Dans le quartier de l'Elsau, comment les habitants ont-ils vécu les deux confinements ? Ce quartier a peu de commerces et de services publics, pas de cafés non plus, et il a été moins soutenu par l'ancienne municipalité que le Neuhof par exemple. Nous avons voulu donner la parole à ses habitants.
Mercredi matin, c'est jour de marché rue Watteau, dans le quartier de l'Elsau à Strasbourg. Ici, le confinement change beaucoup de choses : "d'habitude, vous avez des étals des deux côtés de la rue, et jusqu'au fond de la rue, mais comme ne sont autorisés que les étals alimentaires... forcément c'est plus petit", explique Bayram Sebic, salarié du magasin Cebalim.
Le quartier devrait avoir d'ici trois ans de nouveaux commerces, plus de services publics, selon Hülliya Turan, la référente en charge du quartier. Pour l'instant, les deux confinements successifs n'ont pas amélioré la vie de quartier.
Ci-dessous une carte du quartier, avec un magasin ouvert (en vert), le centre socio-culturel et la médiathèque (ouverture limitée, en orange), et en rouge les terrains de tennis fermés :
"Les gens n'ont plus d'argent, on le sent"
"Lors du premier confinement, le chiffre d'affaires a beaucoup augmenté pour le magasin, les gens avaient de l'argent en stock, et puis la frontière était fermée", constate-t-il. Les habitants font parfois leurs courses à Kehl, de l'autre côté du Rhin. "Par contre, le deuxième confinement, c'est l'inverse, c'est mort, les gens n'ont plus d'argent, on le sent".Un homme s'approche du cageot de bananes pour lire l'écriteau "0,39 euro le kilo", la deuxième ligne est cachée par les fruits, Bayram Sebic lui lit le reste : "trois kilos pour un euro". L'homme acquiesce et s'en va, sans rien acheter. "D'habitude, si j'annonce trois kilos pour un euro, les gens repartent directement avec un carton. Vous avez vu, là il a hésité. Et il est midi, les bananes ne partiront plus." Le salarié est inquiet pour la suite. "D'habitude, il y a trois personnes en caisse un jour de marché, là j'ai une personne qui ne fait rien. Et j'essaie de motiver le stagiaire à faire quelque chose. Il n'y a pas encore eu de licenciement, mais ça va venir. L'avenir est obscur", avance-t-il.
"Les cours en virtuel, ça allait pour moi"
Hanifé passe devant l'étal de fruits et légumes, un petit sachet à la main, ses neveux à côté d'elle. La lycéenne de 17 ans dit ne pas souffrir du confinement. "L'an dernier, j'ai fait tous les cours en virtuel, et ça allait pour moi. Mais j'ai des amies qui ont été très stressées par ça, elles n'arrivaient pas à travailler correctement.""A la maison ça va, ma mère et mon frère ont continué de travailler, elle est paysagiste et lui maçon. Seuls mes petits neveux s'ennuyaient. Et le deuxième confinement, on ne le voit pas passer, rien ne change pour nous." Cette année, les cours à distances continuent, elle est en terminale ST2S (sciences et technologies de la santé et du social), "tout va bien", assure-t-elle.
"On a des écrans, alors on a joué beaucoup"
En bas des tours, deux copains sont passés en 6e cette année, "au collège", précise Samir. "Le confinement, c'était facile les premiers jours, on s'est dit "youpi, plus d'école", et puis au bout de deux ou trois semaines, c'était énervant. On a des écrans, alors on a joué beaucoup et on était beaucoup sur snapchat, on s'appelait." Tous deux regrettent que certaines activités du centre socio-culturel aient disparues. "On faisait plein de choses là-bas, on faisait du vélo... mais c'est moins bien maintenant, alors j'y vais plus", explique Samir, une boisson énergisante à la main.
"Au centre socio-culturel, on voit moins d'enfants"
Lors du premier confinement, le centre socio-culturel a complètement cessé ses activités, avant de les reprendre doucement en juin, au fur et à mesure que les mesures de sécurité sanitaire s'assouplissaient. Mais les animateurs voient beaucoup moins d'enfants qu'avant le premier confinement. "C'est aussi parce que les règles sont différentes : les enfants restent la demi-journée ou la journée entière et il faut qu'ils arrivent entre 8h et 9h, après les portes sont fermées. Certains parents préfèrent aussi garder leurs enfants à la maison, d'autres sont en télétravail et peuvent le faire aussi, et quelques familles ont encore très peur du virus et ne sortent presque pas", explique Chloé Schliffer, animatrice. Ce mercredi, ils ne sont que quatre enfants en accueil de loisirs."Quand nous avons repris en juin, les enfants parlaient beaucoup du coronavirus entre eux et ils nous posaient beaucoup de questions, parfois certaines choses étaient déformées. Puis il y a eu le masque, ils le mettaient sur le menton au début, certains le mâchonnaient même ! Et puis maintenant, ils ont pris l'habitude et n'y pensent plus", raconte l'animatrice.
Anesa a 8 ans, et elle voudrait que le confinement s'arrête. "Au début, je ne pouvais pas sortir, je ne pouvais pas faire du vélo avec ma copine. Là je peux juste marcher dehors, j'aime bien, mais je dois rester devant mon bloc ou en faire le tour", explique-t-elle. Elle espère aussi pouvoir revoir une amie qui a déménagé, "on s'est revues à la médiathèque, et elle ne m'a pas reconnue parce que j'ai une frange maintenant. Et puis mes grands-mères sont dans un autre pays, et je n'ai pas pu les voir cette année, c'est triste. Je peux leur téléphoner, mais elles me manquent."Mes grands-mères sont dans un autre pays, elles me manquent.
Pour Youssef, 7 ans et demi, les choses paraissent plus faciles. "C'était bien quand il n'y avait pas d'école, et puis on se parlait par la fenêtre avec mes copains. Mon père me laissait sortir parfois."
"Street Elsau", nouveau créneau pour les jeunes
Beaucoup moins de jeunes sont venus, du fait des horaires fixes aussi. Du coup, Julien Mildenberger, l'un des animateurs, a eu l'idée de proposer un créneau à 16h45 tous les lundis, distribuant flyers à la sortie du primaire et du collège, en discutant et en persuadant certains jeunes qui trainaient. "Certains étaient désœuvrés, ne savaient plus quoi faire. Et quelques-uns ont commencé à faire des bêtises, ils ne venaient plus du tout au centre, alors j'ai eu l'idée de proposer cette activité, ça s'appelle "Street Elsau", ça fait déjà trois lundis que je l'anime", explique l'animateur.Déjà, onze jeunes, du primaire au collège viennent chaque lundi. "On a fait du badminton, là on commence le futsal [foot en salle, ndlr], c'est un projet sur la durée, plus tard on essaiera de faire plusieurs groupes, de proposer d'autres sports, et peut-être un deuxième créneau dans la semaine", ajoute-t-il en souriant derrière son masque. Une jeune fille passerait son temps à se maquiller et à se démaquiller toute la journée, a-t-il entendu par un enfant. Lutter contre l'ennui et les bêtises, voilà le défi des animateurs.
Une bonne action pour Noël
Le centre socio-culturel a lancé l'action "boîtes de noël pour les plus démunis", il suffit de contacter le centre socio-culturel par téléphone le matin (03 88 30 11 96) ou via le formulaire de contact, pour savoir à quel moment apporter les boîtes. Les enfants qui viennent au centre ont décidé de les décorer. Et les boîtes s'empilent le long du mur, de jour en jour.L'idée est simple : un truc chaud, un produit de beauté, un loisir, un mot doux et un truc bon, le tout dans une boîte à chaussures, pour faire plaisir aux plus pauvres.
L'annonce a été relayée par les réseaux sociaux, comme dans ce post Facebook : SDK JavaScript IFrame Fermer Place this code wherever you want the plugin to appear on your page.
"La ville a mis des chaines sur les portes d'accès au tennis"
Madeline Huster marche d'un bon pas ce mercredi matin, baskets aux pieds. "Ne me parlez pas du confinement, je n'en pense pas que du bien", annonce-t-elle d'emblée. Elle est présidente de l'AS Elsau section tennis, et elle voit d'un mauvais œil la fermeture de tous les cours de tennis de fin octobre à mi-janvier, "alors qu'il s'agit d'un sport d'extérieur, individuel et où les partenaires sont à 20 mètres l'un de l'autre, vraiment c'est incompréhensible", tempête-t-elle.Est-ce que les membres de l'association sportive vont accepter de payer leur cotisation cette année ?
Les scolaires y sont autorisés, ce sont les seuls. "Mais un jour, alors qu'un professeur s'entrainait avec une élève, la ville est venue mettre des chaines sur les portes ! Parce qu'apparemment certains clubs ne respectent pas les règles sanitaires, ce qui n'est pas notre cas. Et puis je m'inquiète aussi pour les cotisations de cette année. L'an dernier, es membres ont accepté de payer leur cotisation comme d'habitude, mais cette année ? Les adultes ne pourraient revenir jouer qu'en janvier, comment allons-nous faire ? C'est un vrai problème", s'inquiète-t-elle.
"Le tennis, c'est comme une médecine pour nous, on joue d'habitude tous les matins, et c'est important quand on a 77 ans comme nous", explique son mari. En attendant, les 8 terrains de terre battue sont progressivement recouverts de mousse, "ils ne sont plus oranges mais verts, c'est étrange", conclut Madeleine Huster, inquiète pour la suite, comme beaucoup.