Recordman de France du lancer de javelot depuis le 17 mai, le Strasbourgeois Teura’itera’i Tupaia s'est qualifié pour les Jeux de Paris cet été. L'athlète de 24 ans d'origine tahitienne rêve de médaille, malgré les blessures et le manque de visibilité de son sport en France.
Il a dépoussiéré les tablettes du sport hexagonal, en battant le plus vieux record de l’athlétisme français. Le 17 mai 2024, alors qu'il en est à son deuxième essai, Teura’itera’i Tupaia lance son javelot à 86,11 m, lors du meeting international de Fontainebleau. Le pensionnaire du CREPS de Strasbourg pulvérise ainsi de près de quatre mètres la marque de référence établie à 82,56 m par Pascal Lefèvre en 1989.
Le voilà qualifié pour les Jeux olympiques de Paris, les minima étant fixés à 85,50m chez les hommes. "Je n’ai jamais ressenti un tel bonheur pour une compétition. Mes parents aussi ont eu les larmes aux yeux au téléphone. Ça a été un grand soulagement, surtout après toutes les difficultés que j’ai connues depuis deux ans", confie l’athlète de 24 ans et 102 kilos, né à Papeete, à Tahiti, dans le Pacifique. Animé par un feu sacré, il achève sa course d’élan ventre à terre, avant de rapidement prendre conscience de l’exploit réalisé et de laisser éclater sa joie.
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Cette marque, qui constitue la cinquième meilleure performance mondiale de l’année, ne relève pas d’une évidence. Le javelot français revient de loin. Aucun athlète tricolore n’était parvenu à se qualifier pour les Jeux depuis 2004 à Athènes… et un certain David Brisseault. "Ce sport souffre d’un déficit de popularité par rapport à d’autres disciplines de l’athlétisme. On n’a pas, comme d'autres pays, une culture du javelot ni de figures marquantes comme Jean Galfione ou Renaud Lavillenie en saut à la perche, qui ont été médaillés d’or", estime résume Jacques Danail, conseiller technique national et entraîneur.
Rien n’a été facile pour Teura qui a dû également surmonter des pépins physiques. Sacré champion de France en 2021, il essuie des blessures au mollet, au genou et à la cheville pendant une bonne partie de la saison 2022. Pour le Polynésien, qui a enfin retrouvé la plénitude de ses moyens, chaque jour est un combat, financièrement aussi. C'est le lot de nombre d'athlètes pratiquant des sports dits "mineurs".
La galère du financement de sa carrière
En quête de soutien pour lui permettre de poursuivre son rêve olympique, le jeune homme lance une cagnotte en ligne, fin 2023. Ce 27 mai, les dons avoisinent les 3 000 euros. "Cela m'a permis de financer un stage en Nouvelle-Zélande en début d'année. Ça m'aide aussi dans mon suivi médical, les séances de kiné, d'ostéothérapie ou de cryothérapie", détaille celui qui ne gagne pas d'argent grâce au javelot, malgré sa carrière au plus haut niveau.
J'avais un contrat avec la Fédération française d'athlétisme mais il s'est terminé en mars et n'a pas été renouvelé, [...] à quelques mois des Jeux, c'est assez incompréhensible
Teura’itera’i Tupaia, recordman de France du lancer de javelot
"Ce n'est vraiment pas simple. J'avais un contrat avec la Fédération française d'athlétisme mais il s'est terminé en mars et n'a pas été renouvelé. Mes blessures des années précédentes n'ont pas aidé c'est sûr mais à quelques mois des Jeux, c'est assez incompréhensible", estime-t-il, ajoutant qu'il est en train "de monter un dossier pour trouver des sponsors", notamment des entreprises.
Battre le record de France l'a fait (un peu) sortir de l'ombre, mais Teura n’a pas encore l'attention que son talent mérite. Avec l’autre tête de gondole du javelot, le champion de France 2023 Rémi Conroy (qui n'a pas encore son ticket pour Paris), il s’entraîne jusqu’à deux fois par jour au Centre de ressources, d'expertise et de performance sportive (CREPS), pépinière des talents alsaciens.
Le javelot n’est pas qu’une épreuve pour les gros bras. "C’est sûr qu’il faut un physique athlétique et mesurer au moins 1,80 m mais il faut aussi travailler la coordination et la vitesse d’exécution de chaque geste pour donner le maximum d’impulsion. C’est une discipline très technique", résume Jacques Danail, conseiller technique national et entraîneur.
Handball, décathlon... avant finalement le javelot
Pour mettre toutes les chances de leur côté, les deux compères licenciés à l’Entente Haute Alsace, qui regroupe plusieurs clubs haut-rhinois, ont mis leurs études en STAPS entre parenthèses en cette année olympique. Pari gagnant pour le Tahitien. Lui qui a grandi à 16 000 km de Strasbourg s’est tourné vers le javelot presque par hasard. "Parce qu’il n’y avait pas assez de jeunes pour former une équipe de handball", le sport pratiqué par ses parents et ses frères.
En Polynésie, c’est son oncle qui le prend sous son aile, avant que Teura ne se décide à partir en métropole en 2017. Il atterrit d’abord à Montpellier, où il continue de pratiquer à ses heures perdues le handball et le décathlon. Finalement, après un retour aux sources d'un an sur son île du Pacifique, il se tourne définitivement vers le javelot et intégre une filière de haut niveau plus structurée en Alsace à partir de 2019.
C’est sa maman qui a eu le dernier mot dans le choix de la destination. "Je suis venu à Strasbourg, c’était la ville où l’université était le plus proche du centre d’entraînement", sourit-il. Avoir la tête sur les épaules ne l’empêche pas de voir grand. À Tokyo, lors des derniers JO en 2021, ce jet à 86,11m lui aurait valu une médaille de bronze. Il espère faire au moins aussi bien, les 6 et 8 août prochains au Stade de France, lors des épreuves de javelot.