Les habitants du quartier strasbourgeois de l'Elsau se plaignent de la prolifération, depuis le début de l'année, des rats dans leurs rues et jardins. En cause ? Des travaux entrepris aux abords de l'Ill qui auraient délogé les rongeurs ainsi qu'un manque plus général de considération à leur égard.
Corinne Thomas habite un joli pavillon de trois étages, rue Raphaël, au bord de l'Ill à Strasbourg. Une maison avec jardin dont elle n'a pas profité de l'année. Des rats y ont élu résidence et la vieille dame fragile, malade, n'ose plus s'y rendre. "Un cauchemar."
Pas de réponse
Corinne n'est pas la seule habitante de l'Elsau concernée. Le phénomène semble généralisé dans le quartier depuis des travaux entrepris en février 2024 consistant à refaire les talus bordant l'Ill et ayant ainsi délogé les rongeurs de leur habitat naturel. Les témoignages se multiplient en ce sens : les rats sont partout, dans les parcs, les rues, les poubelles et les jardins individuels. "À ce stade, oui, on peut parler d'invasion" confirme Gérard Thomalla, trésorier de l'association Arel, qui représente les riverains de l'Elsau. "Beaucoup d'habitants sont venus me trouver pour en parler, je les encourage alors à faire des photos et à les envoyer à l'Eurométropole. J'ai contacté la ville moi aussi, de mon côté, mais depuis des mois rien ne bouge. Que voulez-vous faire ? Nous ne sommes pas des chasseurs de rats professionnels, nous, on est totalement impuissants, on ne peut que faire remonter les problèmes."
La taxe foncière augmente et en retour, qu'est-ce que nous avons ? Pratiquement plus de poste, plus de distributeur automatique, mais des rats
Corinne Thomas, habitante de l'Elsau
Corinne, elle, a pris les devants et fait appel à une société spécialisée. 250 euros les cinq pièges empoisonnés, posés dans son jardin. "J'ai deux cancers et je n'ai pas envie d'attraper une saleté à cause des rats. Je n'ose plus sortir mes chiens dans le jardin, mes petits-enfants n'y vont plus jouer. Il y en a partout, partout, c'est une catastrophe. La mairie ne fait rien alors, il faut bien faire quelque chose. J'ai payé de ma poche. La taxe foncière augmente et en retour, qu'est-ce que nous avons ? Pratiquement plus de poste, plus de distributeur automatique, mais des rats."
Corinne a écrit de nombreux courriers, restés sans réponse. "Ce n'est pas que chez moi, voyez. Mes voisins ont trouvé des rats morts dans leurs poubelles. Sur les aires de pique-nique, en l'absence de poubelle, les gens laissent leurs déchets par terre, et les rats affluent. La ville m'a répondu qu'ils avaient oublié d'en installer, non, mais vous imaginez ? Fin juin, on a fait une visite avec l'adjoint de quartier, il ne nous croyait pas jusqu'à ce qu'il en voie. Ceci dit, il ne s'est rien passé, on nous a dit, ce sont les vacances, patati, patata."
Santé publique
Alors, la vieille dame a écrit aux médias. Pour être entendue. "On ne sait plus quoi faire, on aimerait juste que l'Eurométropole règle ce problème. Un problème de santé publique."
Outre les frayeurs ou le dégoût qu'ils peuvent nous inspirer, les rongeurs peuvent être, en effet, porteurs de germes. L'institut Pasteur alerte ainsi sur la leptospirose et indique que cette maladie est transmise par l'urine des rongeurs. "Chez l’homme, la maladie est souvent bénigne, mais peut conduire à l’insuffisance rénale, voire à la mort dans 5 à 20% des cas. Chez l’homme, la bactérie pénètre principalement par la peau lésée ou les muqueuses."
🐀 La leptospirose est une maladie peu connue, elle est transmise par les rats et autres rongeurs.
— France Bleu (@francebleu) April 18, 2024
Le Dr Kierzek @gkierzek nous aide à adopter les bons gestes quand on jardine.#santé #rat #leptospirose #maladie pic.twitter.com/cZi02f0DqB
Pierre Toussaint, gérant de Noxiou, entreprise spécialisée dans la dératisation, explique. "Au départ, nous avions ce souci uniquement dans les campagnes, depuis quelques années, les rats débarquent dans les villes. Strasbourg étant une grande ville, elle est évidemment touchée. Les rats sont très opportunistes. Ils vont là où ils trouvent à manger. De la chaleur, une mauvaise gestion des déchets : tout cela participe à leur prolifération. Et là, ça peut être dangereux si leur nombre est élevé."
Stratégies
Noxius organise pour les communes, comme Forbach (57), des campagnes bi-annuelles de dératisation préventive. " Si besoin, nous dératisons la totalité de la commune en installant des blocs de mort-aux-rats professionnelle dans les égouts, ainsi que des dératisations ponctuelles sur des sites précis, infestés. Ça marche bien, ça ne vaut pas dire qu'il n'y en a plus du tout, mais il y en a moins."
Strasbourg n'a pas choisi cette option, lui préférant la "lutte intégrée" afin de limiter les actions létales classiques de lutte contre le rat.
En 2020, pour faire face à cette prolifération, à l'Elsau déjà aussi, la ville avait mis en place une "mission d’information et d’évaluation (MIE) pour la gestion du rat en ville et des animaux liminaires dans l’habitat" pour tenter de trouver "des solutions adaptées, efficaces et pérennes, sans négliger la cause animale".
Un plan d'action avait été présenté six mois plus tard : nettoyage plus régulier des secteurs touchés, distribution de fiches techniques, spécifiques à chaque situation, aménagements des équipements publics avec l'installation de nouvelles poubelles enterrées. Cette lutte devait également passer par une campagne de sensibilisation de la population pour éviter les dépôts sauvages de déchets.
Trois ans plus tard, le président de la MIE, Benjamin Soulet, fait le point avec nous. "Nous avons ciblé effectivement cette lutte intégrée dans les quartiers comme l'Elsau ou le Neuhof, qui, en 2020, étaient particulièrement impactés par ces infestations. On a voulu en traiter les causes plus que les conséquences, les normes sanitaires, la pose des boîtes d'appât, étant de plus en plus encadrées. D'ici à 2028, tout le quartier de l'Elsau sera concerné par les conteneurs enterrés, inaccessibles aux rats. Les collectes d'ordures ont par ailleurs été revues, à notre demande, par les bailleurs sociaux, l'accent étant mis sur les lundis, lendemain de week-end, porteur de déchets La sensibilisation a, elle aussi, porté ses fruits, sur le nourrissage sauvage par exemple qui ne profite pas toujours aux oiseaux, mais aussi aux rats. Ceci dit, quand c'est nécessaire, des campagnes de dératisations chimiques ou mécaniques sont mises en place."
Des diagnostics de terrain sont toujours en cours pour apporter des actions correctives. "Je n'étais pas au courant pour le secteur pavillonnaire de l'Elsau, mais je vais m'y pencher. Les travaux, c'est certain, provoquent ce genre de choses, ceci dit, il n'y a peut-être pas suffisamment de poubelles dans les parcs, c'est un travail d'ajustement perpétuel. Le rythme de ramassage est peut-être aussi mal adapté." Corinne, souhaitons-lui, pourrait bien être, cette fois, entendue.