Les parties civiles continuent de s'exprimer dans le procès de l'attentat du marché de Noël de Strasbourg. Ce mardi 12 mars, la journée a débuté avec le témoignage de Fabrice. Ce miraculé a reçu une balle dans le visage le soir du 11 décembre 2018.
La troisième journée d'audition des victimes de l'attentat du marché de Noël de Strasbourg s'est ouverte avec le témoignage de Fabrice et de sa femme Vanina. Le terroriste Chérif Chekatt avait tiré sur le père de famille en plein visage, rue des Grandes Arcades à Strasbourg.
Plus de cinq ans après avoir frôlé la mort, Fabrice est à Paris, devant la cour d'assises spéciale, pour raconter ce qu'il lui est arrivé le 11 décembre 2018 au soir. Pull marron, cheveux courts et lunettes rectangulaires, le peintre décorateur a du mal en entamer son récit, lui qui explique qu'il n'a "pas l'habitude de parler de lui".
Ce soir de décembre 2018, il profite du marché de Noël avec sa femme, sa fille, des amis et leurs enfants. "Il y avait des soi-disant contrôles sur un pont. On est passé sans être fouillés, ni contrôlés. Puis on va dans les petites ruelles, on mange, on boit du vin chaud", se souvient-il.
"Tu auras des étoiles dans les yeux"
Sa femme Vanina était heureuse de faire découvrir les festivités à leur fille de sept ans. "Je lui avais dit 'Tu verras, tu auras des étoiles dans les yeux'." C'était avant que la famille ne croise la route de Chérif Chekatt dans la rue des Grandes Arcades, lui qui venait de tuer deux personnes rues des Orfèvres.
"On a entendu des claquements au loin. On pensait qu'ils fermaient les volets des chalets. Puis un individu nous a bousculés, il est passé devant moi. J'ai vu sa silhouette. Il m'a tiré en plein visage", continue Fabrice avant de prendre une grande inspiration. La balle est entrée par l'aile de son nez, a retiré les racines de ses dents, lui a fracturé le palais avant de rester coincée dans ses cervicales.
"J'ai ressenti une énorme douleur sur le côté gauche de ma tête. Je me suis couché par terre et c'est là que j'ai compris ce qu'il se passait quand je l'ai vu tirer sur d'autres personnes. Tout le monde criait, courait dans tous les sens", continue l'homme de 44 ans.
45 minutes à attendre les secours
"Ma femme demande à notre amie de partir avec notre fille pour rester avec moi. Je lui ai dit que ça irait, mais je ne sais pas si elle me comprenait vu mon état. J'ai demandé aux gens de ramasser mes dents dans le sang. Il faisait très froid et l'attente des secours était interminable." Depuis le début des auditions, de nombreuses victimes ont raconté avoir eu la même sensation, certaines se sentant même abandonnées.
"On ne comprend pas. C'est la panique à Strasbourg. C'est la guerre même. Et vous avez les gens avec leurs téléphones qui prennent des photos. Ils ne peuvent pas appeler les secours ? Non, il faut faire le buzz. Ça me dégoûte", continue Vanina. "Ma fille me demande comment va papa. Je lui réponds que je ne sais pas. Elle me demande s'il va mourir. Même réponse. Puis elle me dit 'Mais tu ne sais rien'."
J'ai eu peur d'appeler mes beaux-parents
VaninaFemme de Fabrice
La suite de la soirée, Vanina l'a passée entre les pleurs, l'impuissance et l'angoisse, elle qui est partie à l'hôpital de Hautepierre avec son mari, laissant leur fille avec leurs amis. "J'ai eu peur d'appeler mes beaux-parents. Pour leur dire quoi ? Leur annoncer que Fabrice va peut-être mourir ? Comment voulez-vous annoncer ça à une mère de famille ?", demande-t-elle à la cour en pleurs.
À l'hôpital, Vanina rencontre un médecin qui lui annonce qu'il ne pourra pas retirer la balle dans les cervicales de son mari vu son état. "J'ai engueulé ce pauvre monsieur. Je lui ai dit 'Vous ne pouvez pas nous laisser vivre comme ça à cause d'un fou !'". La balle sera finalement retirée des cervicales de Fabrice.
Je reconnais le numéro mais je ne veux pas décrocher parce que j'ai peur de ce qu'on va m'annoncer
VaninaFemme de Fabrice
De retour chez elle, à 20 kilomètres de Strasbourg, la mère de famille est seule. Au milieu de la nuit, elle reçoit un appel de l'hôpital. "Je reconnais le numéro mais je ne veux pas décrocher parce que j'ai peur de ce qu'on va m'annoncer. Puis au bout du quatrième appel, une infirmière au bout du fil me dit qu'elle me passe quelqu'un. C'est mon mari. Il me dit que ça allait. Même si je ne comprenais pas grand-chose, j'étais rassuré. J'ai entendu sa voix."
Puis les forces de l'ordre lui ramènent sa fille. "Merci pour les étoiles dans les yeux", lui dit-elle en quittant le véhicule. "Je me sentais déjà assez coupable de l'avoir amenée à Strasbourg. Alors ces reproches... Mais je comprends avec le recul, je ne lui en veux pas", témoigne Vanina les yeux embués.
Une famille brisée
Le lendemain sonne comme le début de mois de conflits familiaux et de prises de tête dans les nombreux papiers à remplir. "Il a fallu annoncer à notre fils de 13 ans que son papa est à l'hôpital. C'était très compliqué à la maison. Les enfants ne se parlaient plus. Ma fille m'en voulait de ne pas être restée avec elle, elle en voulait à son frère de ne pas l'avoir protégée. Lui s'en voulait de ne pas avoir été là ce soir-là."
"Ils ne voulaient pas aller voir leur père à l'hôpital. Même moi, je ne savais pas comment affronter son visage, il était sûrement défiguré. Mais en entrant dans sa chambre, il était juste bleu et entre guillemets 'beau'", sourit Vanina.
Cinq ans après, les traumatismes sont encore là. "En tant que père de famille, je devais montrer l'exemple et être fort. Toujours dire que ça allait même quand ça n'allait pas. En tout cas, il y a des choses qui n'iront plus", souffle Fabrice.
L'odeur du vin chaud, je n'en peux plus ; les pétards au nouvel an, je n'en veux plus
VaninaFemme de Fabrice
"On ne fait plus de marchés de Noël. L'odeur du vin chaud, je n'en peux plus. Les pétards au nouvel an, je n'en veux plus. Je ne mets plus de talons aiguilles parce que ça me rappelle le bruit des gens sur les pavés et parce que ce n'est pas possible de prendre la fuite avec", explique sa femme.
Presque essoufflée de son témoignage, elle termine. "Est-ce que quand on va dans un endroit, on sera en sécurité ? Est-ce qu'il y a des méchants ? Ce n'est pas écrit sur le visage des gens. Ils ont enlevé l'enfance de nos enfants, ils ont grandi trop vite. À cet âge, un enfant n'a pas envie de voir la guerre."
"J'espère que c'est une chose qui n'arrivera plus. S'il n'y a pas d'arme, il n'y a pas d'attentat. Et s'il n'y a pas d'attentat, il n'y a pas de mort", conclut Fabrice, sans un regard pour les quatre hommes sur sa gauche, accusé d'avoir, à divers degrés d'implication, permis à Chérif Chekatt d'obtenir l'arme avec laquelle il a voulu tuer Fabrice et ôté la vie à cinq personnes.