Le campement du quartier de la Montagne Verte, à Strasbourg, a été évacué dans le calme ce mardi 14 septembre dès 6h30 du matin, à l'initiative de la préfecture. Mais l'Eurométropole n'avait pas été informée de l'opération.
Vers 8 heures ce mardi 14 septembre, le campement de la Montagne Verte est déjà vide. Les 37 tentes, bien en vue, à quelques mètres de l'arrêt de tram Montagne Verte, sont toujours en place, parfois avec des affaires encore à l'intérieur. L'accès au terrain est interdit aux associations comme à la presse. Seuls des policiers y restent en faction, afin d'éviter les vols. Et une douzaine de camionnettes de CRS restent garées en bordure du terrain.
La centaine de personnes, dont une majorité de familles et une trentaine d'enfants souvent en bas âge, a été évacuée à l'aube. Il s'agit principalement de ressortissants géorgiens, moldaves, yéménites, ukrainiens et également afghans. Près de deux tiers d'entre eux sont demandeurs d'asile, d'autres sont déboutés, ou sous protection subsidiaire. Tous sont montés dans des bus, accompagnés d'interprètes. Ils ont été conduits au centre Epide de Strasbourg (Etablissement pour l'insertion dans l'emploi). Là, chaque situation individuelle sera examinée, et divers types de relogement proposés.
L'opération a été menée par une cinquantaine de policiers, "sans aucun incident. Ça s'est hyper bien passé. Ce démantèlement, on l'attendait, on est très contents" affirme Sabine Carriou, membre de l'association Les petites roues, qui suivait de près les personnes du campement. Elle-même est venue sur les lieux dès 6h45. Son association se doutait que les choses allaient bouger, puisque "hier, la police - de l'air et des frontières (PAF) - a fait un énième recensement."
Pas de concertation avec l'Eurométropole
Mais, fait nouveau comparé aux évacuations précédentes du même type : pour la première fois, la préfecture a agi seule, sans concertation préalable avec l'Eurométropole. Marie-Dominique Dreyssé, conseillère municipale de Strasbourg et présidente du CCAS (centre communal d'action sociale) est arrivée sur place vers 7 heures. Grâce à des riverains, qui l'ont alertée. "Je prends acte de l'action de l'Etat" dit-elle sobrement. La Ville venait d'installer un point d'eau et des toilettes sèches sur le site, il y a moins d'une semaine.
Derrière l'ambiance paisible du démantèlement, il reste pourtant quelques grosses inquiétudes. En effet, certaines personnes qui logeaient sur le site, mais non présentes à l'aube, risquent de ne pas être prises en charge. Deux hommes, arrivés vers 8 heures, puis une jeune maman avec deux petits enfants, puis encore une autre famille, sont sommés de rester en-dehors du périmètre du campement, sans savoir quel sort les attend.
Nicolas Fuchs, coordinateur régional de Médecins du Monde, tente de les rassurer : "Les personnes qui sont sur la liste de la préfecture, même si elles n'étaient pas là ce matin, peut-être qu'on pourra aussi les faire héberger." Mais dans l'immédiat, il semble y avoir des différences entre la liste établie par la PAF et celle, apparemment plus précise, de la mairie.
Sabine Carriou aussi a eu quelques grosses frayeurs pour un jeune Kosovar polyhandicapé et sa sœur. Au vu de leurs soucis de santé, ils avaient beaucoup de mal à dormir sous tente. L'association Les petites roues leur avait donc payé quelques nuits d'hôtel depuis dimanche 12 septembre. Craignant que la préfecture refuse de les prendre en charge, puisqu'ils n'étaient pas présents sur le campement, la jeune femme a "appelé l'hôtel, pour leur dire de venir au plus vite." Finalement, l'affaire s'est réglée grâce à des pompiers, venus encadrer l'évacuation, qui se sont montrés "très solidaires" et sont allés les chercher.
En revanche, Sabine Carriou ignore pour l'instant quel sort les services de l'Etat réserveront à une jeune femme, "enceinte de six mois", et pas encore revenue au campement. Elle avait également été mise à l'abri par l'association pour quelques nuits, car suite à une grave infection contractée à force de dormir sous tente, elle doit rester allongée au risque de perdre son bébé. "Mais finalement, en les hébergeant, on ne leur rend pas forcément service" soupire Sabine Carriou.
A la demande de la préfecture, c'est le CCAS de la Ville de Strasbourg qui va devoir démonter les tentes, nettoyer le campement et regrouper les dernières affaires restantes afin que les familles puissent venir les récupérer dans un lieu à déterminer. "Nous accueillons positivement la promesse d'une mise à l'abri des personnes" a réagi la municipalité ce mardi après-midi dans un communiqué. "La prise en charge des personnes vulnérables doit rester une priorité (...) Nous demandons une mise à l’abri durable, et nos services se tiennent prêt pour faciliter l’accès des familles à leurs effets personnels laissés sur le campement."
Mais la Ville rappelle également que dans ce domaine de la politique d'hébergement, notamment d'urgence, "la coopération entre tous les acteurs est plus que jamais nécessaire." Et demande que "les acteurs locaux et les collectivités qui œuvrent chaque jour dans ce domaine (...) y soient étroitement associés."
Des interrogations pour la suite
Ce démantèlement est le premier de l'année à Strasbourg. En effet, depuis la crise sanitaire et des mises à l'abri plus systématiques, aucun campement de cette envergure ne s'était reconstitué dans la capitale alsacienne. Mais progressivement, depuis fin juillet, les premières tentes s'étaient réimplantées. Et il y en a d'autres, ailleurs, plus isolées et discrètes, dissimulées un peu partout.
"On revient au système normal" résume Nicolas Fuchs. "Mais il faut comprendre la dynamique qu'il y a derrière." Le coordinateur régional de Médecins du Monde s'interroge sur les différences "entre l'accueil des Afghans, et celui d'autres demandeurs d'asile : On a eu le bon et le mauvais migrant. Maintenant, on a le bon et le mauvais réfugié" estime-t-il.
Et il se demande "comment demain, la Ville, les associations et l'Etat peuvent se préparer à ce genre d'urgences." Car sur le campement de la Montagne Verte, comme ailleurs, il a fallu de longues semaines, avant que "les besoins fondamentaux, les problèmes médicaux et les conditions de vie indignes" de ces femmes, ces hommes et ces enfants soient réellement pris en compte.