Strasbourg : Daniel Kern, une grande figure du monde de l'orgue, disparaît

Le facteur d'orgues Daniel Kern vient de mourir, à l'âge de soixante-neuf ans. Ses instruments sont joués au Japon, à Taïwan, en Russie, en Allemagne, en France. L'orgue qui résonne tous les dimanches en la cathédrale de Strasbourg a été reconstruit par sa manufacture Alfred Kern et fils, en 1981.

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Le facteur d'orgue Daniel Kern est décédé cette semaine à l'âge de 69 ans, laissant un grand vide dans le monde de l'orgue. Ses instruments et son savoir-faire étaient réputés dans le monde entier. Patrick Armand, président du groupement des facteurs d'orgues français témoigne : "C'est un grand choc, c'est un confrère qui s'en va, mais aussi un très grand savoir-faire. J'ai appris à connaître Daniel Kern quand j'ai repris l'entreprise Muhleisen à partir de 2008. J'étais étranger à leurs différends familiaux. (Ndlr : les familles Muhleisen et Kern sont deux grandes familles de facteurs d'orgues en Alsace, très liées, puis moins, puis désunies et même concurrentes, à lire dans la suite de l'article). Je trouvais dommage que deux grands ateliers s'ignorent et ne cherchent pas à s'épauler ou se compléter. Au départ, nous n'avions que des contacts de temps en temps, nous avons été concurrents plusieurs fois, (notamment pour la Philarmonie de Paris et Radio-France) mais sur les marchés en question, aucun facteur d'orgue français n'a été retenu. Quand son atelier a fermé en 2015, j'étais déjà président du groupement des facteurs d'orgues français. Je lui ai plusieurs fois proposé de nous rejoindre, mais il hésitait et me disait qu'il voulait encore réfléchir." 

 

"C'est un choc. On devait partir ensemble, ce lundi 19 août, pour Moscou" -Patrick Armand, facteur d'orgues à Eschau


"Il avait dû fermer sa société en 2015 par manque de commandes, mais comme ses orgues étaient réputées et installées dans de nombreux pays dans le monde, il a recrée une société à son nom et a continué à les entretenir et à les restaurer. En 2017, la ville de Moscou l'a sollicité pour construire un grand orgue pour une nouvelle salle de concert, parce qu'il avait construit celui du théâtre Mariinsky de Saint-Petersbourg, dont le chef Valery Gergiev leur avait fait l'éloge. Comme il n'avait plus de société pour le construire, il m'a demandé si la manufacture Muhleisen serait prête à relever ce défi en collaboration. Ce qui s'est fait et, il y a peu nous avons commencé à transférer le fruit de notre travail à Moscou. Ce lundi nous devions reprendre l'avion ensemble pour débuter l'harmonisation de cet orgue comportant 5872 tuyaux... Nous terminerons cet orgue à sa mémoire."
 


L'aventure de la famille des facteurs d'orgues Kern 

L’aventure professionnelle de la famille Kern a démarré dans l’atelier d’un célèbre facteur d’orgue de l’époque, Alexandre Roethinger. C'est là que le père de Daniel, Alfred Kern, a rencontré celui qui deviendra l'autre grande figure du monde de la facture d'orgues, Ernest Muhleisen. Muhleisen était un Allemand, venu s’installer en France dans les années 1925-26. Il a travaillé dans l'atelier Roethinger et lorsqu'il s'est mis à son propre compte, en 1941, il a demandé à Alfred Kern de venir le rejoindre. A partir de là, ils ont travaillé ensemble et ont, entre-autres, restauré l'orgue de Saint-Pierre-le-Jeune protestant, à Strasbourg.

Les deux grands facteurs d’orgues liés par un mariage

Les deux hommes deviennent même beaux-frères, puisque Jeanne Kern, la soeur d'Alfred, épouse Ernest Muhleisen. Une dizaine d'années plus tard, les chemins des deux hommes se séparent. Alfred Kern ouvre sa propre entreprise rue Jacob, à Cronenbourg, soit quelques centaines de mètres plus loin. Ils travaillent encore un peu ensemble par la suite. En 1955, ils réalisent ensemble la restauration de l'orgue Silbermann de Marmoutier. 

Daniel, le fils d'Alfred, naît en 1950. A l'âge de 27 ans, il reprend la direction de l'entreprise de son père, à l'atelier de la rue Jacob et ensemble ils la développent à l'internationale. Les orgues d'Alfred, puis de Daniel Kern, gagnent une grande notoriété en Allemagne et en France, puis dans le monde entier.

 


Une manufacture pionnière dans le retour aux sources

Dans les années soixante, le monde de l'orgue se tourne vers les nouveaux matériaux de fabrication, tels le caoutchouc, l’aluminium ou les mousses synthétiques. De leur côté, les Kern comprennent que l'instrument qu'est l'orgue nécessite des matériaux qui durent et résistent à l'épreuve du temps. Ils reviennent aux sources en matière de fabrication, avec des matériaux anciens et des mécaniques traditionnelles. D'où leur place de facteurs reconnus et appréciés sur la scène internationale. Mais en France, l'engouement n'est pas le même à leur égard. En 1980, le savoir-faire de l'entreprise de Daniel Kern est toujours sollicité pour restaurer l'orgue de la cathédrale de Strasbourg, dont le buffet et la tuyauterie sont signés Silbermann. En 2014, lorsqu'il faut à nouveau intervenir sur cet orgue, le vent a tourné. Daniel Kern n'est pas retenu pour le chantier, ce qui l'aurait beaucoup affecté. A partir de là, l'entreprise aurait eu de plus en plus de mal à décrocher des marchés sur le sol français, mais l'atelier Kern a construit et restauré des orgues jusqu'à la fermeture de la société.

Il faut dire que le monde de l'orgue avait changé. Jusque dans les années soixante, soixante-dix, c'était les organistes, de grands personnages comme le célèbre Albert Schweitzer, qui donnaient leur avis quant aux facteurs d'orgue qu'ils voulaient voir travailler pour eux. Puis, au fur et à mesure, ce rôle est revenu à des experts, des techniciens conseils. Leur approche et leurs critères étaient différents. 


Un caractère trempé, qui n'a apparemment pas fait l'unanimité

Très admiré d'abord, Daniel Kern n'a peut-être pas su, ou pas souhaité, conjuguer avec la relève, plus technique, du petit monde de l'orgue. Ce qui l'a de toute évidence desservi sur le marché français, puisqu'en 2015, il doit demander la liquidation de son entreprise...faute de se voir confier des contrats et faute d'être payé à temps par les collectivités locales ou l'Etat, pour lesquelles il a travaillé. La mort dans l'âme, il doit licencier une quinzaine d'employés avec leur savoir-faire. Ses orgues continuent cependant d'être très prisées à l'étranger, et lui continue après 2015 à les entretenir et à les restaurer, ce pourquoi il a créé une nouvelle entreprise à son nom. Ses orgues existent toujours et sont réputés aujourd'hui dans le monde entier, au Japon, à Taïwan, en Russie, en Allemagne et en France aussi. 
 

 

 

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