attaque terroriste du marché de Noël, Strasbourg se recueille. Ce lundi 11 décembre, plusieurs temps d'hommage aux victimes sont prévus. À quelques heures de ces cérémonies, le souvenir reste vif pour Martine, une habitante blessée lors de l'attentat.

Le 11 décembre 2018, Martine circule à deux pas de la cathédrale, dans la rue piétonne des Orfèvres. Cette habitante de Strasbourg (Bas-Rhin), âgée de 65 ans, se trouve sur le chemin du périple meurtrier organisé par Cherif Chekatt.

Les rues sont bondées en cette période du marché de Noël. Cinq personnes y trouvent la mort, tuées par balle ou à l'arme blanche. Onze autres sont blessées, comme Martine. Depuis, elle se reconstruit doucement, mais difficilement.

Elle reste très marquée par la violence des événements et se sent depuis en insécurité dans cette ville qu'elle s'apprête à quitter. En amont de la commémoration des cinq ans de l'attentat, Martine a accepté de nous confier ses impressions. Témoignage.

Un sentiment d'insécurité permanent

Lorsqu'on lui demande comment elle se sent aujourd'hui, Martine se lâche : "Ça va très mal, je suis déçue et en colère. Je me suis décidée, au bout de cinq ans de souffrances, d'interrogations et d'insécurité dans la ville de Strasbourg, à la quitter. Les incivilités, la méchanceté, l'arrogance et la violence, c'est devenu absolument insupportable pour moi. Qu'il s'agisse de la mairie de Strasbourg ou de la préfecture, tous ces gens-là sont dans l'incapacité de mettre en sécurité les habitants."

Elle ne se retrouve plus dans la cité qu'elle affirme habiter depuis 45 ans. "Strasbourg, c'est ma ville, mais maintenant, je m'y sens tout le temps en insécurité", confie Martine. Des "agressions verbales et physiques" dont elle a malheureusement encore fait les frais dans le tram, l'ont convaincue de quitter la capitale du marché de Noël. Ce sera chose faite, "le 4 janvier prochain", précise-t-elle. Son choix s'est porté vers Plobsheim, "la dernière commune de l'Eurométropole où je serai, j'espère, en sécurité, au calme, et où il y aura plus de bienveillance, de gentillesse, de paix et de sérénité".

Un déménagement qu'elle explique aussi par la volonté d'oublier l'attaque terroriste. Se détacher de ce qui lui est arrivé est difficile, confie-t-elle, compte tenu de l'actualité récente : "La preuve avec l'attaque à Paris, la semaine dernière." Elle dit encore éprouver "la culpabilité du survivant". "J'ai toujours en mémoire les deux personnes qui sont décédées à côté de moi, dans la rue. Le souvenir aussi de la personne qui était devant moi, éventrée, mais qui s'en est sortie. Je me dis 'mais qu'est-ce que je fais là', et je ressens cette espèce d'appétence morbide envers ce que vivent les autres personnes victimes de l'attentat", se lamente Martine. 

Une commémoration à la symbolique importante

Les victimes, leurs proches et les représentants de l'État se réunissent ce lundi 11 décembre, à l'occasion des cinq ans de l'attaque. Martine s'y rendra : "Je vais à cette commémoration, mais ce sera pour moi ma dernière participation. Je n'ai pas envie de m'y rendre, mais je vais participer à tout, en étant protégée, on va dire, par deux amis qui ont la gentillesse de m'accompagner. Je quitte la ville et je passe à autre chose, pour refermer le livre des attentats, de façon à me reconstruire de la façon la plus positive possible."

La cérémonie se déroulera en plusieurs parties. "Il y aura un temps place de la République, avec les institutionnels, les élus et je crois le garde des Sceaux. Viendra ensuite un temps de parole et de discussion à l'hôtel de ville. Avant un autre moment pour se préparer au prochain procès, avec différents intervenants, des associations et du ministère de l'Intérieur", détaille-t-elle.

Le palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg doit ensuite accueillir plusieurs artistes, en début de soirée. Martine se montre plus réservée. Elle ressent encore une "peur d'aller aux concerts, dans les expositions", tout en se jurant d'essayer "de retrouver" cette envie de s'y rendre. Elle déclare tout de même attendre ce moment, espérant partager des moments "de chaleur, de communion collective, et de bienveillance".

J'ai perdu mon boulot, des amis, une partie de ma joie de vivre. J'étais quelqu'un d'extrêmement dynamique. J'ai perdu toutes mes activités sociales, parce que j'ai peur de me déplacer

Martine

Blessée au cours de l'attentat du marché de Noël de Strasbourg, le 11 décembre 2018

Bien qu'elle s'estime "humaniste par nature", Martine se montre acerbe. "Le terrorisme a gagné, affirme-t-elle, puisque le terroriste et tous les fichés S qu'il y a aux alentours ont gagné. La ville a échoué à mettre en sécurité les habitants et moi, victime de l'attentat." Elle se montre aussi critique parce que sa vie a basculé : "J'ai perdu mon boulot, des amis, une partie de ma joie de vivre. J'étais quelqu'un d'extrêmement dynamique. J'ai perdu toutes mes activités sociales, parce que j'ai peur de me déplacer."

Alors Martine se bat pour passer outre les souvenirs de l'attaque : "Ma vie ne se résume pas à l'attentat. C'est un épisode terrible, et je veux sortir de là. Ma vie d'après, c'est sans les victimes, sans les attentats. En étant bien consciente que la vie est fragile et qu'on peut mourir du jour au lendemain. C'est ainsi, et je veux vivre mes dernières années dans un esprit de sérénité, d'humanisme et de gentillesse."

La confrontation au prochain procès

Dans le même temps, elle devra bientôt faire face au procès des complices du terroriste. Un moment qu'elle dit "redouter en tant que partie civile", mais aussi comme "témoin de l'attentat et victime". Elle ressent tout de même une satisfaction, à rebours des pensées qu'elle avait pu avoir deux ans plus tôt : "Le procureur antiterroriste, à l'époque, m'avait demandé ce que j'attendais du procès. J'avais alors déclaré : 'Rien, je m'en fiche, ce n'est pas le gars qui est en prison qui a appuyé sur la détente.' Maintenant, j'ai changé d'état d'esprit."

Martine se montre déterminée : "Je me dis que je veux le voir, je trouve que c'est grave. Je veux savoir quelle tête il a, pourquoi il a vendu des armes. Quel est son niveau d'implication ? Quel est ce personnage qui a fait qu'un attentat a pu être possible à Strasbourg ?" Elle souhaite "qu'il paie, qu'il dise, qu'il s'exprime (et veut) le voir, même si c'est douloureux, il faut que justice soit faite". Sans être "méchante", ou sans "avoir des sentiments de revanche", précise-t-elle toutefois. 

Le procès des complices de l'auteur de l'attentat du marché de Noël s'ouvrira le 29 février prochain. Il doit durer cinq semaines.

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