Strasbourg. Prof de sport à la prison de l’Elsau depuis 30 ans, "entre les détenus et moi, pas de rapport de force"

Christine Loehlé est professeure de sport à la prison de l’Elsau de Strasbourg depuis 30 ans. Dans Ballon prisonnier paru aux éditions de l’Harmattan, elle raconte ses rencontres les plus marquantes avec les détenus.

Elle rêvait d’être professeure d’éducation physique et sportive pour "ne pas être enfermée entre quatre murs". Christine Loehlé vient de passer 30 ans à enseigner le sport en milieu carcéral, à la maison d’arrêt de l’Elsau très précisément.

Elle a connu six chefs d’établissement et de nombreux directeurs-adjoints, des dizaines de surveillants, des centaines de détenus, souvent les mêmes, car le taux de récidive est très important.

Par leurs parcours, leurs histoires, leurs angoisses ou leurs colères, ces hommes et ces femmes l’ont marquée. Elle le raconte dans un ouvrage intitulé Ballon prisonnier paru en février 2022 aux éditions de l’Harmattan. 

Une petite annonce pour aller en prison

"Recherche un prof de sport en milieu carcéral" : c’est grâce à cette petite annonce repérée, alors qu’elle enseigne le sport dans un lycée, que Christine Loehlé met le pied en prison pour la première fois. Elle a 28 ans. Le début d’une longue histoire où toute la difficulté se situe sur une ligne de crête : "Etre distinct sans être distant".

"L’espace de sport est le lieu d’évasion de la prison : avec la bibliothèque, c’est le lieu préféré des détenus. Il permet un moment de bien-être et d’oubli qui prend fin dès qu’ils retournent dans les coursives à la fin de la séance. Pour les détenues femmes, c’est plus un moment où elles aiment discuter avec leurs codétenues. Pour les gars, c’est un moment où ils peuvent acquérir un statut : le statut de sportif est très respecté. Avec les hommes, une séance de sport ressemble à une séance d’EPS classique"

En tête des activités plébiscitées : le foot. "Pas étonnant, c’est à peu près la seule que l’on voit à la télé!", s'agace Christine Loehlé, "Les détenus commentent les matchs. C’est aussi une manière pour eux d’affirmer leur appartenance, leur identité". Parmi les grands moments, Christine Loehlé se souvient de la venue en juillet 2009 de Lilian Thuram, l’efficace défenseur de l’ancienne équipe de France 98.

Musclés et tatoués

La professeure de sport rappelle en préambule "qu'il y a 30 ans, le tatouage était surtout réservé aux voyous, aux marins et aux détenus". Aux premières loges pour observer ces hommes en short, Christine Loehlé est fascinée par les tatouages.  

Le plus émouvant, elle s’en souvient très bien : une fenêtre avec quatre barreaux et une inscription Je ne suis pas un mauvais garçon. Autre signe marquant : la larme. Se faire une larme était à la mode dans les années 60. Si la goutte est vide, cela signifie qu’un ami ou une personne proche a été tuée. Si la goutte est remplie d‘encre, cela signifie que le porteur du tatouage a vengé le crime en en commettant un lui aussi. La larme peut signifier aussi une longue peine de prison et la tristesse associée.

"Dans les années 90, le tatouage était mal vu et je les ai vus se détatouer avec des moyens rudimentaires, ce qui était d’ailleurs totalement interdit".

Renvoyée dans les buts

"J’ai beaucoup appris sur les inégalités criantes, effarantes. Quand les détenus me font part de leur itinéraire personnel, j’en suis toujours effondrée. Effondrée de savoir que beaucoup ont été frappés au sein de leurs familles et rejetés par l’école. Le rejet de l’école est d'ailleurs assez systématique. Si on plaque une carte des détenus et une carte de l’échec scolaire, c’est la même". L’enseignante qu’elle est en est bouleversée : "Il m’arrive même de remettre en question mon institution. C’est vrai que c’est difficile de gérer ces gamins rebelles, absents, mais comment faire pour qu’ils aient plaisir à apprendre ?"

Femme et sportive, la meilleure arme de défense

Dans son livre, elle avoue n’avoir eu peur que trois fois, et surtout après coup. Christine Loehlé en est consciente : les rapports avec le professeur de sport ne sont pas les mêmes qu’avec les surveillants. "Déjà, je suis en survêtement, donc il n’y pas de séduction. Ils ne jouent pas le rapport de force avec moi. Une sensibilité féminine permet aussi de percevoir les tensions. Il y a des signes. On voit quand les corps sont tendus. En général, j’arrive à calmer le jeu. Parfois, rappeler une règle peut se faire juste en souriant et ça marche". Bienveillance et fermeté : voilà pour sa recette.

Des rencontres hors les murs

L'enseignante croise parfois d'anciens détenus en ville : "En général ce sont des rencontres rapides et chaleureuses. On retrace les parcours ou les taules qu’ils ont faits, on se donne des nouvelles mais ça s’arrête là". Elle a toujours pris soin de mettre la distance nécessaire.

Son livre Ballon prisonnier est sorti en février 2022. Elle envisage de le déposer à la bibliothèque, salle voisine de la salle de sport et autre lieu d'évasion. Curieuse d’avoir leurs retours, Christine Loehlé entend continuer à faire du sport avec les détenus, jusqu’en juin 2023, date de la libération de ses obligations professionnelles.

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