Strasbourg: l'explosion du silo à grains du Port du Rhin aurait-elle pu être évitée?

Alain Bucher est Mulhousien, expert en risque explosif. Il revient sur l'explosion du silo à grains du mercredi 6 juin au port du Rhin de Strasbourg. Selon lui, la catastrophe aurait pû être évitée, moyennnant des protections adaptées.

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Alain Bucher est l'un des rares experts en France en matière de risque explosif et cogérant de l'entreprise Alsatec. D'expérience, il précise en préambule que face à une explosion, il faut rester humble : "la seule chose que l'on sait, c'est ce que l'on a expérimenté".

D'abord, ce qui le frappe dans l'explosion qui s'est produite mercredi matin à 9h20 sur le site du Comptoir Agricole, c'est la violence inouïe de la déflagration. L'explosion est montée jusqu'à 200 mètres de haut, projetant des plaques de tôles d'amiante de 150 à 200 kilogrammes, transformées en véritables missiles. Selon lui, la force des projectiles devaient avoisiner les 900 mètres par seconde, la vitesse d'une balle de fusil pour la chasse aux sangliers...


Ensuite, il y a eu, semble-t-il, une double explosion. C'est en tous les cas ce que rapportent les témoins de la catastrophe. Son analyse est la suivante:  une première explosion, de faible intensité, s'est produite dans une des cellules du silo à grains. Elle a mis en suspension des poussières dans le bâtiment et c'est cela qui a provoqué la deuxième explosion, d'une intensité phénomènale.


La règle du triangle de feu

Pour qu'une explosion puisse se produire, il faut réunir trois paramètres:
  • le carburant : essence, gaz, poussières de céréales
  • le comburant: l'oxygène de l'air
  • une source d'ignition: l'étincelle d'un briquet, une cigarette, un poste de soudure, etc...
Dans le cas de ce qui s'est passé au Port du Rhin, l'explosion aurait lieu alors qu'une opération de maintenance était en cours. Cet expert reconnaît que des évènements pareils peuvent arriver dans ces moments-là : "on travaille dans un mode de fonctionnement dégradé, inhabituel. Cela peut introduire des risques supplémentaires et générer parfois des erreurs humaines".

Le drame pouvait-il être évité?


Depuis la catastophe de Blaye survenue en août 1997 au cours de laquelle 11 personnes avaient perdu la vie, la réglementation a évolué en matière de prise en compte des risques. C'est la réglementation ATEX, comme Atmosphère Explosive. L'objectif était de renforcer la protection des travailleurs susceptibles d’être exposés à une atmosphère explosive et de compléter les dispositions déjà existantes en matière de prévention des incendies et d’évacuation.

Réglementation ATEX aux silos de stockage

Elle rappelle que chaque responsable d'établissement doit procéder à un classement en zones des lieux de travail à risque d'explosion:

  • Zone 20 : emplacement où une ATEX sous forme de nuage de poussières
    combustibles est présente dans l’air en permanence ou pendant de longues périodes
    ou fréquemment.
  • Zone 21 : emplacement où une ATEX sous forme de nuage de poussières
    combustibles est susceptible de se présenter occasionnellement en fonctionnement
    normal
  • Zone 22 : emplacement où une ATEX sous forme de nuage de poussières
    combustibles n’est pas susceptible de se présenter en fonctionnement normal ou, si
    elle se présente néanmoins, n’est que de courte durée. Les couches, dépôts et tas de
    poussières combustibles doivent être traités comme toute autre source susceptible
    de former une ATEX.


Les moyens de protection sont ensuite adaptés à chaque zonage. Un des moyens de protection consiste à poser des évents d'explosion, des disques de métal qui s'ouvrent comme des pétales à un certain niveau de pression. L'explosion sort par cet évent, sans autre projection. Le problème dans les silos, c'est que la plupart sont en béton, une construction très légère qui résiste peu à la pression. Selon l'expert, "pour que l'évent puisse être efficace, il aurait fallu changer tous les silos de France".

Se rendant bien compte au bout de 10 ans que cette directive n'était pas appliquée, le ministère de l'Environnement revoit sa copie et allège le dispositif, en acceptant notamment les moyens empiriques. On peut par exemple affaiblir la structure des toits des silos. En cas d'explosion, la structure du fût reste debout mais on retrouve des projectiles sur des centaines de mètres. C'est exactement ce qui s'est passé ce mercredi matin au Port du Rhin à Strasbourg. Le toit en amiante du silo a fait office d'évent à explosion.

La France, mauvais élève dans la culture du risque


Les pays ne sont pas tous égaux face à un risque industriel. L'Allemagne et la Suisse, par exemple, se protègent beaucoup mieux. "Il y a chez eux une culture de la multiplicité des moyens pour se protéger du risque", précise Alain Bucher, "en France, ça n'est pas le cas". Et d'ajouter: "on me dit souvent: vous savez, cela fait quarante ans que cela marche bien, pourquoi cela ne durerait pas....!". Tout est dit.

Autre élément, certains secteurs d'activité se protègent (et nous aussi par la même occasion!) beaucoup mieux que d'autres. Les pétroliers, les usines pharmaceutiques, cosmétiques ou encore agro-alimentaires ont une culture du risque beaucoup plus sérieuse et poussée que d'autres. Dans ce domaine, les céréaliers sont beaucoup moins bien préparés à affronter un risque industriel. Une question de culture, d'habitude...de négligence, peut-être?

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