TEMOIGNAGE : "ouvrir la porte c'était la mort" racontent deux rescapés de l’incendie de la rue de Barr à Strasbourg

Cinq personnes ont été tuées et sept autres blessées dans l'incendie d'un immeuble à Strasbourg qui a eu lieu dans la nuit du mercredi 26 au jeudi 27 février au 22 rue de Barr à Strasbourg. Cloclo et Reddy, sauvés par les pompiers, racontent la tragédie vécue.

 

La cage d’escalier de l'immeuble d'habitations du 22 rue de Barr à Strasbourg a pris feu le 27 février 2020 vers 1h 30. Les pompiers ont porté secours aux 44 appartements menacés. Cinq personnes sont mortes, intoxiquées par les fumées de l’incendie. Parmi les rescapés, Cloclo et Reddy qui habitent respectivement dans un deux pièces au cinquième et dans un studio au quatrième étage. Ils se connaissent et sont même amis.

Cloclo a été opéré de la cataracte à l’hôpital civil de Strasbourg au matin du 26 février 2020. Vers midi, il est rentré chez lui affublé d’un pansement et d’une coquille sur un œil et s’est installé, groggy, devant la télévision jusqu’au soir. A 23 heures, il s’est couché.
Sur cette carte cidessous, l'immeuble du 22 rue de gare situé en plein quartier de la gare à Strasbourg.

"C’était une fumée ardente et j’étais comme un poulet qui se fait rôtir"

Reddy, ce soir là, s’est endormi vers 23 heures 30, il a été réveillé par le détecteur de fumée qui sonnait : "Je me suis levé, il n’y avait plus de lumière, je sentais la chaleur, je suis allé vers le couloir mais je n’ai pas ouvert la porte d’entrée, je suis retourné vers la fenêtre que j’ai ouverte. La fumée est devenue plus dense. J’étais à poil, merde. J’ai pris mon peignoir dans la salle de bain et les clés brulantes dans la serrure de la porte d’entrée. Je suis retourné à la fenêtre. J’ai vu que presque tous les habitants avaient fait de même. J’ai crié : à l’aide ça chauffe ! C’était une fumée ardente et j’étais comme un poulet qui se fait rôtir."

Au premier et au deuxième étage, les pompiers dépéchés très vite sur place, sortaient des habitants grâce à une échelle simple. Le camion de pompier équipé de la grande échelle est arrivé enfin, puis Reddy a attendu une dizaine de minutes : "La nacelle nous a sortis deux par deux, enfin je ne pouvais voir que ce qui se passait rue d’Andlau, pas dans la rue de Barr. J’étais du deux ou troisième voyage avec mon voisin, un jeune. J’ai touché terre et je me suis dirigé vers les ambulances."

Le rescapé a appris par la suite la mort de Sylviane, sa voisine de 68 ans : "Ça m’a fait mal, je ne sais même pas si elle avait de la famille. A Noël, elle m’offrait des bouteilles de porto et des cadeaux. Moi, je lui cuisinais des escalopes de veaux à la crème et au porto."

"Ouvrir la porte c’était la mort, j’ai choisi l’autre solution, la fenêtre"

Cloclo a été, lui aussi, réveillé par le détecteur : "Il m’a fallu cinq bonnes minutes pour réaliser que c’était un incendie. J’ai paniqué. Il me fallait aller aux toilettes, mais la fumée et le souffle mont repoussé en arrière, je suis tombé sur la table basse, j’ai encore un hématome au coude. J’ai ouvert la fenêtre de la cuisine que j’ai aussitôt refermée à cause de la chaleur brûlante. J’ai essayé avec celle du salon qui donne sur l’angle de rue. J’ai soulevé un peu le volet qui était coincé. J’ai réussi à me pencher dehors et j’ai vu les pompiers."

Rapidement habillé et posté à la fenêtre, le septuagénaire a été repéré par un pompier qui a crié : "Il y a encore quelqu’un au cinquième." Un autre homme du feu est arrivé avec la grande échelle, il a dit : "Monsieur ne paniquez pas, je vais vous sortir de là." 

Cloclo se souvient : "Il m’a fait mettre le pied sur le radiateur, m’a ceinturé et posé à l’arrière de la nacelle. En descendant, nous nous sommes arrêtés au quatrième étage pour casser la vitre. Il n’y avait personne. C’est là que vivait Sarah, une interne en médecine. Elle est morte dans l’incendie, je l’ai appris plus tard par le chef de service à l’hôpital. Elle a tenté de passer par l’escalier dans lequel on a retrouvé son corps. Ouvrir la porte c’était la mort, j’ai choisi l’autre solution, la fenêtre."
 

Cloclo a été le dernier à avoir été sauvé

Reddy a suivi un groupe d’une trentaine de rescapés que les pompiers ont menés à l’hôtel Eden à 200 mètres de là. Il y avait six blessés placés sous oxygène dont il faisait partie. Au bout de 25 minutes, il a vu arriver Cloclo qui était le dernier à avoir été sauvé. Reddy avait complètement oublié le chat de ses voisines absentes et qu’il était chargé de nourrir : "Je ne pensais qu'à ma fille, qu'à ma vie, pas à lui. Puis un pompier a ramené l’animal à l’hôtel. Je l’ai pris dans mes bras et un sauveteur lui a mis un masque à oxygène. J’ai eu de ses nouvelles par mes amies : le chat se porte bien."

Une ambulance a conduit les sept blessés aux urgences de l'hôpital de Hautepierre à Strasbourg où le personnel hospitalier a procédé à des prises de sang pour en mesurer le taux d’oxygène. A quatorze heures, Reddy a pu sortir pour se rendre au domicile de l’une de ses sœurs.

Cloclo, lui, a été transféré au service de médecine interne de l’hôpital civil car il avait un début d’infection au poumon droit, il était sous oxygène et perfusion. Il est sorti le lundi 2 mars, la Ville de Strasbourg l’a relogé provisoirement dans un hôtel près de la gare.

"Germain Muller est mon mentor. Il m’a tout appris de la vie"

Claude Kriegel, allias Cloclo habitait rue de Barr depuis 22 ans. A 74 ans, il travaille toujours comme barman à la brasserie La chope dans le quartier de la gare à Strasbourg parce qu’il n’a pas les moyens de faire autrement.

Cloclo est né à Bitche (Moselle), le 31 décembre 1945. Son père travaillait aux PTT et sa mère était restauratrice à Haguenau. Un couple 100% alsacien. Il a une sœur plus jeune avec qui il a vécu une enfance heureuse. Il a commencé par travailler comme barman au restaurant l’Aiglon pendant 18 ans puis a rejoint le restaurant Champi qui appartenait à Germain Muller, le créateur du Barabli, un cabaret de théâtre en alsacien : "Il est mon mentor. Il m’a tout appris de la vie. J’ai même animé le dancing du restaurant la Piscine dans le quartier du Wacken à Strasbourg. On refaisait le monde avec lui, jusqu’à trois ou quatre heures du matin, J’ai rencontré là nombre de personnalités, comme Pierre Pfimlin, Danielle Darrieux, Pierre Brasseur, Fernand Reynaud ou encore Barbara."

Cloclo a même joué avec la troupe du Barabli dans Schmeck de bouchon, (sans le bouchon) : "A la fin du spectacle, j’étais assis parmi le public et je criais tout à coup : Leck mich am arch. (lèche moi au cul), je montais sur scène et Germain Muller me félicitait pour mon courage et me demandait d’où je venais. Je répondais : je suis de Stiring-Wendel (Moselle). Il s’écriait alors : oh mon dieu ! C’est un Lorrain. Et le rideau se baissait."

Cloclo a été, dans les années 2000, figurant dans quinze films dont Le septième juré avec Jean-Pierre Darroussin et Les nuits d’été avec Rodolphe Burger et Jeanne Balibar.
 

"Voguer sur le fleuve Niger a été ma plus grande aventure"

Fernand-Raymond Hill, allias Reddy, logeait au quatrième étage du 22 rue de Barr depuis 11 ans. A ce jour, il vit du RSA en attendant sa retraite et le minimum vieillesse en 2021. Le rescapé aura 64 ans le 31 mars 2020. Il est né à Srasbourg dans le quartier du Neuhof.

Dans toute sa vie, on l’a appelé 2 fois Fernand, à l’armée et en prison. Il est septième de sa fratrie. Avec un père postier et mère au foyer, Reddy dit avoir vécu une enfance heureuse et modeste.
Il a quitté l’école à l’âge de quatorze ans, pour un brevet de compagnon serrurier. Au fil de sa vie, il a été routier, régisseur pour les tournées des Percussions de Strasbourg et peintre en bâtiment. Célibataire il a une fille de 36 ans et une petite fille à qui il rêve d’apprendre l’Alsacien, étant lui-même dialectophone.

Fernand-Raymond a fait plusieurs voyages en Afrique, l’un d’eux a marqué sa vie :"En 1979, j’ai traversé en camion Berlier le Sahara, de Tamanrasset à Mopti au Mali, j’ai parcouru 5 500 kilomètres en trois mois. Au départ, je devais seulement réparer le véhicule mais le chauffeur ne savait pas utiliser le double embrayage, donc je suis parti avec lui pour conduire. Voguer sur le fleuve Niger a été ma plus grande aventure."

"T’as pas ouvert la porte parce sinon que tu aurais été cramé"

Aujourd’hui, après l’incendie, les deux comparses sont choqués et amers. Ils pourraient revenir dans l’immeuble mais seulement pas avant deux ans, le minimum des travaux prévus. Des murs et l’ascenseur ont fondu littéralement sous la chaleur. Les marches d’escalier ont pris une courbe qui empêche de monter sans escalader. Cloclo va mandater, auprès de la police, Reddy, pour récupérer des souvenirs parmi ses affaires qui ne sont pas brûlées mais qui sentent encore les fumées toxiques.

Le barman est inquiet : "J’ai perdu mon chez moi, je suis déraciné, j’ai perdu mes repères. Heureusement, j’ai des amis, des clients et le personnel de La chope auprès desquels je trouve un grand réconfort."

Reddy, pour sa part, est bouleversé : "J’ai des hauts et des bas, j’ai été voir un psychiatre et je lui ai dit que j’avais parlé à Cloclo pour lui dire : lâche toi, faut pas garder les émotions, faut pleurer. T’as pas ouvert la porte parce que sinon tu aurais été cramé, mais si tu ne te lâche pas, c’est toi qui va bruler de l’intérieur et c’est comme si tu avais ouvert la porte. Le psy m’a dit votre formule résume tout, puis-je l’utiliser dans mes cours?"

L'immeuble avait de mauvaises fréquentations

Limmeuble du 22 rue de Barr avant l'incendie sur cette vue en 360°.
Depuis une dizaine d’année, Cloclo se battait contre les mauvaises fréquentations auprès du syndic de l'immeuble, celles du septième étage, où selon lui, certains occupants étaient des dealers de toutes sortes de drogues. Ils consommaient aussi beaucoup d’alcool : "A huit heures, quand on sortait de l’immeuble pour aller travailler, on découvrait dans l’entrée des seringues usagées, des pochettes de drogue vides et des cadavres de bouteilles d’alcool. Depuis l’installation de vidéosurveillance dans l’immeuble, les fréquentations s’étaient un peu atténuée, mais continuent malgré tout. J’appréhendais un drame depuis longtemps. Les copropriétaires auraient du investir dans la porte d’entrée de l’immeuble, constamment défoncée, ça aurait pu sauver cinq vies humaines."

Deux personnes ont été interpellées au cours de la nuit du 26 au 27 février. Elles ont été placées en garde à vue avant d’être libérées le jour même. La procureure du parquet de Strasbourg a, elle, écarté l'hypothèse d'une défaillance électrique, une seconde expertise est menée et privilégie la piste criminelle.
 
















 
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