Témoignages. Procès de l'attentat de Strasbourg : trois rescapés de l'horreur, trois destins hors du commun

Publié le Mis à jour le Écrit par Thomas Boucheyras
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Le procès de l'attentat du marché de Noël de Strasbourg s'est ouvert le 29 février à Paris. Pour ces trois survivants, qui témoigneront comme partie civile, le retour à une vie normale semble impossible. Ils racontent leurs 11 décembre 2018 et la douloureuse reconstruction qui a suivi.

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Ils s'appellent Mostafa, Martine et Elh Cheikh. Ils ont depuis le soir de l'attentat beaucoup de choses en commun. Tout d'abord, le "pourquoi moi ?" qu'ils se répètent presque tous les jours, puis les séquelles. Comme maudits d'avoir vécu une telle horreur, ils ont vu la mort de près, de très près. 

Leur rapport à l'après est toutefois différent. Ils font partie des dizaines de rescapés à avoir croisé le regard de Chérif Chekatt, qui avait tué cinq personnes et blessé onze autres au marché de Noël de Strasbourg, il y a cinq ans.  

Ils se retrouveront, le 11 mars, devant les assises spéciales de Paris. Ils se porteront partie civile lors du jugement de quatre individus, complices d'avoir, notamment, aidé le terroriste à acheter des armes. Cette étape est l'occasion, peut-être, de faire un grand pas vers l'apaisement.

Mostafa Salhane, chauffeur de taxi, otage quinze minutes

Il ne devait pas être de service à ce moment-là. Le soir de l'attentat, Chérif Chekatt entre dans le véhicule de Mostafa Salhane et le met en joue. Il lui ordonne de le ramener chez lui, dans le quartier de Neudorf, au plus vite. Tout bascule en l'espace d'une seconde pour le chauffeur de taxi qui sait que sa vie ne tient plus qu'à un fil. Le terroriste vient d'abattre cinq personnes au marché de Noël et ne semble pas prêt de s'arrêter. "Il ne faisait que parler. Il jubilait derrière moi, dans mon taxi. Il était visiblement heureux d'avoir tué et blessé toutes ces personnes", nous confiait Mostafa Salhane début février.

J'ai des connaissances sur l'Islam, car je suis moi-même musulman, mais nous n'avons pas le même Islam (...) Lui, c'était la destruction, la volonté de détruire notre démocratie et la liberté.

Mostafa Salhane, chauffeur de taxi pris en otage par Chérif Chekatt

Pour s'en sortir, le chauffeur sait qu'il doit dans un premier temps s'éloigner de la tuerie puis sympathiser, même avec le diable. Cet ancien éducateur auprès des jeunes de quartiers a une bonne expérience de la psychologie humaine. Il parle de religion et lui donne raison sur tout par peur de le provoquer. "J'ai des connaissances sur l'Islam, car je suis moi-même musulman, mais nous n'avons pas le même Islam. Pour moi, c’est la tolérance, l’amour, le partage et le bien vivre en France. Lui, c'était la destruction, la volonté de détruire notre démocratie et la liberté. Il était né en France, il s'est attaqué à sa propre mère, la France.

Toujours l'arme pointée sur lui, Mostafa Salhane réfléchit à un stratagème. Le terroriste est blessé d'une balle reçue par une sentinelle quelques minutes plus tôt. Il lui propose alors de l'aider. "Je lui ai dit que s'il voulait que je le soigne, il fallait sortir de la voiture. Nous étions assez près du commissariat de police. J'ai ouvert la portière et suis descendu, mais j'ai laissé la portière ouverte. Il est descendu aussi."

Action réaction. Il profite d'un moment d'inattention de Chérif Chekatt pour reprendre le volant et s'enfuir au poste de police. S'il pense avoir semé le terroriste, des coups de feu en direction d'agents lui indiqueront le contraire. Il est néanmoins en sécurité. Quinze minutes viennent de s'écouler. Un quart d'heure interminable que Mostafa Salhane est parvenu, non sans peine, à retranscrire dans un livre en 2024.

J’ai pensé en finir avec ma vie, alors que j’avais tout réussi.

Mostafa Salhane, chauffeur de taxi pris en otage par Chérif Chekatt

Entre-temps, le Strasbourgeois a connu, comme d'autres rescapés, une longue et douloureuse reconstruction. "J'ai vécu dans le noir, les volets fermés, traumatisé, je ne sortais plus. J'étais dans un désarroi, une angoisse constante. J’ai pensé en finir avec ma vie, alors que j’avais tout réussi. Je suis passé d’un homme actif à un homme en dépression." Son échappatoire ? Les autres. Il crée en 2020 une association d'aide aux victimes et consacre son temps à des interventions dans des lycées et collèges. "Aujourd’hui, je défends les victimes, je suis mobilisé contre le terrorisme", affirme le cinquantenaire, qui confiait, début février, espérer faire le deuil de l'événement grâce au procès. 

Martine Winterberger, une balle pleine d'insécurité

Le 11 décembre 2018, Martine Winterberger avait prévu de passer du bon temps avec une amie en se baladant au marché de Noël. Chérif Chekatt en avait décidé autrement. Durant son périple sanglant, le terroriste tire à bout portant sur la femme rue des Orfèvres. Une balle transperce les deux blousons qu'elle porte, mais pas sa peau. "Un ange gardien m’a protégé. Ce n’était pas mon heure, c’est le destin", racontait-elle à France 3 un an après les faits. "Ce n’est pas une chance, j’ai toujours beaucoup de mal à accepter de ne pas être morte. Il y a des gens à côté, deux messieurs plus jeunes que moi qui sont décédés. J’aurais dû partir avant eux."

Cette manière dont il était habillé, tout à fait commune chez les jeunes, me donne l’impression d’avoir toujours des terroristes à côté de moi.

Martine Winterberger, blessée par Chérif Chekatt

Martine Winterberger ressent rapidement de la culpabilité, puis de la colère. Celle de ne plus pouvoir sortir, flâner, respirer comme avant. Si la balle reçue ne lui laisse "que" des brûlures, le traumatisme de sa rencontre avec Chérif Chekatt semble indélébile. "C’était un jeune tout à fait banal. Comme on en croise tous les jours. D’ailleurs, je le croise tous les jours. Cette manière dont il était habillé, tout à fait commune chez les jeunes, me donne l’impression d’avoir toujours des terroristes à côté de moi."

Depuis cinq ans, le sentiment d'insécurité accapare le quotidien de l'Alsacienne. "Plus le temps passe, contrairement à ce qu'on croit, et plus on est affecté", confiait-elle lors de l'hommage aux victimes de 2021. Après deux années en clinique psychiatrique, Martine Winterberger a progressivement perdu l'espoir de retrouver sa vie d'avant. "Mon quotidien n’est plus du tout le même. Je ne travaille plus. Ma relation aux autres a changé. Je suis également très déçue. Avec tout ce qui m’a été donné par les associations et les services de santé, que faut-il de plus pour arriver à s’en sortir ?"

En janvier 2024, après des années "de souffrances, d'interrogations et d'insécurité", elle décide de quitter Strasbourg. "Les incivilités, la méchanceté, l'arrogance et la violence, c'est devenu absolument insupportable pour moi", expliquait-elle il y a quelques mois. Elle confie avoir perdu son travail, ses amis et surtout sa joie de vivre au fil du temps. Martine Winterberger vit désormais dans une commune plus reculée de l'Eurométropole, où elle espère pouvoir trouver paix et sérénité.  

Pendant cinq ans, elle n'a jamais manqué les commémorations de l'attentat. Celle de 2023 était toutefois sa dernière. Elle ne s'y rendra plus... pour son bien. Martine Winterberger compte profiter du procès pour, enfin, se délester d'un poids trop longtemps gardé. "Le procureur antiterroriste, à l'époque, m'avait demandé ce que j'attendais du procès. J'avais alors déclaré : 'Rien, je m'en fiche, ce n'est pas le gars qui est en prison qui a appuyé sur la détente.' Maintenant, j'ai changé d'état d'esprit." 

Elh Cheikh Gueye, partir loin et tenter de revivre

"Il m'a mis son arme devant moi et m'a dit 'dégage ou je te tue'." Cette scène, Elh Cheikh Gueye s'en souvient très bien en 2024. Comment l'oublier ? Il n'a jamais vraiment réussi à passer outre. L'histoire de cet étudiant en master de sociologie est bouleversante. Elle illustre la vie brisée des victimes psychologiques de Chérif Chékatt. Elles sont au moins 450, dont 80 dites "graves". Le jeune homme, âgé d'une vingtaine d'années au moment des faits, est l'avant-dernière personne à avoir croisé le chemin du terroriste. Il travaillait alors comme agent de sécurité sur le pont Saint-Martin.

Depuis, Elh Cheikh Gueye a presque tout perdu. Le traumatisme le contraint à stopper net ses études et ses rêves de gestionnaire de projet dans le développement durable. Il ne dort plus, s'alimente mal et se renferme sur lui-même. Il décide rapidement de rejoindre, un temps, sa famille au Sénégal en guise d'échappatoire. Mais, de retour à Strasbourg, le stress post-traumatique resurgit. Il plie bagage pour les Etats-Unis, le Canada ou encore le Maroc, tout ça en l'espace de quelques années. "Je partais pour m’éloigner du problème. Quand je suis loin du territoire, j'ai un semblant de vie d'avant", raconte-t-il.

Si ses voyages, souvent en solitaire, le font aller mieux, ses maux le rattrapent rapidement une fois retourné en France. Elh Cheikh Gueye se dit alors que reprendre une activité l'aiderait à vivre plus facilement. "J’ai travaillé en tant qu’agent de greffe au tribunal administratif en mai 2023. Mais je n’en pouvais plus, je n’arrivais pas à me concentrer", soupire-t-il. "Un moment, il y a eu des avancées par rapport à ma situation. J’avais pensé qu’en reprenant le travail ça irait mieux. J’ai fait plusieurs rechutes psychologiques. Ça m'a replongé dans la situation initiale, je manquais de nouveau d’appétit et de sommeil."

La peur de ne jamais surmonter les séquelles du 11 décembre le hante. Aujourd'hui âgé de 34 ans, Elh Cheikh Gueye attend beaucoup du procès. "J’en ai parlé avec le médecin, il m’a dit que ça pourrait être une date décisive pour notre reconstruction. On espère qu’après le procès, j'irais mieux."

Vivre un traumatisme pareil est difficilement perceptible. Aucun mot n'est assez fort pour retranscrire la souffrance et le désemparement des victimes du 11 décembre 2018. Elh Chekh Gueye évoque cette "autre vie", rythmée par des allers-retours incessants chez le médecin et le psychiatre. Cette "autre vie" que "vous prenez en pleine face" et qui fait de vous une "autre personne, que vous fassiez des activités à côté ou non". Cette vie, qui leur semblait si douce auparavant, s'est transformée en épreuve à cause d'un homme et de ses complices. C'est justement face à une partie d'entre eux, qu'ils témoigneront du 11 au 13 mars 2024. 

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