TEMOIGNAGE - Coronavirus : "Je sens une part de responsabilité là-dedans" explique Alexandre Feltz, médecin à Strasbourg

Alexandre Feltz est médecin généraliste depuis 27 ans à Strasbourg. Il est aussi adjoint en charge de la santé à la Ville. Le covid19 occupe toute ses journées: en blouse ou en cravate. "Deux mi-temps de 35h". Récit.

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J'ai beaucoup parlé dans mes précédents portraits du milieu hospitalier, secoué par le covid19. Traumatisé à maints égards. Aujourd'hui changement d'échelle et de décor. Nous entrons dans le cabinet, plus familier, du docteur Alexandre Feltz, médecin généraliste à Strasbourg depuis presque 30 ans. Un médecin qui a dû, lui aussi, bousculer ses habitudes de travail pour rester à l'écoute de ses patients. De leurs angoisses. De leurs maux. De leurs symptômes. Une écoute souvent téléphonique. Toujours bienveillante. Comme un membre de la famille qu'il est devenu pour eux au fil des ans.
 

Alexandre Feltz, l'homme pressé


Alexandre Feltz est un homme pressé. Je le sens. Je l'entends. Il parle vite. Trop. Je suis obligée de l'arrêter souvent, ma main ne suit pas. Ma tête non plus. Mais de ce flot de paroles et d'idées perce une bonhommie insubmersible. Une sorte de légèreté naturelle, salvatrice en ces temps difficiles et, oui, sage. Je ne le connais pas. Mais il m'est tout de suite sympathique. Autant vous l'avouer. 
 
Ce qui intéresse Alexandre Feltz, c'est l'humain. Au sens propre et au sens figuré. L'être et la machine. "Dès le collège j'ai été fasciné par la connaissance du vivant. Je posais tellement de questions que la prof de sciences nat m'a dit: Feltz, j'en ai marre, fais médecine."
 

Feltz, j'en ai marre, fais médecine
-Une prof de sciences naturelles-


Il ne faudra pas plus à l'élève Feltz pour se lancer. Après ses études, il s'installe en 1993 dans le quartier gare à Strasbourg. Il n'en bougera plus. "Ce qui me plaît aussi dans ce métier c'est la relation à autrui. On parle bien de médecin de famille. C'est ce même goût pour l'autre qui m'a conduit à m'engager dans la politique associative comme avec Sida Ville ou pour l'insertion des jeunes." Alexandre Feltz est depuis 2008 adjoint à la santé à la Ville de Strasbourg. "Je suis un médecin généraliste qui fait de la politique. Je cumule deux mi-temps de 35h. A la mairie, au cabinet. En ce moment, je vous raconte pas..." 

 

Chamboule-tout


J'appelle Alexandre Feltz le 31 mars. Le covid19 occupe alors toutes ses journées. "Je me partage entre les téléconsultations au cabinet et les visioconférences avec la mairie sur des sujets comme l'ouverture des marchés, l'organisation de la garde des enfants de soignants... Je participe aussi à la création d'une plateforme téléphonique de soutien psychologique à destination du public. J'y tiens beaucoup."  Covi-écoute 67 a vu le jour le 6 avril, une semaine après notre entretien. Elle regroupe 180 bénévoles: médecins, psychologues, infirmières et travailleurs sociaux
 
Alexandre Feltz est dans l'action. Toujours. Logique pour le pionnier du sport sur ordonnance en France. C'est sa thérapie à lui. Le mouvement. Jusqu'à un certain point. "Ce qui est dur c'est de tout gérer. Je me sens en tension perpétuelle. Avec toutes ces infos en temps réel, ces chiffres que je guette, cette pression globale, je n'arrive pas à relâcher. Je sens une part de responsabilité là-dedans. En tant que médecin. En tant qu'homme politique. Alors je suis dans le mouvement, j'essaie de faire du stress une énergie positive. Et quand vraiment je n'y arrive plus, je m'oblige à regarder la télévision, ce qui ne m'arrive jamais en temps normal. J'ai vu Le gendarme à New-York. Ça a marché bof." 


J'essaie de faire du stress une énergie positive
- Alexandre Fletz-


Au cabinet, le covid19 a tout chamboulé. "Nous n'avons plus personne en salle d'attente. Nous avons mis en place deux circuits pour les consultations libres: un pour les symptômes covid, l'autre pour les maladies chroniques. S'il y a suspicion, on met un masque au patient, on l'amène dans une salle dédiée. On nettoie le cabinet à chaque passage. Toutes les surfaces. Moi je porte des masques FFP2 que des patients m'ont donnés, ils sont gentils. Ce sont eux aussi qui m'ont apporté des blouses, on n'en avait plus. C'est un peu compliqué. La charge mentale est énorme car tout doit être organisé sans erreur possible."
 

Si Alexandre Feltz n'aime pas la télévision, il a été contraint d'adopter sa cousine: la télémédecine. "J'avais jamais fait ça de ma vie." Les vidéoconsultations représentent actuellement 2/3 de son activité. "Moi, je suis plus contact direct mais je suis agréablement surpris. Une fois tout le bazar installé, ça marche plutôt bien." Le but du jeu étant d'être avec les patients "le plus performant possible avec le moins de risques. Je suis très attentif, je leur parle beaucoup, il ne faut surtout pas rater le moment où tout s'accélère ni saturer le 15." Un équilibre délicat à trouver. Surtout à distance.
 
"L'interrogatoire préalable est très important en médecine générale. Mes patients sont chez eux, dans leur univers, ça les rassure et puis je les connais bien, ils ont confiance en moi, il y a beaucoup d'affect. Je fais un peu psy aussi, le confinement leur pèse. En cas de soupçon de covid, je fais une première téléconsultation poussée. Une infirmière de santé publique assurera le suivi. Il faut être vigilant. On les appelle régulièrement. Surtout les 7e et 10e jour où il y a un risque de décompensation. Ils sont assez sereins pour la plupart. Après c'est certain, en médecine, il y a toujours des possibilités d'erreurs." Le médecin comptabilise six nouveaux cas de covid19 par jour depuis le début de la pandémie. Aucun, au 31 mars, n'est décédé du virus.

 

Prescriptions sans ordonnance


Cette adaptation à marche forcée aux "choses numériques" comme les nomme Alexandre Feltz est une de ses petites fiertés. "Ben oui, j'ai même réussi à faire des ordonnances sur une imprimante virtuelle avec ma signature." Même moi, je n'ai rien compris. "Je ne suis pas devenu un geek, pas à ce point, mais je vois l'utilité d'un tel dispositif. Ça permet de garder des liens avec la patientèle. On dégrade bien-sûr le niveau de soin mais on le dégrade le moins possible." 

Cette crise sanitaire lui a peut-être appris les arcanes de l'informatique, elle a surtout conforté ses convictions intimes. Ecologistes et sociales. "Tout ça, ça nous montre que le libéralisme effréné va à sa perte. Tout ce dont nous avons besoin en ce moment est fabriqué à l'étranger. Les réactifs, les respirateurs, les masques. Non seulement ce n'est pas écologique mais c'est dangereux. Tout ce qui est vital doit être fabriqué en France. Quand on pense qu'il faut deux jours pour fabriquer une voiture et trois semaines pour faire venir un respirateur... On n'a même pas d'écouvillons pour le nez. Revenons à des logiques locales. Cette crise montre également l'importance de la solidarité et de l'entraide. Souvenons-nous en." 
 

Tout ce qui est vital doit être fabriqué en France
-Alexandre Feltz- 


Le ton change. Plus grave. C'est l'homme politique qui parle à présent. Pas de doutes. "Le confinement a des vertus qu'il ne faudra pas oublier non plus. Une consommation plus raisonnable. On consomme moins, beaucoup moins. S'en porte-t-on plus mal? Et les déplacements en voiture? Regardez la pollution de l'air à Strasbourg! On respire enfin. Le covid19 a tué. Tue encore. La pollution tue aussi. Ça, croyez moi, je m'en servirai en politique..."

Oui car Alexandre Feltz compte bien poursuivre sa carrière politique. A grandes foulées. Et le finish était à portée d'orteils. Etait. Avant tout ça. Avant le covid. Avant le report du second tour des municipales. La liste sur laquelle il s'est présenté, celle de Jeanne Barseghian Strasbourg, écologiste et citoyenne, est arrivée en tête le 15 mars dernier.  Avec 27,87 % des voix. Un joli score. Au goût amer. Assez dégueulasse. On connait aujourd'hui les dégâts humains de ce premier tour. Alexandre Feltz accuse le coup: "Nous on était là-dedans, on était dans une dynamique, galvanisés, on n'était pas objectifs. On était tous en retard sur la maladie. Il aurait fallu l'annuler, ce premier tour, c'était une bêtise." Nous raccrochons. Alexandre Feltz ne rit plus.

 
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