Jacques Mathis est bipolaire. Pour aider son entourage à mieux le comprendre, il a couché sur le papier pendant des années ce qu'il ressentait, ce qu'il vivait. Aujourd'hui, ses textes sont mis en dessin dans une bande-dessinée. Son titre: "Psychotique". Il sort ce mercredi 3 avril 2019.
Que se passe-t-il dans la tête d'un bipolaire? Si la maladie peut faire peur, la question est légitime. Grâce à Jacques Mathis, on peut en savoir un peu plus sur cet univers de fantasmes, mêlé d'un sentiment de persécution et de toute puissance. Dans "Psychotique", une bande-dessinée qu'il co-signe avec Sylvain Dorange, ce Strasbourgeois raconte son quotidien fait de très hauts et de très bas.
"Mon premier pétage de plomb, j'avais 14 ans"
Il raconte ses vacances à Taizé avec ses parents et cette impression subite qu'on lui jetait un sort. Il ne comprenanit rien à ce qui se passait: excitation, agitation, une vision du réel totalement déformée et des parents désemparés. Un peu plus tard, jour de rentrée scolaire au collège, alors que tous les élèves recupèrent leurs ouvrages scolaires, il se lève subitement et sort de la classe.Je les regardais tous et je ne me sentais pas concerné
- Jacques Mathis, scénariste et écrivain -
Pendant des années, il erre entre médecin, homéopathe, exorciste, pédiatre. Jusqu'à ce stage de BAFA dans le Val de Villé, isolé de tout. Il a 26 ans et prend en charge l'écriture du spectacle de fin de stage. Il s'y investit beaucoup, beaucoup trop peut-être, travaille la nuit. Et là, il perd pied, délire, hurle. Le responsable du centre appelle les pompiers. Il quittera Villé, sanglé dans le camion, qui le conduit immédiatement à Brumath. Ce sera son premier séjour en hôpital psychiatrique. Il y en aura neuf autres jusqu'en 2007.
"On vous interne quand on vous considère comme dangereux"
Pas forcément dangereux pour les autres mais d'abord pour soi. A chaque hospitalisation, Jacques Mathis est en pleine phase maniaque: il est très excité, casse tout autour de lui, ne mange pratiquement plus, dort à peine deux heures par nuit, son corps ne suit plus. Les médicaments qu'on lui administre permettent de stopper la machine.On est assommé de médicaments, on vous bombarde de questions, on se croirait face à la Stasi et on a une seule envie : dormir
"L'écriture me sauve"
Sur les conseils d'une amie, il prend la plume, noircit des carnets pour raconter ce qu'il voit, ce qu'il sent, ce qu'il croit. L'idée était d'essayer de faire comprendre à son entourage ce qu'il vivait en tant que maniaco-dépressif. En 2015, il montre ses écrits à l'un de ses amis, Sylvain Dorange, un ancien élèves des Arts Décos de Strasbourg. Celui-ci lui propose immédiatement d'en faire une adaptation en bande-dessinée. Ce sera "Psychotique".Mes textes sont émotifs, déconstruits. C'est un peu de l'art brut. Ça peut déranger. "Psychotique" met une distance nécessaire avec mon personnage
"Psychotique, ça n'est pas psychopathe"
Difficile de parler de sa maladie, difficile d'assumer que l'on vit d'une pension d'invalidité, difficile aussi de construire une relation amoureuse. La maladie fait peur. Avec ce témoignage illustré, Jacques Mathis espère changer le regard porté sur ces bipolaires jugés si peu attachants.
Ça n'est pas parce qu'on est psychotique, qu'on est con, mou, dangereux et qu'il faut nous mettre sur la touche
Aujourd'hui, Jacques Mathis est stabilisé. Il prend des antipsychotiques quotidiennement et voit deux psychiatres (le premier, une fois par semaine, pour la thérapie par la parole, le second, une fois par mois, pour les médicaments). Sa vie, ce sont ses textes de théâtre, son journal de bord, ses courts-métrages auto-produits. Il voyage à travers ses lectures, des classiques notamment et se réjouit d'avoir une vie intérieure tellement riche.
Avec ce livre, j'assume enfin celui que je suis : c'est une page qui se tourne
Jacques Mathis et Sylvain Dorange seront en dédicace à la Librairie Canal BD à Strasbourg le samedi 27 avril à 15h. "Psychotique" est paru aux éditions de la Boîte à Bulles.