Le pass sanitaire est obligatoire pour les personnels au contact du public depuis ce lundi 30 août, soit 1,8 million de personnes en France. A Strasbourg, la mesure est bien appliquée dans les restaurants. Mais certains en gardent un goût amer.
Après le public, c'est au tour des professionnels d'être soumis à la loi du pass sanitaire. Comme l'avait annoncé Emmanuel Macron lors de son allocution du 12 juillet dernier, les 1,8 million d'employés de restaurants, bars, lieux de culture et de loisirs, compagnies de transport pour les longs trajets, et certains centres commerciaux en France doivent désormais présenter une attestation de schéma vaccinal complet ou un test négatif très récent à leur employeur. Sous peine de voir leur contrat suspendu, et leur salaire avec, comme le prévoit la loi du 5 août sur l'extension du pass sanitaire.
En Alsace, s'il est difficile de se prononcer, le directeur de l'Umih du Bas-Rhin Christophe Weber se veut optimiste, et ne remonte ce lundi soir "aucun cas de personnes refusant de travailler", bien qu'il y ait "des irréductibles" "qui ne vont pas se faire vacciner" et passeront régulièrement par la case test. "On a un gros pourcentage de personnes vaccinées parce qu'on a été prévenus à temps, il y a six semaines on pensait que ce serait plus compliqué", assure-t-il. Il reste tout de même prudent en ce lundi, jour de fermeture pour de nombreux établissements, et se prépare à de potentielles remontées mardi ou mercredi.
Alors, à l'heure du service ce lundi, les restaurants strasbourgeois affichaient des équipes presque au complet, et les réfractaires constituent bien plus une exception que la règle. Parmi tous ces salariés vaccinés, les motivations varient, des convaincus de la première heure aux acculés par les annonces présidentielles.
Ceux qui sont convaincus
Derrière le comptoir du Trolley Bus, bar de la rue Sainte-Barbe à Strasbourg, Sylvain Dassy râle contre le pass sanitaire entre deux pintes à remplir : "C'est une contrainte technique en plus, et ça fait mal au cœur de refuser une petite mamie parce qu'elle a oublié son portable." Au-delà de ça, le concept même du pass, "on y est plutôt favorables dans la profession, parce qu'on subit le confinement".
Pourtant, si lui-même est vacciné, ce n'est pas pour échapper aux restrictions, mais bien par conviction. "J'avais déjà les deux doses avant l'annonce du pass sanitaire" le 12 juillet, assène-t-il. "On a la chance d'avoir les vaccins, il faut en profiter, c'est une évidence."
Responsable de salle d'un restaurant situé près de la rue des Grandes Arcades, Alex est aussi farouchement pro-vaccin. Pourquoi alors avoir attendu les annonces du président pour se vacciner ? "Une question de planning, je n'avais pas eu le temps parce que je ne connaissais pas mon emploi du temps." Sa volonté de se faire vacciner est intimement liée à son sens de la responsabilité : "Si j'avais eu le Covid, il y aurait forcément eu des cas contacts dans l'équipe. Et il faut protéger l'établissement", éviter à tout prix la fermeture. Un défi auquel la vaccination permet de répondre.
A La Corde à linge, restaurant de la Petite France, ce sont les cuisiniers qui ont mené la danse au sein de la quarantaine de salariés de l'établissement. "En cuisine, quasiment tout le monde était vacciné avant" l'allocution du 12 juillet d'Emmanuel Macron, se souvient la responsable de salle Wassila Tauzin.
Ceux que le pass a motivés
Et les autres alors ? Comme le montrent les chiffres des prises de rendez-vous juste après l'allocution, le discours présidentiel les a motivés, partout en France et dans tous les secteurs et tranches de la population. Ainsi, à La Corde à linge, tout le monde est vacciné, à part "une personne réfractaire qui va faire des tests". Pareil dans le restaurant d'Alex, où "tout le monde a pris rendez-vous quasiment en même temps" après le 12 juillet. Sur la quinzaine de salariés de l'établissement, quelques-uns n'ont encore qu'une dose parce qu'"étrangers et ils ne savaient pas", mais aucun résistant.
Même situation dans un petit restaurant de la Grand'Rue, où les cinq membres de l'équipes ont "tous regardé Doctolib ensemble pour prendre rendez-vous dès le lendemain".
Au Cocolobo, pour inciter ses salariés à se préparer à l'arrivée du pass sanitaire, le gérant (et président délégué à la restauration et aux débits de boisson de l'Umih 67) Jacques Chomentowski a pu compter sur un allié précieux : le vaccinodrome, situé juste en face, dans l'Hôtel du département. "Les pompiers venaient chercher nos clients, donc ça encourageait aussi les salariés, et je les laissais se faire vacciner sur leur temps de travail." Bilan : 100% de vaccinés au sein de son équipe.
Car, pour Sylvain Dassy, salarié touche-à-tout au Trolley Bus, ceux qui esquivaient la vaccination avant les annonces agissaient (ou plutôt n'agissaient pas) "plus par laxisme que par conviction, en se disant : "Je me ferai vacciner plus tard.""
Ceux qui y vont à reculons
Et si la majorité des cas semble concorder avec ce portrait-robot, d'autres récents vaccinés gardent un goût très amer de la situation. Et pour en trouver, il suffit de traverser la rue Sainte-Barbe, et de franchir la porte de Tzatzi, juste en face du Trolley Bus. Serveuse, Gizem Uzunkaya est bien vaccinée, mais témoigne d'un engouement plus que limité pour le vaccin au sein de l'équipe du restaurant. "On était beaucoup à ne pas le vouloir, mais on l'a fait quand même parce que c'était pratiquement imposé par les annonces."
Elle-même, plus que réticente, a "tout envisagé", mais affirme avoir eu "trop peu de temps pour me réorienter, et je ne savais pas en quoi ni où aller". A un moment, elle pense même partir à l'étranger. "Mais en Europe, ça sera probablement pareil partout."
A La Corde à linge, Vincent Chou, serveur de 26 ans, fait partie de cette équipe jeune qui a décidé de se faire vacciner. Mais il a tout de même attendu une semaine après les annonces d'Emmanuel Macron pour sauter le pas et prendre un rendez-vous. Une semaine à douter, entouré d'informations contradictoires. "C'était nouveau, on parlait d'expérimentation, on parlait plus des risques qu'autre chose, plus du mal que du bien", se souvient-il.
Alors bien plus qu'un encouragement, le pass sanitaire a été pour lui "une obligation sans être une obligation" :
Il y avait trop de restrictions, ne plus pouvoir aller au cinéma avec les copains par exemple. Mais le principal argument, c'était quand même le travail et la suspension de salaire.
Aujourd'hui, pas vraiment rassuré par les avis de la communauté scientifique, il préfère plutôt "ne pas y penser, c'est fait c'est fait".
Et après ?
Finalement, comme l'explique l'Umih, la situation pour les restaurateurs semble, ce lundi, moins difficile qu'anticipé. Reste une problématique, à en croire Jacques Chomentowski : la fin du remboursement des tests PCR et antigéniques par l'Assurance maladie, promise pour la mi-octobre. Une contrainte économique pour les salariés anti-vaccination, qui pourrait entraîner une vague (bien que limitée, à en croire la part de salariés vaccinés) de suspensions de contrats face à des refus de présenter un pass. Rendez-vous dans un mois et demi pour la suite du feuilleton du pass sanitaire.