Ce jeudi 29 février s'ouvre le procès de quatre hommes, suspectés d'avoir permis à Chérif Chekatt d'obtenir l'arme avec laquelle il a commis l'attentat du marché de Noël de Strasbourg le 11 décembre 2018. Parmi eux, Audrey Mondjehi, accusé d'avoir préparé l'attaque avec le terroriste.
Pendant plus d'un mois, du 29 février au 5 avril 2024, Audrey Mondjehi devra s'expliquer sur ses liens avec Chérif Chekatt dans les mois qui ont précédé l'attentat du marché de Noël de Strasbourg. Jugé par la cour d'assises spéciale pour complicité d'assassinats et tentatives en lien avec une entreprise terroriste, il est le principal accusé dans ce procès.
Aujourd'hui âgé de 42 ans, Audrey Mondjehi est le père de trois enfants qu'il a eus avec trois femmes différentes. D'une fratrie de 16 enfants, il est né en Côte d'Ivoire en juin 1981 avant d'arriver en France à l'âge de 9 ans pour grandir à Strasbourg, dans le quartier de Hautepierre.
C'est un homme au casier judiciaire déjà bien rempli qui comparaîtra à Paris. Entre 1997 et 2017, Mondjehi est incarcéré à douze reprises pour des affaires de vols, parfois avec violence ou encore d'outrages et de rébellions. "Il a baigné dans la délinquance de droit commun et n'a pas su s'en extirper", nous explique son avocat Michael Wacquez.
Un rappeur "impulsif"
Ce dernier décrit son client comme "quelqu'un d'assez démonstratif". "Quand il s'exprime, il veut qu'on l'entende, ce n'est pas quelqu'un d'introverti. Il s'exprime de manière véhémente, c'est son caractère", appuie-t-il. De cette réputation, Audrey Mondjehi en fera un nom de scène, lui qui s'est fait connaître par le rap sous le pseudo de "1pulsif".
Le rappeur connaît un succès local en 2008 avec le titre "Cartel", qui sera visionné plus de 800 000 fois, un vrai carton pour l'époque. Au début du clip, un message apparaît à l'écran : "L’1PULSIF 67, individu armé, dangereux et multirécidiviste, réputé dans tous les quartiers du 67 (Bas-Rhin). Activement recherché par les forces de l’ordre depuis sa dernière incarcération."
Pas un inconnu des médias
Avec le clip "DAR", pour "Dangereux, Armés, Redoutables", Audrey Mondjehi va plus loin dans le trash. La police ira même jusqu'à porter plainte contre le rappeur, la vidéo mettant en scène des hommes rouant de coups un policier. On voit aussi dans le clip des femmes tenues en laisse. Les armes prennent également une place importante, comme dans bon nombre de ses clips.
La presse locale s'intéresse alors à "1pulsif". En 2010, dans les colonnes de 20 Minutes, Audrey Mondjehi s'expliquera sur cette vidéo, assurant qu'il s'est assagi depuis. "Aujourd'hui, je dis aux jeunes de se contrôler, de canaliser leur colère, en faisant un sport noble comme la boxe. Ça ne sert à rien de faire des conneries", assure-t-il.
Chez nos confrères de Stras TV, il reviendra sur son passé de délinquant. "Avant, j’étais un peu nerveux dans ce que je faisais, que ce soit les braquages, les magouilles… Je n’étais pas un enfant de chœur, mais je me suis investi dans la musique pour pouvoir évacuer tout ce qui m’est arrivé dans le passé."
Une première rencontre avec Chekatt en prison
Mais avant d'être rappeur, Audrey Mondjehi est surtout un délinquant, habitué de la prison. En 2007, il est incarcéré pendant plusieurs mois au centre de détention de Saint-Mihiel, dans la Meuse. C'est là qu'il rencontre Chérif Chekatt pour la première fois. "Puis, pendant des années et des années, ils ne vont plus se côtoyer. Ils vont se retrouver tardivement, en 2018. Ce qui les rapproche, c’est la délinquance", complète son avocat.
Surtout, Chérif Chekatt, qui est sorti de prison depuis plus d'un an après un dernier séjour carcéral en Allemagne, est à la recherche d'une arme. "Ils ne se côtoient pas dans l'intimité, ce sont des connaissances de quartier. Ils n'ont pas de loisirs ensemble. S'ils se retrouvent, c'est toujours pour des fins utilitaires, notamment par rapport aux demandes de Chérif Chekatt", continue Michael Wacquez.
"Audrey Mondjehi est connu pour se procurer des armes, c'est son commerce. Il fait ça dans l'illégalité, sous le manteau. Il n'a pas de rentrée d'argent régulière, donc c'est la débrouille, c'est le marché parallèle. C'est comme ça qu'il est connu à Strasbourg." Une ancienne compagne dira de lui qu'il "essaye toujours de se faire de l'argent, avec tout, même en vendant des armes."
J'ai des armes pour ma sécurité personnelle
Audrey MondjehiEn 2018
À une étudiante en journalisme qui enquêtait sur la présence d'armes à feu dans les clips de rap à cette époque, Audrey Mondjehi expliquera être "passionné par les armes". "J'en ai pour ma sécurité personnelle. J'ai des kalachnikovs, deux grenades aussi", indiquera-t-il dans son interview.
Violent, Audrey Mondjehi l'était également dans sa vie personnelle, lui qui a été condamné plusieurs fois pour violences conjugales, comme en témoignent plusieurs de ses ex-compagnes pendant l'instruction. C'est d'ailleurs au moment de son mariage religieux avec sa dernière femme que le Franco-Ivoirien se serait converti à l'islam. Ses proches ne le décrivent pas comme quelqu'un de radicalisé, contrairement à Chérif Chekatt.
Un clip de rap publié deux jours avant l'attentat
"Il ne parlait jamais religion. Il est plus fêtard, il rencontre des filles en permanence", relate un de ses demi-frères. Un autre parle de Mondjehi comme un homme "assez pratiquant, mais pas du tout radicalisé". Dans un clip publié en 2018, pour son retour musical, on peut voir Mondjehi à genou, le front au sol, sur un tapis de prière, vêtu d'une djellaba.
Le 9 décembre, son clip "Retour aiguisé" est mis en ligne. "Ma carrière sera longue comme l'affaire Grégory", énonce en introduction Audrey Mondjehi. Deux jours plus tard, Chérif Chekatt tue cinq personnes et en blesse onze à Strasbourg avec un revolver qu'il a obtenu par l'intermédiaire de Mondjehi. Le 13 décembre, ce dernier se présente au commissariat et il est mis en examen le 17 pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Il est depuis en détention provisoire.
Il ne peut pas accepter que les victimes puissent l’identifier en tant que terroriste
Michael WacquezAvocat d'Audrey Mondjehi
“Ici, on a les caractéristiques mêmes d’une personne qui a été déracinée, qui est arrivée en France à l’âge de 9 ans, plongée dans les quartiers, avec une famille qui avait du mal à joindre les deux bouts, avec une impossibilité de s’extirper du monde des quartiers. Je ne sais pas si tout était tracé, mais tous les éléments étaient réunis pour qu’il tombe dans la délinquance", résume son avocat.
Les semaines avant l'attentat, Audrey Mondjehi avait mis Chérif Chekatt en relation avec plusieurs hommes, capables d'obtenir des armes. En septembre 2018, il rencontre deux fois Christian Hoffmann, qui lui fournit d'abord une kalachnikov factice, puis un 22 Long Rifle défaillant.
Lorsqu'en décembre, Chérif Chekatt accélère sa recherche d'arme, Audrey Mondjehi lui fait rencontrer Frédéric et Stéphane Bodein, deux frères de Sélestat, qui lui donnent le contact d'Albert Bodein, le cousin de leur père. Le 11 décembre, ce retraité fournit à Mondjehi et Chekatt un revolver. Le soir même, cette arme servira à Chekatt dans son périple meurtrier.
Pendant un mois, Audrey Mondjehi devra répondre devant la cour d'assises spéciale à cette question : lorsqu'il met Chérif Chekatt en relation avec Christian Hoffmann, Frédéric, Stéphane et Albert Bodein pour lui fournir une arme, savait-il qu'elle devait servir à commettre un attentat ? “Il est toujours abasourdi par cette étiquette qu’on lui a collée. Comparaître dans un procès terroriste, ça signifie qu’il serait terroriste. Et ça, il ne peut pas l’admettre. Il ne peut pas accepter que les victimes puissent l’identifier en tant que terroriste", affirme son avocat.